JPM - Films - Notules - Novembre 2005

Notules - Novembre 2005

 

Plus courtes que les critiques, les notules traitent d’un ou plusieurs films, ou de sujets d’actualité en rapport avec le cinéma. Jusqu’en septembre 2004, elles provenaient de divers forums aujourd’hui disparus. Par la suite, elles s’en affranchissent et sont rédigées directement ici.

Œuvres citées (entre parenthèses, autres que des films) : Match point – Melinda et Melinda – Frenzy – A history of violenceLa boîte noire – Que la bête meure – Le boucher – Spellbound – La maison du docteur Edwardes – AlexEdyFlight planFlightplan – Panic room – Une femme disparaît – 40 ans, toujours puceauThe 40 year old virgin – American pie – Free zone – Vive l’amour – Ten – Manderlay – Dogville – Mon idole – Le village – Queimada – La bataille d’Alger – Kapò – Le petit lieutenant – L’ennemi naturel – NavarroP.J.The matadorLady Vengeance – Sympathy for Mr. Vengeance – Boksuneun naui geot – Sympathy for Lady Vengeance – Chinjeolhan geumjassi – Oldboy – Three... extremes – In her shoes – L.A. Confidential – 8 mile Palais-RoyalTrois enterrementsThe three burials of Melquiades Estrada – The Hire : Powder Keg – Amours chiennes – 21 grammes – Factotum – Collision – Les protocoles de la rumeurProtocols of ZionLes Protocoles des Sages de Sion

Personnes citées : Woody Allen – Alfred Hitchcock – David Cronenberg – Richard Berry – Claude Chabrol – Gregory Peck – Ingrid Bergman – José Alcala – Stéphan Guérin-Tillié – François Berléand – Julien Lepers – Philippe Noiret – Robert Schwentke – Jodie Foster – Arthur Conan Doyle – Agatha Christie – Peter Sarsgaard – George W. Bush – Amos Gitai – Lars von Trier – Lauren Bacall – Guillaume Canet – Patrick Le Lay – Bernadette Chirac – Gillo Pontecorvo – Marlon Brando – Xavier Beauvois – Jalil Lespert – Roschdy Zem – Jean Lespert – Yanis Lespert – Nathalie Baye – Richard Shepard – Pierce Brosnan – Chan-wook Park – Curtis Hanson – Shirley MacLaine – Eminem – Valérie Lemercier – Coluche – Reiser – Diana Spencer – Tommy Lee Jones – Guillermo Arriaga – Alejandro González Iñárritu – Bent Hamer – Marc Levin – Charles Bukowski – Matt Dillon – Michael Bloomberg – Rudolph Giuliani

Match point

Mardi 1er novembre 2005

Réalisé par Woody Allen

Sorti en France (Festival de Cannes) le 12 mai 2005

Sorti en France le 26 octobre 2005

Tourné à Londres, mais ne sortira au Royaume-Uni que le 6 janvier prochain.

Extrait du dialogue, sur deux jeunes mariés : « Ils sont heureux, leurs névroses s’accordent parfaitement. Ils se sont connus dans un accident de voiture ». Dans une comédie, cette réplique aurait fait rire ; ici, dans un drame, non. Ainsi, sans peut-être l’avoir expressément recherché, Woody Allen réussit la démonstration de ce qu’il avait raté avec Melinda et Melinda : l’effet produit dépend du contexte. Au reste, on s’en serait douté.

C’est un film sur la chance. En bref, l’histoire signifie que peu importe le mérite, on ne réussit que si on a de la chance. Voilà pourquoi un garçon estimable – au départ –, et qui n’a pas grand-chose à se reprocher, sinon de s’être englué dans un confort bourgeois nouveau pour lui, en vient à devenir un horrible meurtrier pour ne pas perdre sa situation ni sa position sociale.

La critique s’est un peu focalisée sur des détails insignifiants : Woody Allen délaisse le jazz pour l’opéra, il quitte New York pour aller filmer à Londres, c’est cent pour cent british, etc. En fait, ces éléments n’ont aucune incidence sur le cours du récit. Et la manière de filmer reste identique.

Après le crime qui utilise le stratagème inventé par Agatha Christie dans A.B.C. contre Poirot, on craint un instant que la séquence finale, celle de l’enquête policière, soit superfétatoire : le drame est accompli, se dit le spectateur, peu importe la façon dont le meurtrier va se faire prendre. Or, très inattendu renversement, c’est le contraire : en voulant se débarrasser d’une pièce à conviction, il a commis une maladresse, et l’alliance qu’il voulait jeter dans la Tamise est tombée en fait sur la rive, dans un plan jubilatoire qui rappelle le premier plan du film, celui de la balle de tennis. Le spectateur croit que cette bévue va le condamner, elle le disculpe en fin de compte ! On n’a pas assisté à un retournement de situation aussi virtuose depuis un autre film londonien, d’un réalisateur qui travaillait aussi aux États-Unis, Frenzy, d’Alfred Hitchcock. Décidément, Woody Allen sait ce qu’il fait, il reste le scénariste qu’il a toujours été.

Très bons interprètes. Scarlett Johansson est superbe, et Jonathan Rhys-Meyers, qui jouait déjà le meurtrier à la fin de Michael Collins, en 1996 (il abattait le héros irlandais de ce nom), fait vrai, au point que le public s’identifie sans mal à un assassin. Ce n’est pas si courant.

En bref : à voir absolument.Haut de la page

A history of violence

Mercredi 2 novembre 2005

Réalisé par David Cronenberg

Sorti en France (Festival de Cannes) le 16 mai 2005

Sorti en France le 2 novembre 2005

Le titre avait déjà servi en 1991 pour un court-métrage. Celui-ci est un fameux navet ! Cette histoire de gangsters brode sur le thème : ton passé te poursuit, tu n’en seras quitte que si tu règles tes comptes (ce qui est d’une originalité folle, convenez). En tuant tout le monde, dans le cas présent. Rien à voir, donc, avec ce que tourne habituellement David Cronenberg (au début, on se dit que tant mieux, puis on déchante), en dépit de ce qu’écriront ses admirateurs, qui ne manqueront pas d’affirmer que ce film de commande « s’inscrit » dans la continuité de son œuvre, par son style, ses préoccupations, ses fantasmes, et tout ce qui s’ensuit.

En réalité, c’est un film plutôt mal préparé. D’abord, l’invincibilité du héros est telle que cela tourne au ridicule : le public rigole. D’autant plus que son fils, un paisible garçon, semble avoir hérité du don massacreur de son père, or l’on voit mal comment...

Mais surtout, et comme objecte dans le film le policier Sam, rien ne colle. Expliquons.

Joey Cusack était un gangster de Philadelphie, enrôlé dans la bande de son frère aîné Richie (on vous dira qu’il existe un doute sur ce passé, mais pas du tout, la scène avec Richie est suffisamment éloquente). Il a tué plusieurs membres d’une bande rivale, et a éborgné volontairement leur chef, l’horrible quoique courtois Fogarty. Puis il s’est mis au vert trois ans dans le désert, a changé d’identité, s’est établi restaurateur dans une petite ville, où il a fondé une famille, sous le nom de Tom Stall. Fort bien, mais son fils a au moins dix-sept ans, ce qui sous-entend que Joey a quitté Philadelphie au minimum vingt ans plus tôt. Ainsi se posent trois questions insolubles : pourquoi Fogarty a-t-il attendu deux décennies avant de venir lui demander des comptes, quel âge avait donc Joey au moment de ses exactions (apparemment, pas plus de vingt ans, ce qui paraît un peu gros), et comment la femme de Tom peut-elle être une ancienne camarade de lycée ignorant tout de son passé, si, à l’époque de sa jeunesse, il vivait ailleurs et sous une autre identité ?

Il paraît que le scénario vient d’une bande dessinée. Cela ne devrait pas interdire le souci de la cohérence.

Ne reste de valable, et c’est ce qui a séduit les habituels thuriféraires du réalisateur, que les ruptures de ton entre les scènes paisibles et les scènes de castagne, bien menées quoique invraisemblables, comme presque toujours au cinéma.

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La boîte noire

Jeudi 3 novembre 2005

Réalisé par Richard Berry

Sorti en France (Festival de Beauvais) le 14 octobre 2005

Sorti en France le 2 novembre 2005

Tout commence bien, avec un accident filmé sobrement et non sans efficacité, un peu comme dans Que la bête meure, de Chabrol. Ensuite, cela se gâte, car le réalisateur Richard Berry s’enlise dans l’illustrations de fantasmes et de cauchemars, à coups de trucages numériques lourdingues, qui ont pour effet de diluer l’intérêt du spectateur, et donc de l’éloigner du personnage au lieu de l’en rapprocher. Ce long tunnel passé, on entre au bout d’une heure dans une histoire de mystère familial sur ambiance policière, et le malaise change de nature : n’a-t-on pas déjà vu cela quelque part ? Si !

Hé oui, en ce moment, le démarquage (pour être poli) de films célèbres semble être à la mode. Après Entre ses mains, qui plagiait de A jusqu’à Z, sans subtilité ni vergogne, Le boucher de Claude Chabrol, l’intrigue s’inspire fortement, dans le cas présent, de Spellbound, film d’Alfred Hitchcock (en français, La maison du docteur Edwardes), avec Gregory Peck et Ingrid Bergman : deux enfants, deux frères, dont l’un fait une chute mortelle ; l’autre refoule le souvenir de cet évènement et ne garde qu’un sentiment de culpabilité, qui se manifeste par des rêves inexplicables et plutôt effrayants – illustrés chez Hitchcock par Salvador Dali en personne. Ce rapprochement établi, le spectateur peut alors s’amuser à deviner qui est le méchant et comment il va finir. Rassurez-vous, cela ne rate pas, c’est aussi comme dans Spellbound...

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Alex

Vendredi 4 novembre 2005

Réalisé par José Alcala

Sorti en Espagne (Festival de San Sebastián) le 15 septembre 2005

Sorti en France le 26 octobre 2005

Alexandra Casals a 34 ans, elle vend des légumes sur les marchés, elle n’a pas la garde de son fils mineur et ne le voit qu’un week-end sur deux, jamais chez elle, où c’est trop petit et minable. Elle a aussi deux ou trois amants de passage, dont l’un, Karim, voudrait bien que cela devienne sérieux. Elle retape, sans aide, une vieille maison perdue dans la nature, en Ardèche, a quelques copains et guère d’argent. Puis son fils fait une fugue et se réfugie chez elle, mais elle le raccompagne dès le lendemain chez son père.

Voilà, c’est tout. Minimaliste, comme on dit, sans musique, sans acteurs connus, presque sans action. Du moins, ce n’est pas artificiel. Ce qu’on appelle une tranche de vie. L’intérêt qu’on y prend dépend moins du film que du spectateur lui-même.

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Edy

Lundi 7 novembre 2005

Réalisé par Stéphan Guérin-Tillié

Sorti en France (Festival de Cannes) le 12 mai 2005

Sorti en France le 2 novembre 2005

Au début, Berléand est un agent d’assurances raté. Suicidaire, il veut obliger un quidam à le tuer, mais c’est le quidam qui finit en viande froide. Par la suite, c’est Noiret qui, pour sauver le job des agents d’assurance du coin, veut supprimer le compromettant Berléand, mais lui aussi va y laisser sa peau.

On nage dans l’absurdité. Pour corser le récit, sans raison valable, on case Julien Lepers et son émission Questions pour un champion. Noiret ne croit pas à ce qu’il doit faire, et ça se voit. Ce qu’on ne voit pas, en revanche, c’est ce qu’a voulu dire l’auteur du film.

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Flight plan

Mercredi 9 novembre 2005

Réalisé par Robert Schwentke

Titre original : Flightplan

Sorti en Israël le 22 septembre 2005

Sorti en France le 9 novembre 2005

Jodie Foster souffre-t-elle d’agoraphobie ? Dans Panic room, elle s’enfermait dans un abri anti-atomique ; dans Flight plan, elle est enfermée dans un avion. Et son prochain film ? Elle s’enfermera dans un dilemme ?

On s’en voudrait de citer sans cesse Alfred Hitchcock, mais lorsqu’il affirmait que les films reposant sur un mystère finissent toujours par décevoir le spectateur, il n’avait pas tout à fait tort. Ces films sont de deux sortes : soit il faut trouver « qui a fait le coup » (les whodunits, dans le langage de la profession, comme chez Arthur Conan Doyle ou Agatha Christie), soit on doit deviner comment les choses se sont passées – et c’est le cas ici. C’est le cas, parce que, deviner qui a fait le coup, en revanche, c’est facile : la production a engagé un acteur, Peter Sarsgaard, affublé d’une telle physionomie de faux jeton, que le spectateur comprend immédiatement qu’il est l’auteur de la machination ! En l’occurrence, il ne s’agissait que d’obliger la compagnie aérienne à verser une rançon de cinquante millions de dollars si elle voulait sauver son avion avec ses passagers. Cinquante millions seulement, quelle ambition de gagne-petit !

Au passage, et pour ne pas quitter trop vite le chapitre, ouvert récemment, des emprunts aux films célèbres, signalons que la manière dont le spectateur reçoit la preuve que Jodie Foster n’est pas folle, et que sa fille a bien embarqué dans l’avion alors que nul ne semble avoir vu l’enfant, rappelle Une femme disparaît, toujours dû à Hitchcock : tout comme miss Froy avait écrit son nom dans la buée sur la vitre du wagon de chemin de fer, la petite Julia, dans le cas présent, avait dessiné un cœur dans la buée d’un hublot. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, décidément...

Le suspense est bien mené, mais la fin, obligatoirement spectaculaire, déçoit autant que celle de Red eye, autre suspense aéronautique. En compensation, le spectateur a droit à une visite complète de l’avion, et c’est assez surprenant : ces lieux qu’on aurait cru confinés semblent un tout petit peu plus spacieux que le Palais Omnisports de Bercy ! Étonnant, non ? Cela rappelle ces appartements de cinéma, où l’on voit des petites dactylos vivant à Manhattan dans un loft de deux cents mètres carrés...

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40 ans, toujours puceau

Jeudi 10 novembre 2005

Réalisé par Judd Apatow

Titre original : The 40 year old virgin

Sorti aux États-Unis le 11 août 2005

Sorti en France le 9 novembre 2005

Andy collectionne depuis son enfance des jouets dont il n’ouvre pas l’emballage, car, non déballés, ces objets n’en ont que davantage de valeur, pense-t-il. Ce traitement curieusement conservateur, il l’applique aussi à autre chose...

Si le titre original est un tout petit peu moins vulgaire qu’en français, la comédie, de toute façon, n’est pas aussi grasse que, par exemple, la série des American pie. Il n’empêche que l’histoire est très politiquement correcte, puisque sa conclusion est : « Si je ne l’ai pas fait jusqu’ici, j’ai compris que ce n’était pas parce que j’en étais incapable, mais parce que j’attendais de te rencontrer ». On n’ignore pas, en effet, le retour de la mode aux « vraies valeurs » familiales et religieuses qui fondent la philosophie du gouvernement de Bush. Le film va donc dans le sens du vent, à droite toute.

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Free zone

Lundi 14 novembre 2005

Réalisé par Amos Gitai

Sorti en France (Festival de Cannes) le 19 mai 2005

Sorti en Israël le 9 juin 2005

Sorti en France le 9 novembre 2005

Désolé, on a le droit de dire qu’un bon réalisateur a fait un mauvais film !

Cela débute, sans trop de raisons, comme se terminait Vive l’amour : une fille pleure pendant dix minutes. Elle est filmée en un seul plan (on connaît le goût d’Amos Gitai pour les plans-séquences) et de très près, de profil, dans une voiture, en pleine ville, et sous une pluie qui se met à tomber. En fond sonore, une chanson folklorique israélienne, car nous sommes à Jérusalem. Puis un long voyage commence : la fille, qui vient de New York et qui, apparemment, vient de rompre avec son petit ami, veut aller passer la journée en Jordanie. Son chauffeur est une femme, mariée avec un type qu’on ne verra pas, et elle doit aussi se rendre dans ce pays pour y récupérer trente mille dollars que leur doit un créancier palestinien surnommé « l’Américain ». La caméra sort très peu de la voiture, comme dans Ten (là, elle ne sortait pas du tout, en réalité), et le plus intéressant est la vision que le spectateur perçoit du passage des frontières et des tracasseries du côté israélien. Mais dès qu’on met pied à terre pour traiter des affaires personnelles des personnages, et cela inclut les flashbacks sur les histoires familiales de la jeune femme, on s’ennuie à mourir, car on s’en fiche.

Visiblement, ce qui a intéressé le réalisateur, c’est la scène de la fin, sur laquelle il monte le générique, et où deux femmes, une Israélienne et une Palestinienne, se chicanent sur l’argent que l’une d’elles prétend ne pas avoir alors que l’autre soutient qu’elle l’a dans son sac : le côté dérisoire de la discussion est souligné par le fait que le son s’atténue peu à peu jusqu’à devenir inaudible. Cette dispute est, de propos délibéré, assez ridicule, et veut symboliser les palabres interminables et surtout stériles qui sont, aussi, la plaie de cette région du monde. On a compris le message : cessez de discutailler, accordez-vous une bonne fois. Certes, mais une heure et demie pour en arriver là !...

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Manderlay

Mercredi 15 novembre 2005

Réalisé par Lars von Trier

Sorti en France (Festival de Cannes) le 16 mai 2005

Sorti au Danemark le 3 juin 2005

Sorti en France le 9 novembre 2005

Après la Guerre de Sécession, les États-Unis n’étaient pas prêts à accepter l’abolition de l’esclavage ; de nos jours, ils ne le sont toujours pas ; dans cent ans, ils ne le seront pas davantage ! C’est sur cette forte pensée que Lars von Trier a bâti son scénario.

Certes, il existe de par le monde un tas de gens qui détestent autant que lui les États-Unis, leur hégémonie, la sclérose d’esprit de leurs gouvernants, leur puritanisme, leur idolâtrie de l’argent, leur incapacité à supporter tout autre civilisation que la leur, et leur conviction que l’American way of life est la seule manière de concevoir l’existence. Ce n’est pas pour autant qu’on doit répandre sérieusement des âneries de ce tonneau.

Mais notre Danois de choc croit-il seulement à ce qu’il raconte ? Il y a un doute.

Manderlay est la suite de Dogville, film déjà critiqué dans ces pages il y a deux ans. Il en reprend le style de mise en scène théâtrale (les espaces délimités à la craie sur le sol d’un hangar tenant lieu de studio sans décors), les personnages, mais avec d’autres acteurs, la distribution internationale et prestigieuse... et surtout la confusion mentale. Grace, fille d’un gangster, débarque donc dans une propriété, Manderlay, tenue par une vieille femme, Mam, jouée par Lauren Bacall, et qui va mourir très vite, de saisissement, lorsque la visiteuse lui aura dit qu’elle viole la loi en maintenant chez elle l’esclavage des Noirs ! Cette mort soudaine rappelle assez le suicide de ce PDG d’une chaîne de télé, dans Mon idole, fameux navet de Guillaume Canet, où l’on voyait un clone de Patrick Le Lay se jeter dans le vide parce qu’un de ses employés venait lui demander une augmentation...

Mam passée l’arme à gauche et restée sans héritiers, Grace décide alors de rester sur place pour émanciper les esclaves, ce qui ne va pas sans peine. Jusqu’à la révélation finale : ils étaient esclaves de leur plein gré ! Par peur du monde extérieur (un peu comme dans Le village, autre sinistre imbécillité signée l’an passé par Shyamalan), ils préféraient la servitude sous la férule d’une maîtresse qu’ils pouvaient, en compensation, vilipender dans son dos, plutôt que d’affronter les vicissitudes de la liberté, qui n’est pas sans risques, on le sait bien ! Pour comble, ils élisent Grace comme devant succéder à Mam, et donc la séquestrent.

Vous l’avez compris, Lars von Trier fait du cinéma d’idées comme Sartre faisait du théâtre d’idées. Avec, on se permettra de le dire, une moindre pertinence ! Lorsque j’étais enfant et qu’un gamin raisonneur cassait les pieds de son entourage, on lui rétorquait de parler au mur (il existe une variante avec une histoire de « tête [qui] est malade », mais que je n’ose reproduire ici, Bernadette Chirac me lit sûrement).

Pour ma part, je n’ai cessé de penser à ce film, Queimada, d’un autre mauvais réalisateur, Gillo Pontecorvo, qui avait signé La bataille d’Alger, en 1965, et Kapò, en 1959. Dans Queimada, Marlon Brando jouait un agent secret britannique venu semer la pagaille dans les Caraïbes, plus précisément dans une colonie portugaise. Après le soulèvement victorieux des esclaves, qu’il avait provoqué, il persuadait les nouveaux maîtres, des commerçants essentiellement métis, d’abolir l’esclavage, en vertu de ce raisonnement frappé au coin du bon sens : vos esclaves sont comme vos femmes légitimes, vous devez les loger, les nourrir et les soigner même lorsqu’ils sont devenus vieux ou malades, donc improductifs, puis payer leurs obsèques lorsqu’ils décèdent ; alors que des employés sont comme les prostituées, vous ne le payez que lorsque vous en avez besoin ! Ils vous reviendront moins cher, par conséquent.

Voilà de la bonne philosophie pour scénariste provocateur et un peu débile. Lars von Trier n’a sans doute pas vu Queimada, mais c’est tout comme.

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Le petit lieutenant

Jeudi 17 novembre 2005

Réalisé par Xavier Beauvois

Sorti en Italie (Festival de Venise) le 31 août 2005

Sorti en France le 16 novembre 2005

... de police. C’est pour imiter les États-Unis, qu’on a donné aux policiers français des grades de l’armée ? Toujours est-il que Jalil Lespert joue pour la deuxième fois ce qu’on appelait naguère un inspecteur de police. La fois précédente, c’était dans L’ennemi naturel, un effroyable navet, récompensé par un bide, et que son auteur avait farci de fantasmes homosexuels d’un saugrenu qui dépassait la moyenne.

Ici, on reste dans le classique : Antoine Derouère sort de l’école de police et, comme il s’embête au Havre, ce qui se conçoit, il a demandé sa nomination à Paris. Il va malheureusement y laisser très vite sa peau, à la suite d’une erreur commise par un collègue.

Le meilleur du film est son aspect documentaire : nous suivons une enquête pas à pas. Il ne s’agit pas d’un crime spectaculaire, mais d’une affaire assez banale, un meurtre de clochard. Dans la vie réelle, la police zapperait assez vite, mais il n’y aurait plus de film si elle en faisait autant au cinéma. Chargés de cette enquête ordinaire, une poignée d’hommes également ordinaires, pas des surhommes dans le style d’Hollywood. À leur tête, une femme, restée deux ans sur la touche pour alcoolisme – et l’on devine dès la première minute qu’elle va replonger, selon les règles usuelles du scénario basique. C’est autour de ce personnage, incarné par Nathalie Baye, que tourne l’histoire : son « petit lieutenant » lui rappelle un fils qu’elle a perdu autrefois et qui aurait son âge ; elle va donc très maternellement s’attacher à lui.

En fait, et bien qu’on ne s’ennuie jamais, il est permis de se demander ce que le film, sobre et sans musique, apporte de plus que les deux ou trois séries policières que la télévision française offre chaque semaine. Risquons une hypothèse : les fameuses séries télévisées gagneraient, justement, à ne pas être des séries, mais des téléfilms tournés en un seul exemplaire. C’est la répétition, semaine après semaine, des caractères définis dans le premier épisode, qui en fait des poncifs. D’où lassitude et perte d’intérêt. Pour dire les choses clairement, si l’on avait filmé pour le cinéma, sans en faire une série, un seul épisode de Navarro ou de P.J., tout le monde aurait trouvé cela fort bien – voire « génial ». Mais sur une centaine d’épisodes, diffusés semaine après semaine, les trouvailles et les petits traits conçus pour définir les personnages deviennent des trucs ; les scénaristes, liés par la « bible » de la série, bégayent très vite et malgré eux. C’est le système français...

Petite curiosité, le caractère familial de la distribution : le père et le frère de Jalil Lespert, Jean et Yanis, jouent les mêmes rôles dans le film, les enfants de Roschdy Zem également, et le réalisateur Xavier Beauvois, qui interprète un policier, a inclus son fils dans une scène. La lutte contre le chômage ne s’arrête jamais, chez nous.

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The matador

Vendredi 18 novembre 2005

Réalisé par Richard Shepard

Sorti aux États-Unis (Festival de Sundance) en janvier 2005

Sorti en France (Festival de Cannes) le 12 mai 2005

Sorti en France le 16 novembre 2005

Le titre a été bébêtement prolongé, en France uniquement, par « Même les tueurs ont besoin d’amis » (sic). Pour parachever la chose, on vous dira, histoire de faire intelligent et de ne pas laisser tomber un cliché en désuétude, que Pierce Brosnan « a voulu casser son image » de James Bond en incarnant ce tueur flapi ; et si l’on disait plutôt qu’il a passé l’âge d’incarner 007 ?

La première moitié du film, qui montre en effet un tueur à gages, évidemment redoutable, et faisant encore illusion, devenir le copain d’un yankee de base très politiquement correct, est assez distrayante. La seconde moitié, qui décrit le copain essayant de l’aider à commettre un ultime assassinat pour lui éviter d’être éliminé par ses ex-commanditaires, c’est un peu n’importe quoi, et du genre mollasson.

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Lady Vengeance

Lundi 21 novembre 2005

Réalisé par Chan-wook Park

Titre original : Chinjulhan geumjasshi

Sorti en Corée du Sud le 29 juillet 2005

Sorti en Italie (Festival de Venise) le 3 septembre 2005

Sorti en France le 16 novembre 2005

En 2002, le Sud-Coréen Chan-wook Park avait réalisé un Sympathy for Mr. Vengeance (c’est le titre anglais ; en coréen, cela donne Boksuneun naui geot) ; en 2005, voici Sympathy for Lady Vengeance (en coréen, Chinjeolhan geumjassi). Il y a donc une continuité... du moins dans les titres imaginés par les distributeurs. Mais l’homme est surtout connu chez nous pour son Oldboy, que je n’ai pas vu, et pour Cut, le meilleur des trois sketches de Three... extremes, mentionné dans ces pages plutôt élogieusement.

À vrai dire, cette fois, on reste un peu perplexe. La narration, très stylisée, relate une histoire qui semble sérieuse, voire grave : Geum-ja Lee, complice d’un tueur d’enfant, Baek, a fait treize ans de prison, et a dû abandonner sa propre fille à une famille d’accueil. Sortie de taule, elle veut faire payer Baek, et organise sa capture puis son exécution par les familles des petites victimes, enlevées puis tuées avant la demande de rançon que le tueur leur adressait. Le caractère tragique de l’anecdote est fortement accentué par les musiques qui accompagnent le récit, toutes classiques, et parfois lugubres. Malgré cela, le public ne peut s’empêcher de rire aux outrances de la narration. Ainsi, la séquence de l’exécution : l’assassin doit être sacrifié « par petits bouts », si l’on ose dire, c’est-à-dire que chaque parent doit le blesser sans l’achever. Le ridicule de la situation atteint son paroxysme lorsque l’un des pères se précipite sur lui avec une hache, instrument dont on se doute qu’il va causer des ravages définitifs ; mais son épouse le retient par la manche avec cette réplique magnifique : « Nous ne sommes pas les derniers ! ». C’est bien vrai, ça, faut pas être égoïste, on doit en laisser un peu pour les autres...

Le spectateur en vient à se demander si c’est du sadisme suave ou de la pure inconscience. Mais on sait que les Orientaux sont énigmatiques.

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In her shoes

Mardi 22 novembre 2005

Réalisé par Curtis Hanson

Sorti au Canada (Festival de Toronto) le 14 septembre 2005

Sorti en France le 16 novembre 2005

Deux sœurs, évidemment aussi différentes que possible : l’une, avocate, sérieuse, pas très jolie, peu recherchée par les hommes ; l’autre, frivole, peu scrupuleuse, toujours fauchée, sans travail, et qui collectionne les aventures, de préférence rentables.

La comédie n’est pas déshonorante, mais on a vu cela cent fois. Seul point marquant, le retour de Shirley MacLaine, en grand-mère mise à l’écart par son gendre, et qui va, on l’aurait parié, renouer avec ses petites-filles. Tout se termine bien, soyez contents.

L’histoire est écrite par deux filles, et filmée par Curtis Hanson, réalisateur tout terrain, puisqu’il peut passer de L.A. Confidential à 8 mile, le film qui tentait de blanchir Eminem. Tout de même, deux heures et dix minutes, c’est un peu longuet.

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Palais royal !

Mercredi 23 novembre 2005

Réalisé par Valérie Lemercier

Sorti en France (Festival de Cannes) le 13 mai 2005

Sorti en France et en Belgique le 23 novembre 2005

Non, ce film n’est pas vulgaire. Ou alors, Coluche et Reiser étaient vulgaires !

Le roi André, encore jeune, meurt d’un accident. Son fils aîné, Alban, toujours célibataire, ne peut lui succéder : héritier nécessaire ! La couronne ira donc à son cadet, Arnaud, viveur cynique, élevé dans l’oisiveté par sa mère et son véritable père, le grand chambellan René-Guy. Hélas, il est marié à une femme peu sophistiquée, une simple orthophoniste, qui se fait rapidement mépriser, donc brimer, par l’ensemble de la Cour. Comme, de surcroît, son époux la trompe, elle se venge en devenant une véritable salope, qui joue de l’influence des médias pour se forger auprès du petit peuple une réputation évidemment usurpée de quasi-sainte – tout en cocufiant à son tour son époux, c’est bien le moins. Des deux côtés, on rivalise de machiavélisme, dans une anthologie du coup fourré. Par chance (?), elle meurt opportunément d’un accident, elle aussi. Ouf ! La famille royale est sauvée.

La ressemblance avec lady Di et sa belle-famille, les Windsor, n’a rien d’involontaire. On rit beaucoup, et la plupart des vannes font mouche. Valérie Lemercier a réussi son film, et on ne doit pas se laisser décourager par la publicité envahissante.

En bref : à voir.Haut de la page

Trois enterrements

Jeudi 24 novembre 2005

Réalisé par Tommy Lee Jones

Titre original : The three burials of Melquiades Estrada

Sorti en France (Festival de Cannes) le 20 mai 2005

Sorti en France le 23 novembre 2005

Ce sixième scénario de Guillermo Arriaga n’est pas le meilleur. Plus complexes, les deux précédents, si l’on excepte celui qu’il a écrit pour un court métrage (The hire : powder keg, en 2001), ont donné naissance, tout comme ce court métrage, à deux films du Mexicain Alejandro González Iñárritu, Amours chiennes et 21 grammes. Si ce dernier, néanmoins, pêchait un peu par quelques détails inutiles, comme la présence du personnage de Charlotte Gainsbourg, Amours chiennes était un fabuleux puzzle, dont la myriade d’éléments éparpillés finissaient par se remettre en place, peu à peu, pour former un tout cohérent.

On retrouve ici ce principe, car le film est truffé de flashbacks explicatifs, mais l’anecdote n’est pas du même intérêt : un vacher mexicain a été abattu par un garde-frontière texan, qui voulait tirer un coyote. Les flics veulent étouffer l’affaire ; cependant, un ami de la victime enlève le meurtrier et l’oblige à l’accompagner au Mexique afin d’y enterrer le malheureux, dans son village, auprès de sa famille. En vue de corser l’histoire, on découvre peu avant la fin que le pauvre homme avait tout inventé, famille et village. Les deux hommes l’enterrent où ils peuvent, et se séparent. C’est un peu mince, guère vraisemblable, et le récit doit être renforcé par des épisodes annexes et des personnages secondaires qui ne s’avèrent pas vraiment indispensables.

Il semble, puisque le film a reçu au dernier Festival de Cannes le prix du scénario et le prix d’interprétation masculine, que le jury a surtout été conquis par le côté « western contemporain », non moins que par la sévérité du regard porté sur l’immigration aux États-Unis, et surtout sa répression. Soyons justes, il y a aussi l’exaltation de certaines vertus humanistes, et le parcours mental suivi par le personnage le plus intéressant, le garde-frontière meurtrier, qui finit par se repentir... après avoir reçu une correction de la jeune fille qu’il avait molestée tout au début. Comme quoi, la non-violence n’est pas le seul moyen d’action, et la vengeance peut aussi apporter certains avantages.

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Factotum

Vendredi 25 novembre 2005

Réalisé par Bent Hamer

Sorti en Norvège (Trondheim Kosmorama International Film Festival) le 12 avril 2005

Sorti en France le 23 novembre 2005

Une biographie romancée de plus. Cette fois, c’est Charles Bukowski, écrivain alcoolique, ou alcoolique écrivain, comme on voudra. On utilise à la fois le récit de sa vie aux alentours de la trentaine, avant la célébrité, et quelques-unes de ses nouvelles. La plupart des scènes sont à deux personnages, ce n’est ni gai ni triste, ni rebutant ni propret, c’est moyen en tout, très plat, et, si le film n’ennuie pas, il ne laisse aucun souvenir.

Matt Dillon, qui n’a plus l’âge de jouer les loulous craquants, continue sa reconversion, déjà entamée depuis pas mal d’années, à vrai dire (le flic raciste, dans Collision, c’était lui). Il est très bien dans le rôle de cet auteur qui ne connaît pas l’angoisse de la page blanche, est constamment à la recherche de sa dignité – belle séquence, au stade, avec un spectateur qui lui a pris sa place assise –, mais qui semble par ailleurs se foutre de presque tout, sauf de la bouteille.

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Les protocoles de la rumeur

Lundi 28 novembre 2005

Réalisé par Marc Levin

Titre original : Protocols of Zion

Sorti aux États-Unis (Festival de Sundance) en janvier 2005

Sorti en France le 23 novembre 2005

Dialogue dans une rue de New York :

– Les Juifs tiennent les rênes du pouvoir, la preuve, le maire de New York s’appelle Bloomberg.

– Mais avant lui, c’était Giuliani !

– Non, Jew-liani !

Ce genre de micro-trottoir débile, nos chaînes de télé nous en abreuvent jusqu’à satiété. Marc Levin aurait dû aller voir Woody Allen, par exemple, afin de recueillir un autre son de cloche sur cette rumeur qui prétendait que « les Juifs » avaient organisé en 2001 la destruction des tours du World Trade Center, et qu’aucun Juif n’y était allé travailler ce jour-là, par conséquent ; mais non, il semble n’avoir pu rencontrer que des imbéciles racistes. Même à Hollywood, où il tente d’interviewer quelques Juifs influents dans le cinéma, il n’est reçu par aucun. Bizarre... De sorte qu’on n’entend qu’une voix, aurait-elle des intonations multiples, et qu’on en vient à penser que les citoyens des États-Unis, dans leur ensemble, sont devenus fous. Toutes proportions gardées, c’est à rapprocher de ce film militant, Le cauchemar de Darwin, où, déjà, l’accusation qui constituait le clou du documentaire – le trafic d’armes – ne reposait que sur le témoignage d’un journaliste local, que nul ne venait contredire. Les limites du cinéma militant ?

Le film s’intitule en fait Protocols of Zion, mais le titre est platement explicatif : l’enseignement étant ce qu’il est en France, où l’on préfère apprendre aux gosses de sottes légendes sur Jeanne d’Arc, qui donc, chez nous, à moins de lire « Le Canard enchaîné » et quelques journaux qui font leur travail, a entendu parler de ce faux document, Les protocoles des sages de Sion, fabriqué à la fin du dix-neuvième siècle, à Paris, par un agent de la police secrète du tsar, et qui est sans doute à l’origine des pogroms des années suivantes, en Russie ? Ce monument d’imbécillité malveillante n’est tenu pour authentique, aujourd’hui, que dans les pays arabes... et aux États-Unis, et ce n’est surprenant que si l’on veut bien oublier que les théories du complot fleurissent outre-Atlantique, manie entretenue par la pire télévision du monde. Cela finit par donner ce genre de perle : à propos d’un feuilleton qui passait à la télé égyptienne et montrait des Juifs égorgeant un enfant chrétien pour les besoins d’un « sacrifice », l’homme de la rue new-yorkais musulman, nullement scandalisé, n’a que ce seul commentaire maussade à l’adresse du cinéaste : « Décidément, on ne peut rien dire sur les Juifs ! ».

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Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.