Œuvres citées : Indigènes – Z – Johnny English – Hard candy – Pulse – Kairo – Le parfum : histoire d’un meurtrier – Perfume: the story of a murderer – L’homme de sa vie – Nouvelle cuisine – Gaau Ji – Dumplings – Three... extremes – Les roseaux sauvages – Le pressentiment – The queen – Mala noche – Un crime – A crime – La citadelle assiégée – Severance – Fair-play – La méthode – Docteur Jerry et mister Love – Poltergay – Hair – Pédale dure – La Californie – Mémoires de nos pères – Flags of our fathers
Personnes citées : Jamel Debbouze – Jacques Chirac – Costa-Gavras – Samy Naceri – Sami Bouajila – John Malkovich – Claude Chabrol – David Slade – Ellen Page – Roman Polanski – Jim Sonzero – Kiyoshi Kurosawa – Bruce Willis – Tom Cruise – Tom Tykwer – Ben Whishaw – Dustin Hoffman – Zabou Breitman – Fruit Chan – André Téchiné – Jean-Pierre Darroussin – Helen Mirren – Tony Blair – Cherie Blair – Diana Spencer – Stephen Frears – Elizabeth II – Philip d’Edimbourg – Charles, prince de Galles – Dodi Fayed – Gus Van Sant – Manuel Pradal – Emmanuelle Béart – Harvey Keitel – Philippe Caldéron – Gérard Caldéron – Félix Houphouët-Boigny – Laurent Gbagbo – Laurent Ruquier – Michel Denisot – Christopher Smith – Jerry Lewis – Éric Lavaine – Milos Forman – Héctor Cabello Reyes – Bertrand Delanoë – Dave – Jacques Fieschi – Nathalie Baye – Franklin Roosevelt – Harry Truman – Clint Eastwood
Réalisé par Rachid Bouchareb
Sorti en France (Festival de Cannes) le 25 mai 2006
Sorti en France le 27 septembre 2006
Film à voir pour les questions qu’il soulève, davantage que pour ses qualités cinématographiques propres, qui restent dans la bonne moyenne, sans plus. En fait, un seul plan m’a paru intéressant, celui de ces soldats, durant la bataille, qui gravissent une colline occupée par les troupes allemandes : vus de très loin, ils ressemblent à des fourmis sur un talus, et c’est exactement le reflet de la réalité.
Pour le reste, c’est-à-dire le battage politique autour du film, je rédige ci-dessous une seconde notule.
Remarquons néanmoins que la présence de Jamel Debbouze comme acteur (il est aussi producteur) pose un problème de crédibilité : on sait que ce garçon est infirme, il a son bras droit hors d’usage, à la suite d’un accident. Or l’histoire le montre s’engageant dans l’armée française pour aller combattre le nazisme, et pour sortir de la misère. Je doute que, guerre ou pas, l’armée aurait agréé un engagé volontaire aussi gravement handicapé, surtout pour l’envoyer au front ! Il y aurait risqué, non seulement sa propre vie, mais aussi celle de ses camarades... Cette remarque n’est en rien une critique de son interprétation, qui est excellente : lorsque Jamel Debbouze laisse tomber la tchatche et les pitreries, il peut être aussi bon qu’un autre.
D’abord, il y a eu toute cette agitation qui a précédé et suivi la sortie du film : on nous a copieusement seriné que sa vision avait incité le président de la République à réveiller son gouvernement, afin que les pensions des anciens combattants africains, qui, à l’époque des indépendances des pays d’Afrique, avaient été gelées sur ordre de De Gaulle en personne (on avait inventé le mot « cristallisées », paraît-il, c’est tellement plus beau !), soient désormais payées à la même hauteur que celles des anciens combattants métropolitains. Or nous avons appris à la télévision, dans Arrêt sur images, qu’en fait, le dossier sollicitant cette mesure de bon sens avait été déposé sur le bureau présidentiel des semaines auparavant. La décision de Chirac n’a donc pas été si spontanée qu’on nous l’avait raconté.
Ensuite, il est faux que ce film soit le premier à faire avancer la prise de conscience politique : en 1969 sortait Z, le film de Costa-Gavras, qui décrivait, sous une forme romancée, les prémisses du coup d’État ayant porté les colonels factieux à la tête de la Grèce. Avant Z, tout le monde s’en fichait, après Z, le monde entier a pris parti contre les colonels, ce qui n’a pas été inutile pour précipiter leur chute. Tout aussi fausse, la thèse affirmant que les combattants arabes d’Afrique du Nord ont payé le plus lourd tribut à cette guerre : les statistiques démontrent que le pourcentage de Pieds-Noirs tués a été supérieur...
Toujours sur le plan politique, la révolte manifestée par le personnage de Sami Bouajila est révélatrice. Certes, on ne nous dit pas que les injustices décrites par le film l’ont amené à succomber aux charmes du FLN, ce front des indépendantistes algériens auxquels l’Algérie a dû ensuite quarante ans de dictature militaire, Boutefliqa faisant parti de cette clique, comme tout le monde le sait. Mais on ne nous dit pas non plus le contraire, et sa visite sur les tombes de ses camarades, soixante ans après la guerre, ne révèle rien sur son parcours politique. Or on est bien obligé de rappeler que la France aurait évité bien des ennuis (et une guerre de plus !) si les gouvernements avaient été moins stupides. Tous les gouvernements, y compris celui que dirigea De Gaulle après la Libération. D’abord, c’est bien sous De Gaulle que les manifestations de Sétif, le 8 mai 1945, ont tourné au massacre, saboté à jamais l’Algérie française, et préparé la future guerre d’Algérie. Et puis, la politique de ces gouvernements qui se désintéressaient complètement de l’Algérie (et c’était pareil dans les autres colonies) était une honte pour la France. Ne citons qu’un secteur, celui de l’Éducation : ma famille a vécu de 1945 à 1962 dans une petite ville de trente mille habitants qui ne comptait aucun établissement au-delà de la troisième. Et si les élèves arabes n’y étaient pas rares, leur importance numérique n’était pas non plus en rapport avec le pourcentage d’Arabes dans la population...
Concernant le prix d’interprétation collectif attribué aux principaux acteurs du film lors du Festival de Cannes, il faut surtout y voir une sorte de compensation bien-pensante aux injustices subies naguère par les Arabes et les Noirs ayant opté pour la France ; mais récompenser tout le monde, c’est ne récompenser personne, et il faut bien dire que Samy Naceri ne profite du prix que par contrecoup, car il a peu de scènes, et n’est pas à la hauteur de ses camarades, surtout Sami Bouajila et Jamel Debbouze.
Enfin, histoire de terminer dans la rigolade, ajoutons un nouveau chapitre à la saga du népotisme : deux autres membres de la famille Debbouze sont au générique, l’un acteur, l’autre technicien du documentaire publicitaire (« Le making of, comme disent les Français », pour reprendre une réplique de John Malkovich dans Johnny English). Mais enfin, les Chabrol, quasi-imbattables sur ce terrain, restent dans le peloton de tête...
Réalisé par David Slade
Sorti aux États-Unis (Festival de Sundance) en janvier 2005
Sorti en France (Festival de Cannes) le 12 mai 2005
Sorti en France le 27 septembre 2006
Jeff, un photographe connu et trentenaire, drague sur Internet une fille de quatorze ans, Hayley. Ils se rencontrent dans un bar, elle insiste pour aller chez lui en dépit de ses réticences, et là, elle le drogue, le ligote et annonce qu’elle va l’émasculer pour le punir de sa pédophilie, dit-elle. Que les âmes sensibles et qui répugnent au gore se rassurent, l’opération n’aura pas lieu, elle est seulement simulée pour faire perdre pied à la victime anesthésiée. Il parvient à se libérer, on le croit tiré d’affaire, mais il avait tout de même quelque chose à se reprocher, et la fille le pousse au suicide en le faisant chanter.
Presque tout est filmé en huis-clos, entre deux personnages. Le dialogue est brillant, les interprètes aussi. Finalement, on ne saura pas le fin mot de l’affaire, et rien sur la prétendue Hayley, qui n’avait probablement pas quatorze ans (l’interprète, Ellen Page, en avait dix-huit au moment du tournage).
Le film reste ambigu, malgré ses qualités : où commence la pédophilie, et que faut-il faire aux pédophiles ? Ne cherchez aucune réponse dans cette histoire, qui reste un exercice de style, dû à David Slade, dont c’est le premier long métrage.
Noté dans le dialogue cette pointe du genre audacieux, et qui passe complètement inaperçue : lorsque Jeff supplie « Mais si je suis dénoncé comme pédophile, ma vie est brisée ! », Hayley répond « Et alors ? Polanski a bien eu un Oscar ! ». Gageons qu’il n’y a pas un spectateur sur dix mille qui a compris la référence.
Réalisé par Jim Sonzero
Sorti aux États-Unis le 11 août 2006
Sorti en France (Festival de Deauville) le 2 septembre 2006
Sorti en France le 11 octobre 2006
Encore un remake états-unien d’un film japonais. Cette fois, la source est Kairo, un film que j’avais bien aimé. Disons tout de suite que le scénariste ne s’est pas fait une entorse au cerveau, car il a repris l’intégralité du film originel de Kiyoshi Kurosawa, y compris le spectaculaire quoique bref suicide du haut d’une tour, et l’écrasement de l’avion sur la ville.
L’argument est simple : des fantômes hostiles s’attaquent à Notre Civilisation, mais ni Bruce Willis ni Tom Cruise ne sont là pour sauver le monde. Les méchants (je parle des fantômes) se propagent par les ordinateurs portables, les téléphones portables et les agendas électroniques, évidemment portables. Le scénario est donc lui aussi portable.
On ne lésine pas sur les décors sales et sinistres (le film a été tourné en Roumanie), pas plus que sur les accessoires habituels aux films d’horreur, comme ces éclairages défaillants qui clignotent et que je désignerai sous l’appellation d’« effet faux contact » – un grand classique indiquant qu’il se passe quelque chose de pas catholique.
Néanmoins, c’est fait avec soin et professionnalisme.
Réalisé par Tom Tykwer
Titre original : Perfume: the story of a murderer
Sorti en Allemagne le 7 septembre 2006
Sorti en France le 4 octobre 2006
Il fallait vraiment une rallonge au titre du livre, pour que ces crétins de spectateurs comprennent bien.
Si l’on faisait abstraction des passages à vide, ceux, dans le dernier quart du récit, où le personnage principal est absent de l’écran (bien que l’interprète Ben Whishaw soit totalement inconnu, il a une présence étonnante), le film serait à voir. Notamment en raison des beaux décors générés par le numérique, qui pour une fois sert à quelque chose.
Mais la fin gâche un peu le plaisir. Et l’on comprend pourquoi ce roman à succès fut réputé inadaptable : on ne demande pas impunément à des centaines de figurants de mimer la copulation en public sans risquer le ridicule, et le film n’est pas loin d’y tomber, malheureusement. C’est cela, plus que l’impossibilité de filmer les odeurs, qui rendait l’entreprise périlleuse.
Tout ce qui précède est bon, avec une réserve pour Dustin Hoffman, un peu à côté de la plaque. Mais il faut bien dire que le film n’a pas grand succès.
Réalisé par Zabou Breitman
Sorti au Canada (Festival de Toronto) le 8 septembre 2006
Sorti en France et en Belgique le 11 octobre 2006
Frédéric, le plus banal et le plus conformiste des hommes, marié, père de famille, et qui est le seul à ne pas voir qu’au fond il s’ennuie, est attiré par son nouveau voisin, Hugo, seul par vocation de l’être, et homosexuel. La femme de Frédéric, jalouse et frustrée, ne peut rien empêcher. D’ailleurs, il ne se passera rien entre les deux hommes.
Sujet rare, traité par Zabou Breitman avec beaucoup d’intelligence, mais aussi pas mal de coquetterie(s) encombrante(s), surtout à l’image. Ainsi, deux hommes qui viennent de se disputer, à quoi sert-il de les filmer à travers un plancher de verre ?!
L’essentiel se passe en conversations dans la lumière pâle de l’aube ; une seule conversation, en fait, mais qui revient sans cesse en vue de relancer l’action, à supposer qu’il y en ait une. Hugo est chaleureux, peu porté sur la vie de famille – non sans raisons, vu ses relations passées avec son père –, attaché à une existence faite d’aventures sans lendemains, et il tient des propos sensés. Par exemple celui-ci : la question qu’on n’ose pas poser aux homos (sauf si on est le dernier des ploucs, mais c’est moi qui l’ajoute), « Tu fais l’homme ou tu fais la femme ? », est stupide, car ce qui compte, c’est justement que la réponse n’existe pas.
Réalisé par Fruit Chan
Titre original : Gaau Ji
Sorti en Corée du Sud le 20 août 2004
Sorti en France le 1er février 2006
Il existe deux films intitulés en anglais Dumplings, tous deux réalisés par le cinéaste hongkongais Fruit Chan. Rappelons que ce mot, dumplings, désigne une préparation culinaire enveloppée dans de la pâte, ce qui donne aussi bien des raviolis que des chaussons aux pommes (apple dumplings).
Le premier de ces films est un court métrage d’environ quarante minutes qui formait la première partie d’un film à sketches, Three... extremes, sorti en 2004, et dont j’avais dit grand bien, pour ses deux premiers modules tout au moins ; l’autre film, titré en français Nouvelle cuisine, sorti la même année, et que je vois avec plusieurs mois de retard, est un long métrage de 91 minutes. Les deux actrices principales jouent les mêmes rôles dans les deux films.
Cette double fabrication rappelle d’autres emplois de ce procédé, en particulier pour le film d’André Téchiné Les roseaux sauvages, et je ferai peut-être un jour un petit [Entracte] sur ce thème du délayage. Mais parlons de Nouvelle cuisine.
Alors que le Dumplings « court », allant à l’essentiel, se bornait à l’anecdote et nous rappelait que le court métrage est l’équivalent au cinéma de la nouvelle en littérature, le Dumplings « long » s’évertue à rajouter des épisodes à une histoire qui n’en avait pas besoin : on a l’impression d’une greffe multiple, et qui prend mal. Pour ceux qui ont oublié cette anecdote, je rappelle que tante Mei, soixante-quatre ans mais qui en paraît vingt-cinq, fabrique et vend très cher des raviolis farcis aux embryons humains, destinés à procurer une jeunesse prolongée aux femmes qui commencent à mûrir, telle qu’elle-même. Mais lorsqu’une de ses clientes, madame Lee, une actrice connue, exige toujours plus, elle commence par utiliser un embryon de cinq semaines qu’elle se procure illégalement, puis, face à l’échec de l’expérience, elle fait avorter une lycéenne enceinte de cinq mois et se sert du foetus. L’intrigue, très mince, se concentrait sur ce pitch, comme disent les gens de télévision, et on n’en savait pas plus.
C’était donc un film d’horreur, mais réalisé sur le mode suave, comme savent le pratiquer les Asiatiques (pas les Japonais !). Et le spectateur se régalait, si je puis dire. D’autant plus que le petit mystère sur quoi reposait le suspense n’était dévoilé que peu à peu, en vertu des lois du genre, qui sont aussi des lois de bon sens.
Avec la version longue, non seulement ce mystère est révélé avant la vingtième minute, ce qui est d’une maladresse surprenante, mais on délaye le scénario en introduisant une multitude d’événements qui ne sont là que pour allonger la sauce : tante Mei, ici très bavarde, se révèle ancien médecin ayant opté pour une occupation plus lucrative, et on la montre allant faire ses emplettes d’embryons dans un hôpital, et discourant sur l’ancienne loi des communistes limitant les familles à un seul enfant ; madame Lee se voit pourvue d’un mari très riche et volage, mais qui la couvre de cadeaux tout en la trompant avec une jeunesse (laquelle fournira le foetus de la fin) ; la lycéenne de quinze ans et enceinte a été violée par son père, qui se fera violemment agresser et blesser par sa femme, intermède qui nécessitera l’intervention de deux policiers, etc. Tout cela est inutile, ne sert qu’à retarder la préparation culinaire finale... et agace un peu, car aucun de ces détails n’apporte quoi que ce soit au récit, et cela se sent.
C’est dommage, et d’autant plus que le réalisateur Fruit Chan est le contraire d’un amateur ! À l’instar de la plupart des cinéastes d’Asie, il est extrêmement attentif à ses cadrages, et veille à ne montrer à l’image que ce qui est significatif, au contraire des réalisateurs français, par exemple, trop soucieux, eux, de faire joli – et ce n’est pas Zabou Breitman, avec L’homme de sa vie, qui dira le contraire !
Réalisé par Jean-Pierre Darroussin
Sorti en Italie (Festival de Venise) le 1er octobre 2006
Sorti en France le 4 octobre 2006
Film d’inspiration humaniste d’une évidente sincérité, à l’image de son réalisateur et interprète, Jean-Pierre Darroussin : avocat, Charles a quitté son milieu bourgeois pour aller vivre dans un quartier populaire de l’est parisien. Il rend service à tout le monde et ne ménage pas son portefeuille, ce qui scandalise sa famille bourgeoise. Les choses semblent tourner mal lorsqu’il recueille une jeune fille de treize ans dont le père est en prison et la mère à l’hôpital : les ragots commencent à fuser, même chez ceux dont il partageait la vie. Mais tout finit par s’arranger... à cela près qu’un cancer pointe son nez et que Charles n’en a plus pour très longtemps.
L’histoire est filmée « à hauteur d’homme », comme on disait naguère, simplement et sans la moindre afféterie. C’est assez rare pour être signalé.
Réalisé par Stephen Frears
Sorti en Italie (Festival de Venise) le 2 octobre 2006
Sorti en France le 18 octobre 2006
Passionnant de bout en bout, et soutenu par une actrice hors pair, Helen Mirren, qui semble se spécialiser, puisqu’elle a déjà joué, l’année dernière, le rôle d’Elizabeth Ire dans un téléfilm ! C’est l’hilarant récit de l’intronisation de Tony Blair, nommé Premier ministre par la reine d’Angleterre après la victoire du Parti Travailliste, suivi d’une chronique de la semaine qui commença par la mort accidentelle de Diana Spencer, ex-princesse de Galles, le 31 août 1997 à Paris. À cette occasion, souvenez-vous, la reine avait décidé que la famille royale ne ferait aucune déclaration, et qu’il n’y aurait aucune cérémonie officielle ; ce que la situation imposait, puisque l’ex-princesse, au su et au vu de tous, avait pris un amant, puis divorcé – donc n’était plus liée à la famille Windsor que par le fait d’être la mère de l’éventuel futur roi – et avait multiplié les déclarations hostiles à son ex-belle-famille.
Les réactions très négatives du peuple britannique, attisées par la presse à scandales et par Blair lui-même – qui ne sort pas grandi du film, pas plus que son épouse Cherie, et dont le clan des communicateurs avait fabriqué puis lancé le slogan pour presse du cœur « la princesse du peuple » (sic) –, amenèrent la reine à modifier bon gré mal gré son comportement, et à prononcer un discours endeuillé à la télévision. Ce fut la première humiliation publique de la couronne.
Ce drame est filmé selon un double point de vue, celui de la reine et celui des partisans de Blair. Mais il tourne facilement à la comédie, grâce aux dialogues (imaginés, car ils n’ont eu aucun témoin), souvent cocasses. Et l’on sent bien que toute la sympathie du réalisateur Stephen Frears va, très justement, à Elizabeth II, qui, quoi qu’on en pense, se révéla responsable et d’une parfaite dignité. Évidemment, elle est la seule : le prince Philip apparaît comme un vieux réac ; le prince Charles, comme un manœuvrier qui entend sauver sa propre situation aux dépens de sa mère ; et la reine-mère comme une gâteuse (mais elle était pire dans la réalité, puisque, au surplus, c’était une alcoolique invétérée). Tout au plus regrette-t-on ce petit dialogue, juste avant la fin, où la reine semble vouloir se justifier auprès de son Premier ministre ; ou encore, que la duplicité de Diana ne soit pas mieux révélée : imposture, machiavélisme et charlatanisme sont les mots qui la caractérisaient le mieux ! Rappelons aux distraits qu’immédiatement après son divorce, la pseudo-princesse du peuple a démissionné de la quasi-totalité des organisations charitables qu’elle présidait ou auxquelles, pour fignoler son image, elle apportait son concours.
Un double exploit de nos amis les sous-titreurs : en dépit du dialogue originel très explicite, qui précise que la seule façon de s’adresser à la reine est de lui dire « Madame », les sous-titres s’obstinent à traduire Madam par Majesté, comme si le traducteur ne savait même pas lire le texte qu’il est chargé d’adapter. Autre bourde : bien que le dialogue, le générique de fin et les inserts de journaux rappellent que l’amant présumé de Diana s’appelait Dodi Fayed (Ahmed Fayed, en fait, « Dodi » n’étant qu’un sobriquet), et non « Al Fayed », là encore, les sous-titres n’en tiennent aucun compte et lui attribuent son faux nom, ce qui équivaut à lui concéder une particule bidon. Mais ce serait dommage de dire la vérité à ceux qui l’ignorent et qui veulent continuer de rêver...
Réalisé par Gus Van Sant
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) en février 1986
Sorti en France le 11 octobre 2006
Le premier film de Gus Van Sant, datant de 1985, se voit exhumé à l’usage des historiens du cinéma, car ce machin n’a guère d’intérêt : Walt, entre vingt-cinq et trente ans, tombe amoureux de Johnny, un immigré clandestin venu du Mexique, qui se dit âgé de 18 ans mais en a sans doute un peu moins. Johnny, très macho, le méprise, ainsi que tous les homos, mais Walt se faire admettre dans la bande de potes de Johnny, et parvient à coucher avec Roberto, contre de l’argent uniquement. Roberto a une sexualité rudimentaire et sans fantaisie ; en clair, il ne pratique que la sodomie active. Walt le déplore, mais se fait une raison.
Puis Roberto se fait abattre par la police, et c’est Walt qui apprend la nouvelle à Johnny. Lequel n’en est pas plus ému que cela. Fin du film.
C’est en noir et blanc, avec beaucoup plus de noir que de blanc, car la plupart des scènes sont nocturnes. Ni très bien fait ni très intéressant. Sauf à penser que Gus Van Sant est un grand metteur en scène, ce qui n’est pas démontré, et qu’il installe ici son futur univers : action se déroulant toujours à Portland, où vit et travaille ce réalisateur, rareté des filles, prostitution masculine, abondance de jeunes hommes un peu rustauds.
Réalisé par Manuel Pradal
Titre original : A crime
Sorti en France (Festival de Deauville) le 3 septembre 2006
Sorti en France le 11 octobre 2006
Vincent a perdu sa femme, assassinée, pense-t-on, par un chauffeur de taxi, qui n’a pas été retrouvé. Il en est obsédé, et son existence est très perturbée. Alice, qui l’aime et veut vivre avec lui, déniche un chauffeur de taxi quelconque, Roger ; elle le baratine, couche avec lui, s’arrange pour que Vincent le voit et pense que c’est l’assassin. Vincent tue Roger. Du moins il le croit, reprend du poil de la bête, et Alice vit enfin avec lui. Mais Roger n’était pas mort : il revient pour exiger qu’Alice partage sa vie. Elle le tue, pour de bon cette fois, mais Vincent a tout compris rien qu’en lisant un journal.
Cette histoire tirée par les cheveux tient le coup sur la première moitié, puis on finit par décrocher tant elle sollicite la bonne volonté du spectateur.
Le film est français, quoique tourné en anglais à New York. Emmanuelle Béart a deux scènes de nu, ce qui constitue un minimum syndical. Heureusement, il y a dans la distribution Harvey Keitel.
Réalisé par Philippe Calderon
Sorti en France le 18 octobre 2006
Philippe Caldéron est le fils de Gérard Caldéron, lui aussi, naguère, cinéaste animalier. Il réalise ici, au Burkina Faso, un film de fiction qui raconte une guerre entre une tribu de fourmis magnans, carnivores, et les occupants d’une termitière, qui sont herbivores (les termites ne mangent que du bois). Terrible, les fourmis magnans ! On les voit en particulier s’attaquer à un assez gros serpent, qui n’en réchappera pas. Leur détachement est constitué de dix millions d’individus, nous apprend le commentaire : un rêve de général en chef.
Au fait, pas loin du lieu de tournage, en Côte d’Ivoire, la tribu des Baoulés, dont l’ancien président Félix Houphouët-Boigny était le chef (là-bas, on dit « le roi »), avait coutume de livrer aux magnans ses ennemis prisonniers. Par chance (?), le Vieux s’était converti au catholicisme, sans quoi, son successeur Laurent Gbagbo ne serait pas là où il est. Et nous ne serions pas brouillés avec la Côte d’Ivoire. À quoi tient la politique.....
La technique est éblouissante, au point qu’on se demande comment l’équipe de tournage a pu s’y prendre, mis à part le fait qu’une termitière « de tournage » a été en partie reconstruite pas loin de la vraie. En tout cas, on ne verra pas les acteurs faire la promo chez Ruquier ni Denisot, c’est déjà ça.
Réalisé par Christopher Smith
Sorti en France (Festival de Cannes) le 19 mai 2006
Sorti en France le 18 octobre 2006
Ce mot anglais, severance, désigne l’interruption des relations ou des communications. Dans le film, c’est aussi le nom de l’endroit où, en Hongrie, aboutissent les personnages.
Genre du film : horreur et sarcasme. L’horreur est moyennement horrible et ménage donc la sensibilité du spectateur, le sarcasme est perceptible dès la première scène, avec deux filles englouties au fond d’un trou dont elles ne peuvent pas sortir ; elles utilisent alors leurs soutien-gorge pour tenter de fabriquer une corde qui devrait les tirer de là. Ce ton perdure jusqu’à la dernière image, quand le seul homme survivant regagne la civilisation, en barque, avec trois filles, et, quoique amoché, leur propose une partouze !
Thème du film : les méthodes utilisées par les entreprises pour « motiver » et « dynamiser » leurs cadres. On a eu récemment Fair-play, film français passable. Et, sur un thème voisin (mais il s’agissait alors de recrutement), La méthode, film espagnol. Avec Severance (titre malencontreux puisqu’il est employé pour la troisième fois en seize ans), on atteint à l’absurde : Palisade Defense, sympathique firme britannique qui fabrique des armes et notamment des mines anti-personnelles, envoie ses cadres en Hongrie pour un stage de paint-ball, activité très sérieuse où l’on doit se tirer dessus avec des fusils qui crachent de la peinture. Un autocar est censé les amener à un « luxueux chalet », mais un conflit avec leur chauffeur, qui les abandonne en pleine forêt, fait qu’ils échouent dans une maison isolée n’ayant rien à voir avec leur lieu de villégiature, où les attendait leur patron en compagnie de deux putes. Pour comble, ils sont pris en embuscade par un groupe de terroristes pacifistes, qui entend les exterminer pour leur apprendre à vivre, et qui a semé un peu partout des pièges à loups et des mines justement fabriqués par leur société. Les calamités qui leur tombent dessus valent ainsi leur pesant d’humour noir. Ainsi, l’un des gars se coince la jambe dans un piège à loups, et, chaque fois que ses copains tentent d’écarter les mâchoires de l’engin, elles leur échappent et se referment en claquant sinistrement. Au bout de quatre ou cinq tentatives, la jambe est complètement cisaillée !
Remarquée, une tentative de gag qui est un hommage à Jerry Lewis (le fameux gag incomplet qu’il avait inventé, et dont je parle dans mon article sur Docteur Jerry et mister love) : un type batifole sur un plongeoir, au-dessus d’une piscine désaffectée et pleine de feuilles mortes. Puis la caméra le délaisse et passe à autre chose. Quelques minutes plus tard, on le voit passer, couvert des mêmes feuilles mortes. Il est évidemment tombé dans la piscine, mais le spectateur n’en a rien vu.
Réalisé par Éric Lavaine
Sorti en France et en Belgique le 25 octobre 2006
Un court-circuit durant une soirée-mousse dans une boîte gay en 1979 provoque un incendie, et tous les clients finissent grillés. De nos jours, la maison qui abritait ce lieu, jamais relouée, est achetée par un jeune couple, et le jeune homme ne tarde pas à s’apercevoir que la baraque est hantée, alors que sa compagne ne voit pas les intrus, cinq fantômes homos assez caricaturaux.
D’abord, on s’étonne que la catastrophe n’ait produit que cinq victimes, ce qui fait un peu fauché, tout en rappelant le très raté Hair de Milos Forman, avec ses quatre hippies quand il en aurait fallu vingt-cinq. Et la crainte n’est pas vaine que, passé cette exposition, l’histoire se mette à tourner en rond, faute de renouvellement. En effet, avec un tel point de départ, le scénariste Héctor Cabello Reyes n’a pas su trouver quelques péripéties qui permettraient d’avancer, et sauveraient le film d’un naufrage rappelant presque celui du sinistre Pédale dure. De sorte qu’en fin de compte, on s’ennuie... et qu’on est vaguement dégoûté. Jugez de la stupidité du dénouement : les fantômes gays, qui ne peuvent pas sortir de leur cave avant 2706, seront néanmoins sauvés de leur ennui évidemment mortel, car le couple reconstitue la boîte de nuit et importe en guise de clients les centaines d’homos morts durant la destruction... de Pompei !
Deux gags très fins : en feuilletant un magazine, l’un des fantômes apprend que nous sommes en 2006, puis, tombant sur une photo de Bertrand Delanoë, s’écrit : « Tiens, mon ex est devenu maire ! ». Et puis, le principe selon lequel seuls les individus n’ayant jamais eu de relations sexuelles avec un homme voient les fantômes trouve une illustration inattendue : le chanteur Dave les voit ! Mais alors ?...
Par pitié pour les trois acteurs principaux, dont l’un est un vétéran parfaitement honorable, on ne les nommera pas.
Réalisé par Jacques Fieschi
Sorti en France (Festival de Cannes) le 26 mai 2006
Sorti en France le 25 octobre 2006
Titre qui n’a rien à voir avec le sujet, puisque l’essentiel se passe dans les environs de Cannes, avec un épilogue dans l’ex-Yougoslavie. Maguy est riche – ou le paraît, car guettée plutôt par la dèche – et entretient à domicile une foule de parasites : une vieille amie, son coiffeur, le petit ami du coiffeur, un factotum yougoslave chargé de veiller à la fois sur son yacht (qu’elle n’utilise pas) et sur sa libido, un ami du factotum aux fonctions peu définies mais qui a fait la guerre avec lui, et quelques domestiques indispensables. En revanche, elle a naguère abandonné sa propre fille. Mais, prise de regrets tardifs, elle fait revenir celle-ci, pas vue depuis dix ans, épisode qui va servir de catalyseur à un drame dont l’histoire se serait bien passée.
Car tout est là : si l’auteur-réalisateur s’en était tenu aux échanges de propos aigres-doux et à la description de parasites friqués, comme dans les deux premiers tiers du film, ce serait presque satisfaisant. Pourquoi, dans ce cas, vouloir corser son histoire en introduisant un double drame qui se termine par deux meurtres, dont le second semble particulièrement gratuit ?
On en tire l’inévitable conclusion : il ne faut jamais dramatiser si la logique du récit ne l’impose pas. Sanction immédiate à ce genre de manquement, le spectateur se désintéresse de l’histoire.
Une remarque en passant, madame Nathalie Baye, actrice avec trente-six ans de métier, ne connaît pas le mot loquace : elle prononce « lokass » au lieu de « lokouass ». Comme quatre-vingt-dix-neuf acteurs sur cent, elle piétine donc son principal instrument de travail, sa langue maternelle. Mais ces gens sont trop mal pauvres pour s’offrir un dictionnaire, c’est notoire.
Réalisé par Clint Eastwood
Titre original : Flags of our fathers
Sorti aux États-Unis le 20 octobre 2006
Sorti au Japon le 21 octobre 2006
Sorti en France et en Belgique le 25 octobre 2006
Le titre d’origine, Flags of our fathers (en français, Les drapeaux de nos pères) est plus précis, car il s’agit bien d’un drapeau, celui des États-Unis, qu’une poignée de soldats plantèrent au sommet d’une colline, sur l’île d’Iwojima, au début du débarquement sur cette île stratégiquement importante, puisqu’elle ouvrait la voie vers le Japon durant la Seconde Guerre Mondiale. Cet acte n’eut rien d’héroïque, il fut même parfaitement banal et pépère, l’endroit n’étant pas sous le feu de l’ennemi japonais. Or il se trouva que, d’une part, une photo fut prise à cette occasion, et qui plut fort à l’État-major ; d’autre part, que le drapeau était ridiculement petit et que l’officier qui l’avait prêté voulut le récupérer. On en profita ainsi pour... refaire la photo, mise en scène cette fois, avec six autres soldats qui se trouvaient là par hasard, dont la photo ne montrait pas le visage, et dont trois furent d’ailleurs tués par la suite. Envoyée aux journaux qui la publièrent, cette photo eut un immense succès populaire, ce qui incita le président Roosevelt puis son successeur Truman à rapatrier les trois figurants survivants pour les exhiber au cours d’une tournée de propagande, destinée à récolter des fonds pour la poursuite de la guerre.
C’est ce que montre le film de Clint Eastwood, mêlant les péripéties de cette campagne de publicité souvent grotesque avec des retours en arrière sur la guerre elle-même, beaucoup moins glorieuse évidemment. En somme, on décrit (dénonce ?) une imposture. À cela près qu’il s’agissait en l’occurrence d’une imposture utile, les caisses de l’État étant alors tragiquement vides ! Or on ne s’oppose pas aux hordes nazies, et pires, japonaises, en leur offrant des fleurs... Ce qui, disons-le, rend la dénonciation un tantinet dérisoire : il y a d’autres cibles, en ce moment, que la politique intérieure de Truman.
Le film est bien fait, un peu long, classiquement hollywoodien, voire trop. Ce qu’il montre de mieux, c’est le dégoût, pour des hommes banals, d’être pris pour des héros, qu’ils ne sont pas, et statufiés vivants, quoique très provisoirement, il fallait s’y attendre. Leur notoriété ne profitera même pas à l’un des trois hommes, un Indien, qui pour cette raison ethnique se voit refuser un verre dans un bar : héros national, mais paria. Il finira d’ailleurs très mal.
Pour une fois, la musique, due au réalisateur en personne, est bonne. Ce n’est pas si courant.
Sites associés : Yves-André Samère a son bloc-notes films racontés
Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.