Œuvres citées (en italique, autres que des films) : Ze film – Roméo et Juliette – Ray – Stage beauty – Othello – Shakespeare in love – Final cut – Le cauchemar de Darwin – Darwin’s nightmare – Super size me – La vie aquatique – Le souffleur – La cage aux folles – Assaut sur le central 13 – État des lieux – Ma 6-T va crack-er – De l’amour – Le camion – Le couperet – La mariée était en noir – The ax – Boudu – Calvaire – De battre mon cœur s’est arrêté – Fingers – Arsène Lupin – Saw – Les rivières pourpres – Before sunset – Before sunrise – Omagh – Les mots bleus – Stupeur et tremblements – Trouble – Million dollar baby – Mystic river – Boys don’t cry – 11 heures 14 – Le dahlia noir – Crustacés et coquillages – Jeanne et le garçon formidable – Drôle de Félix – Ma vraie à Rouen – L’île atlantique – Hôtel Rwanda
Personnes citées : Guy Jacques – Stanley Kubrick – Luc Besson – Loránt Deutsch – François Morel – Yolande Moreau – Taylor Hackford – Jamie Foxx – Ray Charles – Rupert Everett – Richard Eyre – George II – Edward Kynaston – Bruce Willis – Omar Naïm – Robin Williams – Hubert Sauper – Wes Anderson – Jacques-Yves Cousteau – Jean-Michel Cousteau – Jules Verne – Guillaume Pixie – Romain Duris – Frédéric Difenthal – Pierre Étaix – Federico Fellini – Jerry Lewis – Jacques Tati – John Carpenter – Jean-François Richet – Mathieu Kassovitz – Jean-Pierre Jeunet – Marguerite Duras – José Garcia – François Truffaut – Alexandra Stewart – Charles Denner – Jeanne Moreau – Donald Westlake – Costa-Gavras – Michel Simon – Jean Renoir – Gérard Jugnot – Fabrice Du Welz – Jacques Audiard – James Toback – Jean-Sébastien Bach – Caroline Duris – Ethan Hawke – Julie Delpy – Richard Linklater – Pete Travis – Alain Corneau – Sylvie Testud – Harry Cleven – Benoît Magimel – Clint Eastwood – Hilary Swank – James Ellroy – Morgan Freeman – Olivier Ducastel – Jacques Martineau – Jacques Bonnaffé – Vincent Delerm – Tony Duvert – Paul Rusesabagina – François Mitterrand – Oskar Schindler – Steven Spielberg – Terry George – Claude Lanzmann – Jean Reno
Réalisé par Guy Jacques
Sorti en France le 23 février 2005
Trois jeunes gars des banlieues, dont un seul a quelques notions et quelques rêves de cinéma – ses copains le surnomment Kubrick –, entreprennent de réaliser une adaptation « moderne » de Roméo et Juliette... avec du matériel de tournage volé. Le film, interprété par des copains, sera aussi calamiteux que le tournage, et on ne tente pas de nous faire croire aux miracles : son exploitation se borne finalement à une projection sur la façade d’un immeuble de HLM.
Une petite curiosité, cette production de Luc Besson raille au passage « les bouses où l’on se tape dessus et où l’on se casse la gueule en bagnole ». Il faut croire que l’autodérision est rentable. Le film, pas déshonorant, est coproduit par TF1, mais apporte la caution morale de Loránt Deutsch, François Morel et Yolande Moreau. Cela compense.
Réalisé par Taylor Hackford
Sorti au Canada (Festival de Toronto) le 12 septembre 2004
Sorti en France le 23 février 2005
Taylor Hackford, qui est loin d’être un génie du cinéma, mais qu’on reconnaît en général comme un bon fabricant, réalise une biographie de musicien comme on en a vu des dizaines, et qui ne réserve pas la moindre surprise. La dramaturgie est convenue, et les séquences habituelles au genre s’égrènent sans coup férir. À l’actif du film, les scènes musicales sont honnêtement conçues, et Jamie Foxx, qui ne ressemble pas vraiment à Ray Charles, a su reproduire ses attitudes avec vraisemblance, quoique rien de plus. De sorte que, long, le film ne paraît pas trop long. Mais mieux vaut être un admirateur de la musique du Genius, parce qu’il n’y a rien d’autre.
Réalisé par Richard Eyre
Sorti aux États-Unis (Festival de Tribeca, New York) le 8 mai 2004
Sorti en France le 2 mars 2005
Ouf ! Rupert Everett ne joue pas l’homo de service. Dans cette comédie adaptée du théâtre, il est le roi d’Angleterre George II, un souverain plutôt favorable à la suppression de l’interdiction qui est faite aux femmes de jouer sur la scène des théâtres officiels.
Il s’avère que le comédien le plus célèbre du moment, Edward Kynaston, spécialiste des rôles féminins, offense involontairement la maîtresse du roi, lequel, du coup, en rajoute et interdit aux acteurs masculins de jouer des rôles de femmes. Kynaston se retrouve au chômage. Il va se plaindre au roi, qui lui suggère de jouer plutôt les hommes, mais Kynaston, conditionné depuis l’enfance, en est incapable et reprend tous ses tics féminins en essayant d’interpréter... Othello ! Déchu, il sombre et ne trouve plus de travail que dans des cabarets de bas étage, d’où viendra le tirer son ancienne habilleuse, devenue entre-temps vedette de la scène : incapable d’assurer le rôle de Desdémone, elle a besoin d’un metteur en scène. Kynaston finira par surmonter son handicap, jouer Othello en sa compagnie, triompher par son jeu plein de conviction... et se convertir à l’hétérosexualité, seul épisode un peu convenu dans le scénario, et qui, avouons-le, passe mal.
Tout le reste est parfait, de la description du travail sur l’art de la scène aux questions concernant l’identité sexuelle, et les comédiens sont exemplaires. Le film est meilleur que le surestimé Shakespeare in love, dont le scénario charriait quelques sottises.
Notons le dernier exploit de nos amis les sous-titreurs, cette réplique : « Il me met la pression », tout à fait courante au dix-septième siècle, comme on sait.
Réalisé par Omar Naïm
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) le 11 février 2004
Sorti en France le 23 février 2005
Mauvais titre ! C’est le huitième film qui le porte depuis 1980.
Mais bon film : à la sophistication de ce scénario d’anticipation, on devine que l’auteur n’est pas un concitoyen de Bruce Willis. Le scénariste-réalisateur est en effet un Jordanien de 27 ans, Omar Naïm, qui n’en est qu’à son troisième film, celui-ci ayant bénéficié de la caution de Robin Williams. Malgré cela, du reste, il n’a eu aucun succès, puisque ne comportant aucune bagarre, aucune poursuite de voitures, aucune explosion, aucun extraterrestre ; que le sexe en est totalement absent (pas de vedette féminine) ; que les trucages numériques y brillent aussi par leur absence ; et que nul n’y profère la moindre grossièreté.
À dix ans, Alan a provoqué la mort accidentelle d’un garçon de son âge, et s’est enfui sans en parler à quiconque. Depuis, ce souvenir le hante. À présent quinquagénaire, Alan travaille comme monteur pour la société Eye Tech (au passage, appréciez le calembour), qui fabrique des implants organico-électroniques, gadgets que des parents fortunés font placer dans le cerveau de leur bébé avant sa naissance, et qui enregistre dès lors tout ce que verra et entendra le porteur de l’objet. Lors de son décès, sa famille peut ainsi utiliser le film de sa vie pour en faire un éloge funèbre qui sera vu en vidéo sur sa tombe ! Bien entendu, après n’en avoir conservé que les épisodes flatteurs... C’est 1984 en plus moderne. D’où l’utilité des monteurs de la firme, qui sont avant tout sélectionneurs.
Alan, qui travaille sur les souvenirs d’un grossium décédé, Bannister, dont les ennemis écolos voudraient révéler au public les aspects les plus scandaleux de son existence, apprend d’autre part que l’enfant dont il a cru causer la mort a survécu en réalité, vient seulement de trépasser... et que lui-même, Alan, est porteur d’un implant ! Il va donc, en dépit du danger que représente la manipulation, se repasser ses propres souvenirs et obtenir la confirmation qu’il n’a rien à se reprocher. Mais, alors que l’implant de Bannister vient d’être détruit accidentellement et ne peut plus servir de pièce à conviction, les ennemis du grossium l’abattent et s’emparent de son propre implant : puisque lui-même a visionné toute la vie de Bannister, les informations convoitées sont à présent dans son cerveau, et là seulement.
Comme on voit, il faut suivre... ou lire le résumé ci-dessus. Le film n’a aucun temps mort, sa réalisation est sobre, mais on se demande si Robin Williams était bien l’acteur adéquat. Malgré cela, l’intelligence de l’histoire rappelle Isaac Asimov, et ce n’est pas un mince compliment.
Réalisé par Hubert Sauper
Titre original : Darwin’s nightmare
Sorti en Italie (Festival de Venise) le 1er septembre 2004
Sorti en France le 2 mars 2005
Ce documentaire n’a pas de qualités cinématographiques particulières, et pourrait passer pour un reportage télévisé, à supposer qu’une chaîne accepte d’acquérir un reportage qui s’étend sur 1 heure et 47 minutes. Il n’a pas de qualités cinématographiques, et il présente aussi deux gros défauts.
Premier défaut, après avoir annoncé le sujet principal, on l’oublie pendant près d’une heure, au profit d’un documentaire de plus sur la pauvreté en Afrique et sur les ravages du sida. Pas inutile en général, mais cette digression retarde ici l’entrée en matière, peut impatienter le spectateur, et dessert donc le film. On récupère le principal centre d’intérêt à l’occasion d’un congrès tenu au Kenya, au cours duquel un écolo relance ledit sujet un peu perdu de vue. Construction discutable, par conséquent.
Second défaut, je vous en parle un peu plus loin.
Mais de quoi s’agit-il ? D’une catastrophe écologique : on a, un jour, importé des perches du Nil pour en peupler le lac Victoria. Erreur calamiteuse, car cet énorme poisson est un prédateur, qui a fait disparaître tous les autres poissons du lac, y compris ceux qui, en se nourrissant d’algues, empêchaient celles-ci de pomper tout l’oxygène de l’eau. Cette importation a permis d’implanter en Tanzanie une industrie de traitement du poisson : on récupère les filets des perches capturées, puis on les exporte vers les pays riches, car ce traitement, coûteux, fait grimper les prix et rend la consommation impossible aux habitants du coin, trop pauvres. À ceux-ci, on refile seulement les carcasses : tête, arêtes, lambeaux de chair restant... plus les asticots qui s’y sont installés ! Sordide, scandaleux, mais inévitable : la région n’a pas – ou plus – d’autres ressources.
Le remède ? Pas de remède. Quand bien même on parviendrait à éliminer l’envahisseur (comment ? À l’aide d’un autre prédateur ?), ou qu’à force de détruire son environnement, ce poisson se prive tout seul de nourriture et disparaisse, on y perdrait du coup la principale ressource de la région. Bref, destruction irréversible.
Le second défaut du film auquel je faisais allusion plus haut est le suivant : les filets de perche préparés pour l’exportation sont expédiés à l’étranger par avion. Au début du film, on nous rapporte que ces avions arrivent vides et repartent pleins, mais, peu avant la fin, on avance qu’en fait, ils arrivent chargés d’armes et de munitions destinées aux guerres locales, qui ne manquent certes pas sur le continent. Or cette accusation, illustrée par une affiche réussie mais racoleuse, n’est nullement étayée, puisque la seule « preuve » que le film apporte est le témoignage d’un journaliste local. Un peu léger...
À voir malgré tout, mais comme on voyait Super size me : en ne perdant pas de vue qu’il s’agit d’un documentaire militant.
Réalisé par Wes Anderson
Titre original : The life aquatic with Steve Zissou
Sorti aux États-Unis le 20 novembre 2004
Sorti en France le 9 mars 2005
Il paraît, – c’est lui qui le prétend – que le réalisateur, Wes Anderson, voyait en Cousteau une idole. Qu’est-ce que ce serait s’il avait vu en lui sa bête noire ! Le générique de fin, malicieusement, affirme que l’équipe du « commandant » n’a pas participé à l’élaboration du film. On s’esclaffe. Car presque tout y passe, sur le prétendu Français le plus populaire du monde : l’obsession de son image, son avidité, ses bidonnages, ses connaissances approximatives, les stagiaires exploités, les animaux sacrifiés pour la prise de vue, son indifférence envers son fils Jean-Michel (qu’il a honteusement traîné dans la boue), ses impostures. Il n’y a que ce détail qui n’est pas mentionné : Cousteau laissait raconter qu’il avait inventé le scaphandre autonome. Outre que l’idée est déjà dans Jules Verne, le fameux scaphandre avait été réalisé par d’autres, avant qu’il y apporte quelques améliorations.
Le film est loufoque, bourré de pseudo-extraits de documentaires où le style des films de Cousteau est reproduit à la perfection, et n’a guère que l’inconvénient de durer presque deux heures. Le genre comique ne supporte pas ce standard, et le spectateur est saturé au-delà d’une heure et demie, en général.
Et puis, la touche d’émotion (le fils meurt à la fin) est de trop. Cela fait recette de cuisine : deux louches de rire, une louche de satire, trois cuillerées de sentiment, une pincée de regrets, une giclée de larmes. Tout le cinéma commercial suit le canevas, depuis les origines.
Réalisé par Guillaume Pixie
Sorti en France le 9 mars 2005
Guillaume Pixie (vrai nom : Guillaume Lecoquierre ; Pixie était le titre du court-métrage qu’il a réalisé avant Le souffleur) est un débutant qui sans doute n’ira pas plus loin. Il a écrit, interprété, réalisé ce film, probablement sans prendre conseil de quiconque, et cela se voit. Un avis impartial lui aurait peut-être évité de choisir ce postulat qui ne tient pas une seconde : un souffleur de théâtre, peu armé pour la vie et qui ne voit l’existence que depuis son trou de souffleur, réécrit (ou rêve qu’il réécrit) les répliques des grandes pièces données dans son théâtre, avant d’appliquer cette technique à ses aventures personnelles. Il entreprend alors de rédiger par avance tout ce qu’il dira, par exemple au cours d’un dîner avec sa dulcinée. Hélas, voilà bien une quarantaine d’années que les trous de souffleur n’existent plus, y compris pour les pièces nommées dans le dialogue, comme La cage aux folles.
L’interprétation est très moyenne : Pixie lui-même est une sorte de Romain Duris en plus fade, avec moins de talent, et Frédéric Diefenthal est l’absence de charisme personnifiée. Les dialogues, très écrits, mais débités à une allure de mitraillette qui en fait perdre les trois quarts, sont parfois d’une bêtise consternante. Ainsi, Diefenthal attend la visite d’une fille, elle sonne, il va lui ouvrir, une flûte de champagne à la main, et l’accueille ainsi : « Mes boules... pardon, mes bulles s’impatientaient ».
Au total, on s’ennuie – ce film d’une heure un quart semble plus long –, et on ne rit pas. Dire que certains ont comparé Pixie à Pierre Étaix ! Ce dernier était un génie du cinéma, admiré des plus grands, Fellini, Jerry Lewis, et ses inventions visuelles étaient dignes de Jacques Tati, avec lequel il avait travaillé. Rien à voir avec cette chose.
Réalisé par Jean-François Richet
Titre original : Assault on precinct 13
Sorti au Canada le 19 janvier 2005
Sorti en France le 2 mars 2005
Encore un remake, d’après un film de John Carpenter cette fois. La pénurie de scénarios à Hollywood nous emplit tous d’une peine profonde...
Jean-François Richet est français, il s’est fait connaître chez nous par trois films sur la banlieue, État des lieux, en 1995, Ma 6-T va crack-er – titre prémonitoire, puisque en forme de SMS dès 1997 –, et De l’amour, en 2001, film que j’avais bien aimé. Rien ne le désignait pour travailler aux États-Unis, et, à mon avis, après celui-là, il va faire comme ses collègues Mathieu Kassovitz et Jean-Pierre Jeunet : regagner la mère-patrie. Sans doute pour y mouliner du polar au kilomètre !
Assaut sur le central 13 (pourquoi « central » ? Un precinct désigne plutôt un commissariat, aux États-Unis) relève du film de genre, et son style en fait ce que les gens polis appellent « du cinéma efficace », c’est-à-dire que le fond n’a aucune importance et n’a d’autre but que de mettre en valeur la forme. Et de la forme, il y en a ! Caméra portée (par un opérateur atteint de la danse de Saint-Guy), incendies, explosions, coups de feu, coups de poing, coups de couteau, et, bien sûr, bande sonore qui hurle, au maximum de sa puissance, sur la totalité du film. Le scénario, lui, se définit par « de la castagne, encore de la castagne, toujours de la castagne », et il met en scène, dans un commissariat en instance d’être désaffecté, une poignée de taulards contre une poignée de policiers, au nombre desquels on n’est pas surpris de retrouver celui à la veille de la retraite et celui qui a des problèmes psychologiques à la suite d’une vilaine affaire, personnages présents dans tous les films et téléfilms imaginés outre-Atlantique. Lesdits problèmes psychologiques justifiant, en prime, la présence d’une psychiatre égarée dans le poste de police... en robe du soir !
On s’ennuie à mourir. Après cela, il vous vient le rêve de revoir un bon vieux Marguerite Duras. Le camion, tiens !... C’est l’occasion ou jamais.
Réalisé par Costa-Gavras
Sorti en France le 2 mars 2005
Parce qu’ils lui barrent le chemin dans la course à l’emploi, le personnage interprété par José Garcia a le projet d’éliminer cinq hommes qu’il ne connaît pas. C’est La mariée était en noir ! L’analogie avec ce film de Truffaut est renforcée par deux détails : un innocent est arrêté à sa place (chez Truffaut, c’était l’institutrice interprétée par Alexandra Stewart), et l’une de ses victimes potentielles est si sympathique que le spectateur souhaite qu’il l’épargne (l’équivalent était Charles Denner, le peintre que Jeanne Moreau tuait quand même).
Inspiré de The ax, roman de Donald Westlake, le scénario donne l’impression de faire du sur-place. En outre, il est peu rigoureux. Ainsi, au début du film, le fils se plaint que la famille n’ait plus le câble ni Internet, mais, à la fin, le père reçoit un message électronique : comment ce message est-il arrivé ? Par les tuyaux du gaz ? Et puis, l’épisode du fils qui vole des logiciels n’a rien à voir avec l’histoire, ne fait qu’allonger la durée du film, et distraire le spectateur du thème principal. Certes, c’est dans le roman, et voilà donc la preuve qu’une adaptation ne doit pas tout conserver du récit d’origine.
Costa-Gavras, tout occupé à la dénonciation de la société moderne (on ne dit pas qu’il a tort), parsème son film d’images de fausses pubs censées souligner la vulgarité du profit. Mais on peut douter que le spectateur les voit...
Comme prévu, Le souffleur, qui n’est sorti dans aucun pays autre que le nôtre, a quitté l’affiche, à Paris du moins, au bout d’une semaine. On ne le voit plus que dans trois salles, à Nice, à La Rochelle et à Valence. C’est une règle, le sud est toujours plus éprouvé que le nord.
Réalisé par Gérard Jugnot
Sorti en France et en Belgique le 9 mars 2005
Dialogue :
– Je vais me marier avec Coralie.
– Mais tu n’as aucune situation, aucun métier entre les mains.
– J’ai c’qu’y faut entre les jambes !
La distinction et l’élégance dont le film est empreint ont valu à son réalisateur d’étranges compliments, décernés par les habituels manieurs de brosse à reluire. Par exemple, que son film est supérieur à celui de 1932, avec Michel Simon. Jean Renoir moins bon que Jugnot, rien ne fait reculer certains grossistes en cirage.
Réalisé par Fabrice Du Welz
Sorti en France (Festival de Cannes) le 18 mai 2004
Sorti en France le 16 mars 2005
Ouf ! Les Belges peuvent faire aussi de mauvais films. On commençait à en douter.
Marc Stevens, chanteur obscur qui donne l’essentiel de ses récitals dans des maisons de retraite, tombe en panne dans un coin perdu, et Bartel, l’aubergiste qui le loge, fait tout pour l’empêcher de partir ou de se rendre au village voisin. Il finit par incendier son véhicule, l’assommer, le séquestrer, l’habiller en femme en vue de remplacer son épouse qui l’a quitté, et procéder à un simulacre de crucifixion. Les habitants du village, où ne vit aucune femme, ne valent pas mieux : tous aussi fous que Bartel, ils copulent avec... des sangliers.
Bref, après un début intéressant qui installe histoire et atmosphère de façon très sobre, cela tourne au délire, à l’onirisme, au carnage, au n’importe quoi, démontrant qu’un mauvais scénario ne peut pas donner un bon film.
Réalisé par Jacques Audiard
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) le 17 février 2005
Sorti en France le 16 mars 2005
... Et d’amour, belle marquise, vos beaux yeux mourir me font.
Le plus intéressant du film est l’interview que Jacques Audiard, réalisateur, a donné à la feuille de chou publicitaire du distributeur UGC, « Illimité » – un monument de complaisance. Résumons : il ne veut « plus être à l’origine de [ses] films », mais réaliser des scénarios « prêts à tourner », parce que « travailler seul, c’est trop chiant » ; il ne s’est pas « beaucoup documenté sur le milieu de l’immobilier, [décrit dans son film] comme un repaire de malfrats » ; il n’avait « pas de sujet » et son producteur « non plus », de sorte qu’il a fait un simple remake d’un film de James Toback, sorti en 1978, Fingers ; son co-scénariste « déteste Fingers » ; et lui-même « n’aime pas du tout » la musique de Bach qu’on entend dans le film, parce que « c’est de la musique de technicien, de psychopathe ». Jean-Sébastien Bach psychopathe, merci pour ce précieux diagnostic.
L’interprète principal est doublé (par Caroline Duris) lorsqu’il joue du piano, sauf lorsque le passage est très court, mais la publicité, payante ou rédactionnelle, n’a cessé de répéter que Romain Duris a travaillé le piano pendant des mois pour jouer ce rôle d’un malfrat de l’immobilier (voulant faire déguerpir les locataires des logements insalubres qu’il achète à bas prix, il lâche des rats dans les escaliers ; afin d’empêcher l’association Droit au Logement d’installer des pauvres dans les appartements vides, il démolit les lieux à coups de masse, etc.), d’un cynique petit salaud bien de son époque, et qui subitement veut devenir pianiste de concert, ce qu’on voit tous les jours. D’ailleurs, la « rédemption » échoue, puisque, lors de sa seule audition, il s’avère incapable de jouer la moindre note, et que c’est sa femme et son ex-professeur qui réussit à sa place ; après toutefois une séquence d’épilogue qui feint, quelques minutes, de nous laisser croire le contraire, alors qu’en fait il est devenu le régisseur de sa femme.
L’acteur n’est pas mauvais, mais son physique le rend plus vraisemblable dans le rôle d’un voyou que dans celui d’un virtuose, même en puissance. Déjà, dans Arsène Lupin, il flanquait le film par terre, car il était l’exact contraire du personnage, qui est l’incarnation de l’élégance. Le scénario ? Contrairement à ce qu’on affirme un peu partout, sous le prétexte qu’Audiard a été scénariste avant de faire de la réalisation, il ne vaut pas grand-chose, faute d’avoir été suffisamment travaillé. Après l’interview mentionnée ci-dessus, cela vous étonne ?
Réalisé par James Wan
Sorti aux États-Unis (Festival de Sundance) le 19 janvier 2004
Sorti en France le 16 mars 2005
Le meilleur et le pire dans ce film de suspense et d’horreur.
Le meilleur est dans le scénario : deux hommes sont séquestrés dans un lieu clos, sinistre, repoussant. L’un doit tuer l’autre avant 18 heures s’il veut que sa femme et sa fille soient épargnées. La tension ne cesse jamais.
Le meilleur est aussi dans la réalisation : bien que l’essence de cette histoire tire nettement sur le gore, ce qu’on en voit n’est jamais racoleur ni complaisant. Ainsi, on devine dès le début que l’un des prisonniers, un chirurgien, va devoir se scier un pied pour se libérer de ses chaînes, et il le fait effectivement, mais on ne voit rien de l’amputation, ni durant l’opération, ni après.
Le pire est dans le scénario : le méchant du film – et deviner son identité fait partie du jeu – est un personnage qu’on a seulement vu quelques secondes au début, un malade incurable qui « en veut » au chirurgien. C’est une bourde comparable à celle qui concluait Les rivières pourpres, une conclusion très frustrante pour le spectateur.
Le pire est aussi dans la réalisation : tous les procédés du film d’horreur y passent, avec une caméra portée qui ne cesse de gesticuler, avec surtout une bande son qui se charge de l’essentiel du suspense et des surprises style « coup de poing ». On n’a pas lésiné sur la grosse caisse ni les cymbales.
C’est pourquoi le film est à voir « à la rigueur », pas davantage.
Réalisé par Richard Linklater
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) le 10 février 2004
Sorti en France le 16 mars 2005
La suite de Before sunrise, film de 1995. Dans ce premier film, Céline et Jesse se rencontraient dans un train venant de Budapest, et le premier convainquait la seconde de descendre avec lui à Vienne pour y passer une nuit blanche, en attendant son avion, à l’aube. Ils tombaient amoureux sans se l’être dit, et se quittaient avec la promesse de se retrouver au même endroit six mois plus tard.
Dans cette suite, les deux interprètes, Ethan Hawke et Julie Delpy, sont co-auteurs du scénario avec le réalisateur Richard Linklater : les deux personnages se retrouvent après dix ans de séparation, donc le fameux rendez-vous n’a pas eu lieu. Et, innovation, nous suivons en intégralité leur conversation, qui dure une heure vingt, dans les rues de Paris, sur un bateau-mouche, dans une voiture, dans un appartement pour terminer. Ils y évoquent ce qu’ils ont vécu entre-temps, et parlent notamment de leurs mariages respectifs, tous deux ratés. Vont-ils se remettre ensemble ? Sans doute pas (ils ont eu des enfants depuis), mais ils vont certainement revivre une aventure ensemble.
L’histoire est romanesque, les personnages ne le sont pas, heureusement. Très agréable à suivre, pas mièvre, et pas du tout dans la tendance actuelle.
Les interprètes sont bons, surtout l’interprète masculin, qui a beaucoup de présence. Une petite erreur de réalisation, pourtant : les deux protagonistes sont censés ne pas quitter la rive gauche dans la première moitié du film, mais on les voit soudain dans une rue du village Saint-Paul, qui se trouve rive droite, alors qu’à aucun moment ils n’ont traversé la Seine (on l’aurait vu, puisque le récit est fait en temps réel)... Néanmoins, le tournage de la première partie, en longs plans-séquences dans les rues du Quartier Latin, est un petit exploit.
Réalisé par Pete Travis
Sorti en Irlande le 22 mai 2004
Sorti en France le 23 mars 2005
Film réalisé pour la télévision. On est d’abord agacé par la technique, digne d’une prise de vue au caméscope tenu par un amateur débutant, qui tremblote et zoome à tout va. Puis on est pris très vite par le sérieux du propos.
Des dissidents de l’IRA, mécontents de l’accord signé avec les autorités officielles, ont formé un groupe clandestin, le Real IRA – ils ont dû prendre des leçons en Corse –, et font exploser dans la ville d’Omagh, en Irlande du Nord, une bombe de 250 kilos, qui fera vingt-neuf morts et plus de deux cent cinquante blessés. Or les services secrets avaient infiltré le Real IRA, et leur taupe avait averti que l’attentat se préparait, fournissant tous les détails. Malgré cela, rien n’avait été fait pour empêcher le carnage. Aucun coupable arrêté, ensuite. Et, lorsque les familles se résolurent à mener leur propre enquête, les officiels affirmèrent que l’indic était « peu fiable », ce qui était inexact, et réduisirent de 42 % le nombre d’enquêteurs affectés à la recherche des assassins.
Nous assistons à cette recherche des familles, à leur combat contre l’inertie des autorités, pas vraiment involontaire, et le récit se termine par les conclusions, accablantes pour la police, du médiateur officiel. C’est passionnant de bout en bout. Et sinistre dans la constatation qu’il faut faire : quand les charlots prêtent la main aux salauds, les citoyens de base n’ont guère voix au chapitre.
Réalisé par Alain Corneau
Sorti en Allemagne le 16 février 2005
Sorti en France le 23 mars 2005
Alain Corneau retrouve son interprète de Stupeur et tremblements, Sylvie Testud, mais dans un film beaucoup moins convaincant : Clara, traumatisée dans l’enfance par la mort de sa grand-mère, n’a jamais appris à lire, détail qu’elle cache comme elle peut. Sa fille, Anna, bien que physiquement normale, ne parle pas. Faute de mieux, Clara la confie à Vincent, qui dirige une école pour enfants sourds.
On devine dès le début que l’enfant parlera enfin à la suite d’une crise à venir (sa mère a failli se noyer volontairement), et l’on se demande quel est le but de tout cela. Aucune surprise, un peu d’émotion grâce aux acteurs, mais c’est tout.
Réalisé par Harry Cleven
Sorti en France (Festival du film fantastique de Gérardmer) le 29 janvier 2005
Sorti en France le 9 mars 2005
Peu après la mort de sa mère, Matyas, marié, un enfant, près d’être père une seconde fois, découvre qu’il a un frère jumeau, Thomas, lequel ignorait aussi son existence. Mais Thomas, peu à peu, va devenir envahissant. On a compris que, comme dans toutes les histoires de jumeaux physiquement semblables, il y a le bon et le méchant, et que Thomas est le méchant. L’épouse et l’enfant de Matyas s’entichent de Thomas, qui compense ainsi ses frustrations. L’antagonisme entre les deux frères culmine au point qu’ils finissent par se battre, et Thomas meurt par accident. Après l’avoir enterré clandestinement, et pour conserver l’amour de sa femme et de son fils, Matyas n’a plus qu’à se faire passer pour son frère ! Dénouement follement original, qu’on voit venir une heure à l’avance...
Cette histoire serait passable, en dépit des quiproquos très peu inattendus, si sa réalisation n’était alourdie par tous les accessoires des films d’horreur, alors que le film ne relève pas de ce genre lui aussi envahissant (du style baignoire remplie de sang). Dommage, un peu de sobriété aurait rendu le film plus crédible. La musique, où le violoncelle tient la première place en vue de nous faire comprendre que tout cela est bien douloureux, n’allège pas l’ensemble.
Film réservé aux admirateurs de Benoît Magimel, qui verront ainsi leur idole dédoublée. Les autres feront le recensement des clichés.
Réalisé par Clint Eastwood
Sorti aux États-Unis le 15 décembre 2004
Sorti en France le 23 mars 2005
Plus simple, plus clair, plus émouvant que le précédent film de Clint Eastwwod, Mystic river. Comme depuis pas mal de temps chez ce réalisateur, c’est un film sur la vieillesse, les ratages et les frustrations de la vie. Et l’une des principales qualités d’Eastwood semble être celle-ci : jamais il ne s’appesantit, jamais il ne s’attarde inutilement. Un exemple : un jeune boxeur surnommé Danger n’est pas fait pour ce métier, et il se fait railler par ses camarades d’entraînement. L’un d’eux le rosse, et Danger décide de partir. L’ami du patron de la salle corrige d’abord la brute, puis regarde par la porte donnant sur la rue ; au fond, la silhouette du garçon déçu se perd dans la nuit. L’homme, après un simple regard, referme la porte. Pas un mot n’est prononcé. Un réalisateur lourdingue aurait prolongé le plan et rajouté du dialogue. Le bon cinéma, c’est cela aussi.
L’actrice qui interprète l’apprenti boxeuse, Hilary Swank, est très bien, et elle boxe réellement. Elle jouait dans Boys don’t cry, et dans 11 heures 14, cet excellent film vu il y a quelques mois (elle y était aussi productrice exécutive). On la verra bientôt dans Le dahlia noir, d’après James Ellroy. Morgan Freeman est parfait, comme d’habitude.
Réalisé par Olivier Ducastel et Jacques Martineau
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) le 12 février 2005
Sorti en France le 30 mars 2005
Olivier Ducastel et Jacques Martineau sont un couple de réalisateurs qui ont été révélés par Jeanne et le garçon formidable, qui n’était pas si formidable que ça, car Drôle de Félix et Ma vraie à Rouen étaient bien meilleurs. Ils atteignent la réussite presque totale avec ce dernier film, une comédie hors normes – s’agissant des normes françaises, bien entendu.
Il n’y est question que de sexe, et plus précisément d’homosexualité, à partir d’un postulat très vraisemblable et plus courant qu’on le croit : une mère ultra-libérale, car éduquée « à la hollandaise », et qui veut si bien faire qu’elle tombe dans la nunucherie, se soucie un peu trop de la vie sexuelle de ses enfants, et surtout de son fils âgé de seize ou dix-sept ans. Elle le croit homo, et ne cesse de vouloir le « déculpabiliser »... alors que le garçon est à peu près aussi gay que Fellini. Son indiscrétion, chaussée de gros sabots, servira de catalyseur à une cascade d’événements au terme desquels tout le monde a couché avec tout le monde, ou presque... à l’exception du fils en question, pourtant le moins zinzin de la bande, et qui en restera, le pauvre, aux masturbations répétées sous la douche. Car l’homo de la famille n’est pas celui qu’on croit !
Les dialogues, surtout ceux des parents qu’on croit sortis d’une chanson de Vincent Delerm, font plus que friser l’absurde. Ils rappelent ceux des parents dans L’île atlantique, trop méconnu roman de Tony Duvert.
Seule la fin, chantée et dansée, trop longue, aussi maladroite que mal venue, est de trop. Les interprètes sont bons, sauf Jacques Bonnaffé, qui a l’air de sortir d’un dessin animé.
Réalisé par Terry George
Sorti au Canada (Festival de Toronto) le 11 septembre 2004
Sorti en France le 30 mars 2005
Trois bons films à la suite, mais c’est la révolution ! À celui-ci, on ne peut guère reprocher que son titre, puisque l’hôtel dont il est question est en fait l’Hôtel des Mille Collines, à Kigali ; de toute évidence, on l’a rebaptisé parce que cette expression de « Mille Collines » ne dit plus rien à personne.
Paul Rusesabagina est un personnage réel, qui est d’ailleurs conseiller technique du film. Directeur de cet hôtel très chic au début de la guerre civile, il a déployé toute son énergie à empêcher les massacres des Tutsis par les Hutus, guerre qui s’est soldée par un million de morts, à mettre au passif des gouvernants occidentaux, indifférents, voire complices – des dirigeants, pas des peuples occidentaux, qui n’ont jamais la parole en matière de politique étrangère. Au premier rang d’entre eux, cette ignoble canaille de Mitterrand, qui armait les agresseurs, et dont on se demande comment certains peuvent encore se réclamer de lui.
Paul a ainsi sauvé 1268 personnes, et on l’a très justement comparé au fameux Schindler du film de Spielberg, puisque sa méthode était identique : flatter ou soudoyer l’agresseur. Toujours impassible, toujours souriant, Paul ne perd contenance qu’une fois, lorsque, seul dans sa chambre, il fond en larmes parce qu’il ne parvient pas à nouer sa cravate. Ce trait est moins absurde qu’il y paraît. En fait, le vrai cinéma, c’est cela : filmer les comportements, et ne pas faire de psychologie de bazar.
Le film, réalisé par Terry George, est une coproduction entre la Grande-Bretagne et l’Afrique du Sud. Il est d’une très haute tenue et ne montre aucune scène atroce, en dépit du sujet. Le réalisateur a retenu les leçons de Claude Lanzmann.
Petite curiosité : Jean Reno joue le directeur de la Sabena, l’un des rares « bons » de l’histoire, mais il ne figure pas au générique.
Sites associés : Yves-André Samère a son bloc-notes films racontés
Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.