Kinopoivre, les films critiqués par Jean-Pierre Marquet

Printemps-été 2003

Après un long tunnel, un film brésilien, Avril brisé, un film français malgré son titre, Swimming pool, et un film européen, Dogville. Plus un OVNI américain, Basic, et un film newyorkais (ce n’est pas la même chose), Long way home. Enfin, une rareté, un bon film allemand, Goodbye Lenin ! En supplément, un Entracte 13 qui traite notamment du DVD, et un Entracte 14 qui s’intéresse aux Titres À La Con.

Avril brisé

Réalisateur : Walter Salles

Titre original : Abril despedaçado

Scénario : Karim Ainouz, d’après un roman d’Ismaïl Kadaré

Interprètes : Rodrigo Santoro, José Dumont, Ravi Ramos Lacerda, Rita Assemany, Luiz Carlos Vasconcelos, Flavia Marco Antonio

Durée : 1 heure et 45 mn

Sortie à Paris : mercredi 7 mai 2003

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Trucider son prochain, ce peut être d’un certain agrément ; mais le faire en service commandé, en y risquant sa peau, voilà qui gâte le plaisir. Pas de panique, je ne vais pas vous entonner le couplet « Quelle connerie la guerre » – occupation qui ne mange pas de pain et que je laisse aux chanteurs, comédiens et autres écrivains dégoulinant d’humanisme opportunément feint, accoutumés donc à exhiber leurs tripes dans les studios de radio-télé –, mais vous entretenir d’un excellent film qui traite de la vendetta, forme de vengeance qui n’est pas seulement une spécialité corse, et ne relève donc point de l’exception culturelle qui nous est si chère.

Tourné en 2000 et sorti en 2001, Avril brisé n’arrive que tardivement en France, et, en dépit de ses qualités, quelque chose me dit que ce film austère et grave ne restera pas longtemps à l’affiche, donc hâtez-vous d’aller le voir. Son réalisateur Walter Salles est pourtant réputé, puisque son flamboyant Central do Brasil a obtenu chez nous un succès mérité. Le film est adapté d’un roman du grand écrivain albanais Ismaïl Kadaré, après une première version produite en France en 1987.

Comme dans Central do Brasil, un enfant se trouve au premier plan ; il est d’ailleurs le narrateur de cette histoire, en partie du moins, puisque sa mort survient peu avant la fin – circonstance assez rare pour un récit à la première personne, et que je n’ai rencontrée que dans le roman de Jeanne de Recqueville Kapitan-Pacha. L’histoire, qui commence en février 1910 pour s’achever tragiquement deux mois plus tard, a pour cadre l’une des terres les plus pauvres du Brésil, écrasée de soleil, et ne produisant que de la canne à sucre, d’ailleurs en surproduction, ce qui ruine les paysans locaux. Mais la pauvreté n’est pas le sujet du film. Le véritable sujet, c’est donc la vendetta.

Entre la famille Breves qui est au centre du récit et celle, rivale, des Ferreiro, c’est la guerre, pour une histoire de terre accaparée, puis récupérée, puis volée de nouveau, et qui a entraîné un processus infernal : un jour, un garçon de l’une des deux familles a tué un garçon du camp d’en face. L’honneur impose au clan frappé de se venger, en assassinant le meurtrier, qui, à son tour, sera vengé par l’un des siens, et ainsi de suite. Cette coutume ridicule, aussi machinalement poursuivie que la marche en rond des bœufs qui font tourner le pressoir de la ferme des Breves et continuent de tourner même lorsqu’ils ne sont plus attelés, décime les familles touchées, dans un engrenage sans fin, « œil pour œil, jusqu’à ce que tout le monde soit aveugle », comme dit l’enfant narrateur. Au début du récit, c’est au tour de Tonho, 20 ans, de venger son frère : leur père n’admettrait aucune entorse à la règle sacrée, donc il s’exécute. Tonho (prononcez « Tonio »), beau comme un ange, doux, pacifique, et qui n’a pas encore connu l’amour, sait qu’il mourra ensuite, à la fin de la trève coutumière, dès que le sang de sa victime aura jauni sur la chemise exposée au soleil, et que son petit frère, qui n’a même pas 12 ans, devra le venger. Après lui, plus personne, ils n’ont aucun autre frère vivant. La famille disparaîtra donc.

Ce petit frère, qui a vainement conseillé à son grand frère de fuir la famille, n’a pas de nom, car ses parents ont oublié de lui en donner un et l’appellent « le Môme ». Il sera baptisé Tacou par un couple de saltimbanques égarés, qui cherche la ville pour y donner un spectacle de foire. La compagne de l’homme, Clara, lui fait aussi cadeau d’un livre, Les contes d’Andersen. Tacou ne sait pas lire, mais il ne rêve que de voir la mer et il est fasciné par La petite sirène, dont, hélas, il oublie peu à peu l’histoire.

Tonho et Clara vont s’aimer une seule nuit. Tonho sait qu’il sera tué au matin. Tacou, alors, s’empare de son chapeau et de son brassard, et, profitant du sommeil de son frère, prend sa place. Le subterfuge réussit à la faveur de la lumière indécise de l’aube, et il est bientôt abattu. Suicide sublime d’un gamin qui a tout compris avant les adultes. Sommé par son père de le venger, Tonho, qui a déjà donné, comprend le geste de son frère, refuse et s’enfuit. C’est le déshonneur sur ses parents, désormais seuls, mais la tuerie prend fin, puisque le meurtre de Tacou restera impuni. Et le combat cessa faute de combattants...

Cette histoire, qui en dit long sur le respect qu’on ne doit pas aux traditions imbéciles, est filmée très simplement, en dépit de quelques passagères coquetteries à la caméra, et se concentre sur les visages. Peu de dialogues, aucune complaisance, c’est magnifique. Le film se termine sur Tonho qui a rejoint la mer dont rêvait le petit frère sacrifié, dans une scène qui rappelle Les quatre cents coups, insincérité en moins.

En bref : à voir.Haut de la page

Swimming pool

Réalisateur : François Ozon

Scénario : Emmanuèle Bernheim et François Ozon

Interprètes : Charlotte Rampling, Ludivine Sagnier, Charles Dance, Marc Fayolle, Jean-Marie Lamour, Mireille Mossé, Lauren Farrow

Durée : 1 heure et 42 mn

Sortie à Paris : mercredi 21 mai 2003

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À ce stade de la carrière de François Ozon, et bien que tous ses films soient très différents, on peut affirmer que leur auteur, par son style, est parfaitement identifiable, ce qui précisément fait de lui un auteur : souci constant de railler les institutions bourgeoises, et notamment familiales ; obsession de la mort violente ; prédilection pour les personnages féminins ; vision très noire de l’existence, contrebalancée par un goût du mystère et de la farce assez prononcé. Ozon ambitionne-t-il, en outre, d’être le George Cukor de sa génération ? Toujours est-il que, tel cet illustre prédécesseur, ce jeune et très à la mode réalisateur lui aussi homosexuel ne filme guère, depuis trois films, que des personnages féminins, avec une prédilection pour les femmes mûres, la seule exception étant Ludivine Sagnier, qu’il fait tourner ici pour la troisième fois.

Mais peu importe. Outre la maîtrise indéniable du réalisateur – évidente dans la scène de la danse où Charlotte Rampling souffle son amoureux à Ludivine Sagnier –, ce qui est flagrant dans Swimming pool, titre justifié par le fait que tous les personnages importants sont britanniques et parlent anglais, c’est la perversité de ce scénario où rien n’est clair. Ozon multiplie les énigmes, et ne les élucide pas, ce qui pourra sembler du dernier chic aux amateurs, tout en irritant les autres.

Ainsi, qui est réellement Julie, l’un des deux personnages principaux ? Est-elle vraiment la fille de l’éditeur qui a prêté sa villa du Luberon à l’auteur de romans policiers joué par Charlotte Rampling ? C’est possible, si l’on considère que, dans le village, tout le monde semble la connaître ; par ailleurs, il se peut aussi qu’elle mente : non seulement, vers la fin, elle déclare qu’elle part travailler, ce que sa condition de riche héritière ne semblerait pas nécessiter, mais l’éditeur en question, interprété par l’excellent Charles Dance qu’on ne voit pas assez souvent, a bien une fille prénommée Julia, or celle-ci est plus jeune et très différente de la première. Et la conversation téléphonique de Julie avec son père prétendu a-t-elle vraiment eu lieu ? Lorsque Sarah, l’écrivain, le rappelle immédiatement après, on lui répond en effet qu’il est absent. Et pourquoi Sarah aide-t-elle cette jeune fille qu’elle n’aime pas et qui la dérange dans son travail (au début, on croit assister à un remake de La collectionneuse, d’Éric Rohmer), au point de l’aider à enterrer le cadavre de l’homme que la jeune fille vient d’assassiner par dépit, et de se donner à un vieillard afin de détourner son attention de la tombe fraîchement creusée ? Et pourquoi Julie l’appelle-t-elle « maman » à l’issue de son cauchemar ? Et qu’est-il advenue de la mère de Julie ? Vit-elle à Nice, ou est-elle morte dans « un accident », comme l’affirme l’étrange fille lilliputienne du jardinier ? Sarah n’a-t-elle pas imaginé tous les événements auxquels nous avons assisté – donc imaginé Julie –, finissant par rédiger elle-même le roman non policier qu’elle ambitionnait d’écrire, au lieu de le recopier d’après un manuscrit dû à la mère mythique de Julie ?

On n’en saura rien. Selon votre tempérament, vous trouverez cela fascinant, ou serez agacé par la facilité du procédé, tant il est aisé d’inventer des mystères que l’on ne résoud jamais (autrefois, les scénaristes, passablement gonflés, s’en tiraient avec le classique « Mais tout cela n’était qu’un rêve », qu’aujourd’hui le public ne goberait plus, même s’il en gobe bien d’autres). Heureusement, ce n’est jamais ennuyeux. Malgré tout, le film reste mineur, et les rumeurs de Palme d’Or au Festival de Cannes relèvent évidemment de l’intox.

En bref : à voir à la rigueur.Haut de la page

Dogville

Réalisateur : Lars von Trier

Scénario : Lars von Trier

Interprètes : Nicole Kidman, Lauren Bacall, Paul Bettany, James Caan, Jean-Marc Barr, Ben Gazzara, Philip Baker Hall, Udo Kier

Durée : 2 heures et 57 mn

Sortie à Paris : mercredi 21 mai 2003

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Pourquoi Orson Welles a-t-il tourné l’une des séquences majeures de son Othello dans un bain maure ? Parce qu’il voulait donner à sa mise en scène un caractère « dépouillé » ? Pas du tout. C’est parce que, réalisant ce film par petits bouts, au gré des rentrées financières que lui valaient ses cachets d’acteur, il n’avait pas d’argent à ce moment précis pour payer les costumes !

Pourquoi Lars von Trier a-t-il tourné Dogville sans décors, sans extérieurs, sur un unique plateau ? Parce qu’il voulait donner à sa mise en scène un caractère théâtral ? Pas forcément – quoique le désir furieux de se distinguer, chez ce réalisateur qui inventa le fameux « Dogma 95 » sans jamais en appliquer les règles lui-même, entre toujours en ligne de compte. C’est aussi parce qu’avec les capitaux réunis pour cette production, européenne malgré la distribution riche en stars venues des États-Unis, il n’avait plus d’argent que pour payer ses vedettes. Et disons tout de suite que cet aspect de la réalisation, s’il n’est pas gênant, n’apporte rien non plus, puisque la possibilité de voir à chaque instant ce que font tous les personnages n’est pas utilisée, la caméra portée, très vacillante, filmant presque tout en plan rapproché.

 

 

Quoi qu’il en soit, et contrairement à Dancer in the dark, on peut parier que ce film va déplaire à beaucoup. Par exemple :

- aux chrétiens, dont la morale du pardon est ici bafouée, sans jamais être désignée d’ailleurs ;

- aux moralistes, qui trouveront douteux le procédé employé pour se démarquer de ladite morale ;

- aux adeptes du réalisme au cinéma, qui appellent un chat « un chat » et préfèrent qu’un chien soit un chien, non un dessin tracé à la craie sur le sol ;

- aux maniaques luc-bessonniens de l’esthétique « clip », qui exigent du rythme, nom de Dieu !, et de la musique djeunz, et des flics qui tirent dans tous les azimuts, et des bagnoles qui s’envolent (de préférence conduites par des acteurs chauffards dans la vie) ;

- aux États-uniens, qui haïront la noirceur extrême de l’histoire et le fait qu’elle soit située chez eux, bien que le village du film symbolise évidemment l’humanité entière, et non l’espace restreint des seuls États-Unis ;

- etc.

Mais passons au film. Nicole Kidman, dont il faudra un jour nous expliquer pourquoi, dotée d’un physique aussi passe-partout, elle possède le statut de star, l’ex-madame Cruise, donc, se prénomme Grace une fois de plus. La première fois, c’était pour mieux évoquer Grace Kelly dans Les autres, car on tentait alors de faire d’elle une sorte de réincarnation de l’actrice favorite d’Hitchcock. Ici, le prénom évoque plutôt la religion catholique et ses mythes, et Nicole Kidman incarne quasiment la « Vierge » Marie, avec autant de crédibilité que le ferait Maïté jouant le rôle de Jeanne d’Arc. Fille d’un gangster, mais on ne le saura qu’à la fin, et de la grande époque, celle d’Al Capone, elle fuit son père à la suite d’une dispute... idéologique : il lui reproche en effet d’être trop bonne, trop encline à excuser tout le monde, à tout pardonner systématiquement, défaut rédhibitoire dans ce milieu, on s’en doute. Bref, il estime cette attitude condescendante et de la dernière arrogance : refuser de punir autrui pour ses fautes, c’est lui refuser la rédemption, donc vouloir s’égaler à Dieu, et loin de lui un tel orgueil ! Comme on le voit, les gangsters de cinéma ont d’autres préoccupations que d’étendre leur empire et leur fortune par le racket, la prostitution, la corruption des hommes politiques et le trafic de la drogue, il urge donc d’en élire un au Vatican, pour changer (?).

Près d’être rattrapée par ce père moraliste et ses sbires à la mitraillette facile, Grace se réfugie dans un village qui ne compte que quinze habitants, Dogville, dont on saura plus tard qu’il est bien nommé, car lesdits habitants, au début si sympathiques, vont se révéler de véritables chiens – au sens où l’entendait Mitterrand dans son éloge funèbre de Bérégovoy, que pourtant il avait lui-même un peu poussé dans la tombe en refusant de le revoir après la démission du gouvernement conduit par le futur suicidé de Nevers. D’abord bien accueillie, car accommodante et docile, Grace, pourvue d’un emploi et d’un petit salaire, va peu à peu devenir la domestique taillable et corvéable à merci de tous ses hôtes, puis leur esclave, y compris sexuelle. Après une tentative de fuite, on va même jusqu’à l’enchaîner.

Le comble est atteint lorsque, pour « ne pas salir leur amour », elle repousse l’homme qu’elle aime, le seul qui ne l’a pas violée. Furieux, il la dénonce illico à ceux qui la recherchent, et je dois noter avec un immense regret qu’on voit venir l’événement une bonne heure à l’avance. Le père gangster débarque avec ses anges gardiens, et l’explication de famille a lieu dans sa limousine. En gros, elle est assortie d’une proposition du type qu’on ne peut pas refuser, le genre « Tu es ma fille bien-aimée, rentre à la maison partager le pouvoir avec moi ». Moins pressée que le Goetz de Sartre dans Le diable et le bon Dieu, puisqu’il nous aura fallu attendre près de trois heures avant de la voir se décider – Goetz, lui, dès le début, choisissait le Mal après avoir échoué à faire le Bien –, Grace se rend aux raisons paternelles, et ne met qu’une condition à son retour au bercail : que tous les habitants de Dogville soient tués, enfants compris et sous les yeux de leur mère, puis que le village soit incendié. La chose est promptement faite, et Grace, ex-sainte devenue Médée, abat elle-même son amoureux dénonciateur – que Lars von Trier, assez naïf pour présenter son film en compétition au Festival de Cannes, a eu la malice de baptiser Thomas Edison, histoire sans doute de montrer toute sa chaleureuse affection au peuple yankee. À mon avis, il n’est pas allé assez loin : Benjamin Franklin, Abraham Lincoln ou John Kennedy, c’était très bien aussi.

En bref : inutile de se déranger.Haut de la page

Basic

Réalisateur : John McTiernan

Scénario : James Vanderbilt

Interprètes : John Travolta, Connie Nielsen, Samuel L. Jackson, Timothy Daly, Giovanni Ribisi

Durée : 1 heure et 38 mn

Sortie à Paris : mercredi 28 mai 2003

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John McTiernan n’est pas un mauvais réalisateur, et l’on se souvient notamment du très plaisant Last action hero, où Schwarzy se tournait, lui-même et ses films d’action, en complète dérision. Soit dit en passant, ce film moquait également la règle hollywoodienne qui prescrit que tous les numéros de téléphone doivent commencer par 555, afin d’éviter les procès au cas où un véritable numéro serait utilisé involontairement – ce qui en dit long sur la manie procédurière de nos très chers amis d’outre-Atlantique. Dans une autre production, on a même vu cette précaution prise sur un numéro de téléphone dont on ne voyait à l’écran que ces trois premiers chiffres ! Ce qui n’est pas sans évoquer cette bonne blague du masturbateur enfilant un préservatif sur chacun de ses cinq doigts.

Lorsqu’un réalisateur, connu pour être un bon faiseur, tourne un film raté, comme c’est le cas pour Basic, il n’est pas interdit de se demander pour quelle raison cela n’a pas fonctionné ; c’est même plus instructif que de chercher à comprendre pourquoi les bons films marchent !

L’histoire est présentée au début comme une enquête sur un crime commis dans l’Armée des États-Unis basée à Panama : un sergent instructeur noir, renommé pour son sadisme qui rappelle celui du sergent dans Full metal jacket, aurait été assassiné par un de ses hommes, membre d’un commando de recrues des forces spéciales dites « d’élite », au cours d’un exercice d’entraînement dans la jungle. En fait, du sergent et des six recrues, dont une femme, seuls deux sont revenus à la base, un blessé grave, et le meurtrier « présumé », comme écrivent les journaux prudents (eux aussi, et voir plus haut) ; en outre, un ouragan a très opportunément dispersé les corps des victimes, qui n’ont donc pas été retrouvés. Ne demeure ainsi que le témoignage du blessé, car le soldat qu’on accuse du meurtre refuse de parler à tout autre qu’à un ranger. De sorte qu’un ancien de ce corps, Hardy, naguère chassé de l’Armée pour avoir été soupçonné de corruption passive au profit de trafiquants de drogue, est prié de prêter son renfort à l’enquêtrice officielle, sur la demande d’un ancien camarade, aujourd’hui colonel et qui commande la base d’où venaient les victimes et l’assassin présumé. Dès lors, les rebondissements et coups de théâtre vont pleuvoir aussi dru que les cataractes d’eau qui tombent du ciel tout au long du récit, amenant le spectateur à constater que rien n’est vrai dans cette histoire, puisque les victimes ne sont pas mortes, que le colonel qui a demandé l’enquête est en fait l’organisateur du trafic de drogue au centre de tout cela, et que l’enquêteur prétendument corrompu jouait en réalité un double jeu, et n’avait pour but que de démasquer son ex-copain... avec l’aide du « mort » et de ses compagnons de commando, lesquels collaborent secrètement avec lui dans la lutte contre la drogue. Bref, difficile d’inventer une histoire plus tordue, et un dénouement aussi opposé aux données de départ.

L’ennui, c’est que tous ces coups de théâtre, balancés en rafales, n’avancent que par les multiples révélations que fournit le dialogue, très abondant, et par les nombreux flashbacks illustrant les dépositions des protagonistes du drame... qui n’a pas eu lieu. Or, l’écoute desdits dialogues par le spectateur est rendue plutôt aléatoire pour une raison dont j’ai déjà parlé dans la page sur Orange mécanique : l’attention est sans cesse distraite par toutes sortes de facteurs, mouvements, agitation, cris, vacarme des armes, des hélicoptères, de la pluie, sans compter les mouvements de la caméra, qui ne connaît guère de repos.

Une autre raison d’incompréhension, quoique mineure, est celle-ci : on y évoque constamment des personnages qui ne sont pas à l’écran et qu’on distingue mal, car le réalisateur n’a pas pris la peine d’associer assez solidement leur nom à leur visage, et parce que tout se déroule de nuit et sous la pluie, comme dans Seven ; si bien que le spectateur est un peu perdu, je n’ose dire « noyé », entre Dunbar, Kendall, West, Mueller, Osborne, Castro, Hardy, Styles, Pike et Nuñez. Lorsque enfin il s’y retrouve, c’est un peu tard, le film est terminé...

Enfin, il y a les flashbacks. Il existe au cinéma une règle non écrite qui veut que tout événement auquel assiste le spectateur est considéré par lui comme réel, sauf si, au moyen d’un quelconque artifice, on lui fait comprendre que cela relève du fantasme – ce qui arrive assez fréquemment. Or cette règle, devenue assez souple avec le temps, est restée très stricte en ce qui concerne les retours en arrière, et le spectateur accepte assez mal qu’un flashback soit mensonger. C’est même pour cette raison qu’Alfred Hitchcock a été quelque peu critiqué lorsqu’il a commencé son film Stage fright (en français, Le grand alibi, avec Marlene Dietrich) par un flashback racontant un événement qui ne s’était pas produit ! Lui-même, du reste, a reconnu qu’il avait eu tort de se permettre cet écart. Or, dans Basic, les flashbacks sont très nombreux... et tous mentent ! C’est ainsi qu’on est témoin, entre autres, de meurtres qui n’ont pas eu lieu. Le procédé donne par conséquent au spectateur le sentiment qu’on l’a mené en bateau avec un scénario qui n’est pas honnête.

Il va sans dire que ce qui précède n’est pas une critique d’ordre moral. Je n’ai voulu que souligner pour quelle raison le film, quoique palpitant, ne fonctionnait pas, en définitive. Erreur de conception. Nous en verrons d’autres, n’ayez crainte...

En bref : à voir à la rigueur.Haut de la page

[Entracte 13]

Le DVD, qui n’existait pas il y a dix ans, est devenu si répandu qu’il a détrôné la cassette vidéo. Comme il n’y a pas d’effet sans cause, on doit bien convenir qu’il offre bien des avantages : une image de meilleure qualité due à un nombre plus élevé de lignes, un son incomparable sur six pistes (en attendant les huit annoncées), que bien des salles de cinéma sont incapables de fournir, les fameux bonus – dont parfois on se passerait bien, car les scènes « coupées » qu’on y trouve ont souvent été coupées pour de bonnes raisons, et je pense notamment à la version en DVD d’Apocalypse now –, et l’accès direct à n’importe quel moment du film, ce qui, pour une raison évidente, est impossible avec une bande magnétique.

Cela posé, il faut bien constater que les éditeurs font tout pour nous dégoûter du nouveau procédé. Pas seulement parce que la compression des images par le procédé MPEG-2 introduit des perturbations (les artefacts, comme disent les spécialistes), que la cassette ignorait puisque les films n’y sont pas compressés, mais aussi parce que, l’absurde mode du 16/9 aidant, certains de ces marchands de soupe se plient à la fausse nécessité de remplir les fameux écrans larges, et cela par le pire des moyens : en charcutant le cadrage des images.

Les meilleurs réalisateurs sont très attentifs au cadrage, qui est en effet un élément capital de la mise en scène. Et ce n’est pas sans raison s’ils choisissent tel ou tel format. Observez avec attention le cadrage des films de Jerry Lewis, par exemple, et vous n’aurez pas de mal à constater l’importance que prend la place d’un élément visuel, en fonction de sa position par rapport aux bords de l’image. Couper une image, c’est donc, pour un cinéphile, un véritable crime. Peut-on imaginer le conservateur du Rijksmuseum d’Amsterdam coupant les bords de La ronde de nuit de Rembrandt, afin de la faire tenir dans un cadre qui n’aurait pas été fabriqué aux bonnes dimensions ? L’administrateur de la Comédie-Française supprimant la scène finale de Tartuffe parce qu’elle est trop artificielle ? Le patron de l’Olympia coupant les micros à Lara Fabian au-delà d’un certain nombre de décibels ? (Non, là, je rêve...)

C’est pourtant ce que font les éditeurs. Cette désinvolture n’a rien de nouveau, puisque les cassettes, elles aussi, offraient souvent des images recadrées, notamment par le désastreux procédé Pan et Scan. Les torts sont donc partagés (vous me direz que les éditeurs sont les mêmes !). Mais plutôt que de gloser à l’infini sur des considérations abstraites, prenons plutôt un exemple concret. Voici deux images strictement identiques d’un même film, Empire du soleil, de Steven Spielberg. Celle du haut est extraite du DVD, celle du bas provient de la cassette. La différence de qualité, visible, est normale, puisque les procédés d’enregistrement et les résolutions respectives diffèrent. Observons plutôt les limites du cadre :

 

 

 

On le constate : aucune des deux images ne contient l’intégralité de la vue d’origine. Sur la cassette, inévitablement, ce sont les bords latéraux qui ont été sacrifiés. Le chauffeur à l’extrême gauche, visible sur le DVD, a disparu, ainsi que la voiture blanche derrière lui, et l’immeuble dont on aperçoit la fenêtre au-dessus de sa tête. À droite, il manque une petite partie du motif architectural de l’église. Mais le DVD, pas plus que la cassette, n’offre l’image entière du film : en bas, il manque très peu de chose (observez la tache sur le sol, près de la jambe du chauffeur au premier plan), mais en haut, repérez les corniches sur la colonne de l’église, au-dessus du volant, ou les arcs à sa droite ! Voyez aussi le haut du portail de droite, qui n’est pas entier sur le DVD. Par ailleurs, la casquette du chauffeur est très proche du bord de l’image, alors qu’elle en est bien éloignée sur la cassette.

Signalons en outre que les téléviseurs cathodiques actuels, souvent mal paramétrés en usine, et que l’utilisateur n’a plus la possibilité de régler manuellement, sont incapables d’afficher la totalité de l’image qu’ils reçoivent, 720 points par ligne horizontale, et 576 lignes, ce qui est la norme en PAL, quel que soit le format : eux aussi la tronquent, et vous risquez d’en voir moins sur votre poste de télé que sur le moniteur de votre ordinateur.

Mais ne crions pas au scandale : tout cela est fait pour nous encourager à voir les films en salle, voyons ! Et si on en faisait le grand jeu de l’été, une variante du Jeu des Sept Erreurs ? Cherchez ce qui manque sur vos cassettes et vos DVDs ! L’idéal sur la plage !

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Long way home

Réalisateur : Peter Sollett

Titre original : Raising Victor Vargas

Scénario : Peter Solett, Eva Vives

Interprètes : Victor Rasuk (Victor), Judy Marte (Judy), Melonie Diaz (Melonie), Altagracia Guzman (la grand-mère), Silvestre Rasuk (Nino), Krystal Rodriguez (Vicki), Kevin Rivera (Harold), Wilfree Vasquez (Carlos)
Durée : 1 heure et 28 mn

Sortie à Paris : mercredi 2 juillet 2003

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Ce film est la suite d’un court métrage de 29 minutes sorti en 2000 sous le titre Five feet high and rising, dû aux mêmes auteurs, réalisateur et interprètes principaux, Victor Rasuk et Judy Marte. Interprètes qu’on reverrait volontiers, car ils ne sont pas encore touchés par la sophistication. Ce court métrage marquait les débuts de Peter Sollett, fils d’immigrés russo-polonais né en 1976 à New York. Le présent long métrage s’intitule en fait Raising Victor Vargas ; pourquoi donc, en « français », ce titre absurde, sans rapport avec l’histoire, et qui a déjà servi cent fois, Long way home ? En outre, les salles qui le projettent auraient été bien inspirées de passer les deux films au même programme, étant donné que le court métrage n’a jamais été vu chez nous, et que leurs durées additionnées ne dépassent pas les deux heures. Mais ne rêvons pas, l’amour du cinéma ne subsiste guère que chez quelques attardés...

Comme chacun sait, les Américains pauvres sont souvent obèses. Or nous sommes ici dans un quartier relativement pauvre de New York, le Lower East Side, dans le sud de Manhattan (où se trouve le bâtiment des Nations-Unies), et Victor, dix-sept ans, fils d’immigrés dominicains, est surpris par un de ses copains dans la chambre d’une jeune voisine affectée d’une visible surcharge pondérale. Le bon copain s’empresse de colporter la nouvelle : Victor tire un boudin, Victor nique un gros thon. La classe. Bien qu’obèse également, Vicki, la sœur de Victor, une sale peste comme toutes les sœurs, participe aussitôt à la rumeur en jouant du téléphone, si bien que le pauvre Victor n’a d’autres ressources que, primo, flanquer le téléphone par la fenêtre, et, secundo, se chercher une nana un peu plus montrable s’il ne veut passer pour un lardu. Ce sera Judy, jolie fille qu’il s’en va draguer à la piscine. Mais Judy commence par l’envoyer au bain, ce qui est en situation. Cependant, après négociation avec le frère (obèse) de la dulcinée, sur le mode « Tu me présentes ta sœur, je te présente la mienne », elle se ravise lorsqu’elle est harcelée par des voyous du quartier : le seul moyen d’être tranquille, c’est de faire croire qu’elle « a un mec », et donc, pourquoi pas Victor, qui présente l’avantage d’être beau garçon ?

On le voit, tout cela relève de la haute politique. Les deux jeunots vont entamer un marivaudage classique, au terme duquel ils devront convenir qu’ils s’aiment réellement. Rien de surprenant, sauf pour eux. Mais ce n’est pas tout.

Victor, son cadet Nino (les deux garçons étant aussi frères dans la vie) et leur demi-sœur Vicki partagent une chambre unique chez leur grand-mère, car leurs parents sont morts. Soit dit en passant, même vivants, les autres parents ne sont pas davantage présents : on n’en voit aucun, sauf, un court instant, la mère de Judy, et c’est ce qui rend davantage omniprésente la grand-mère. Gratinée, la grand-mère ! Elle pose un cadenas sur le téléphone récupéré puis rafistolé, marmonne sans cesse, et se vante beaucoup de ses qualités culinaires, qui se bornent en fait à carboniser des hamburgers et à s’emmêler les pinceaux dans sa cuisine pas nettoyée depuis le temps du reaganisme. Il faut dire qu’elle est davantage portée sur la religion, traîne sans vergogne ses petits-enfants à l’église, et leur fait à tout bout de champ la morale – à Victor surtout, qu’elle tient pour un voyou. En revanche, elle chouchoute outrageusement le beau Nino, parce qu’il est gentil, qu’il leur joue du Bach au piano (le buste du compositeur trône au-dessus du piano), et qu’il ne renâcle jamais. Hélas, il a quatorze ans, et le sexe commence à le travailler, aussi demande-t-il quelques conseils de drague à son frère aîné, qu’il prend pour un expert. Tout va se gâter le jour où l’aïeule surprend l’innocent Nino fort affairé à se masturber dans les toilettes. Illico, elle traîne... Victor aux services sociaux, et puisqu’il a, très certainement, donné le mauvais exemple à son frère et lui a inspiré cet acte diabolique, elle déclare qu’elle veut l’abandonner. C’est la scène clé du film, celle qui montre sans fard la mainmise de l’Église catholique sur les esprits des pauvres – sa principale clientèle. L’employée des services sociaux fait remarquer à la grand-mère que la loi ne l’autorise pas à semer sa famille au gré de ses caprices, et que c’est elle qui risque la prison si elle s’avise de commettre une pareille action.

Dès lors, Victor est tranquille : lorsque sa grand-mère leur ressortira son sempiternel « N’oubliez pas que vous n’avez que moi ! », il lui rétorquera non sans raison : « N’oublie pas que tu n’as que nous ! ». Juste retour des choses. Et c’est ainsi que Victor devient tout doucement un adulte.

Le film, tout empreint de spontanéité, fait ainsi, et en douceur, passer une morale et une critique sociale. Le réalisateur Peter Sollett, soucieux de montrer la vie telle qu’elle est, soigne les petits détails qui font vrai : Nino est vêtu comme sa grand-mère lors de l’expédition aux services sociaux, le fauteuil et le canapé sont encore recouverts de leur housse en plastique afin de ne pas s’user, les personnages parlent un mauvais mélange d’espagnol et d’anglais, etc. Pas beaucoup plus âgé que ses personnages, il pose sur ces jeunes un regard amical, sans simplification abusive, puisque aucun n’est entièrement bon ni vraiment mauvais, et nous épargne les clichés habituels sur la violence des quartiers défavorisés et les scènes obligées sur la drogue. Comme le film se termine bien, on en sort légèrement euphorique, mais sans drogue. Que demander de plus ? Ah oui : qu’on pende par les pieds l’auteur des sous-titres français ! Il fait dire « maman » aux enfants lorsqu’ils parlent de leur grand-mère, et le dialogue traduit est émaillé d’expressions à la mode dans les cours de lycée, comme le trop fameux « C’est clair ! », évidemment absent du texte d’origine.

En bref : à voir.Haut de la page

[Entracte 14]

Et si nous parlions du T.A.L.C. ? Pas de panique, votre humble serviteur ne s’est pas reconverti dans la parapharmacie, et la seule poudre qu’il continuera de vous jeter n’atteindra que vos yeux. Il s’agit en effet des Titres À La Con dont on affuble certains films, qui ne méritaient pas toujours pareil traitement (on dit bien « pas toujours »).

L’observateur impartial décèle aisément plusieurs catégories de Titres À La Con. D’abord, les titres qui, d’origine, c’est-à-dire sans l’aide, style pavé de l’ours, des traducteurs appointés, peuvent revendiquer cette distinction. Mais aujourd’hui, nous les laisserons de côté, afin de nous intéresser plutôt aux films étrangers affublés d’un titre « français » (les guillemets parfois s’imposent, vous l’allez voir tout à l’heure), que notre vénéré président qualifierait sans doute d’abracadabrantesques. Vous savez en effet l’ardente affection que je porte aux traducteurs de tout poil.

Ainsi, vous connaissez certainement ce film avec Leonardo DiCaprio et Robert de Niro, intitulé chez nous Simples secrets : le titre original n’a rien à voir avec cette traduction, et le film s’appelait Marvin’s room – « la chambre de Marvin », si vous ignorez la langue de Tony Blair. Les admirateurs de Fred Astaire, eux, gardent tous en tête Shall we dance, titre qui signifie « On danse ? », et Flying down to Rio, qu’on pourrait traduire approximativement par « Atterrissage à Rio » ; eh bien, c’est devenu L’entreprenant M. Petrov et Carioca, audacieuses traductions qui démontrent qu’on peut, soit compliquer les choses à plaisir, soit les simplifier outrageusement, sans que les vendeurs de pellicules y voit malice.

Du reste, la simplification est un souci constant des traducteurs, inquiets de ce que ces crétins de spectateurs puissent ne pas comprendre un titre, serait-il traduit correctement. C’est pourquoi Saddle the wind, qui signifie « chevaucher le vent », est devenu Libre comme le vent ; que The draughtman’s contract, autrement dit « le contrat du dessinateur », s’appelle chez nous Meurtre dans un jardin anglais ; que The killing fields, dont le titre veut dire « les champs où l’on tue », s’intitule La déchirure ; que le premier film de Michael Cimino, Thunderbolt and Lightfoot, d’après les surnoms des deux principaux personnages, est devenu bêtement Le canardeur ; que The long goodbye, de Robert Altman, a été rebaptisé Le privé, titre d’une originalité confondante, avouez ; qu’un des tout premiers films de Clint Eastwood, Play “Misty” for me, est devenu Un frisson dans la nuit, parce que, bien sûr, les spectateurs français ignorent que Misty est un célèbre thème de jazz dû à Erroll Garner ; que The rumble fish, de Coppola, est devenu Rusty James ; que le sybillin All the brothers were valiant s’appelle en français La perle noire ; que The rare breed a été traduit par le très passe-partout Rancho bravo ; que There was a crooked man a été simplifié pour devenir Le reptile ; que Sweet smell of success a subi un traitement identique pour devenir Le grand chantage ; tandis que le trop simple Water, au contraire, s’est vu rebaptiser Ouragan sur l’eau plate. Même Hitchcock n’échappe pas à la talckisation de ses titres, et Stage fright, d’une expression qui désigne en anglais le trac, s’intitule chez nous Le grand alibi, et l’on se demande pourquoi seulement « grand », car Julien Lepers l’aurait qualifié d’« immense » et Fabrice Luchini d’« énorme », n’en doutez pas.

Il faut convenir que, souvent, les traducteurs de titres font un gros effort pédagogique afin de nous éduquer. Par exemple, en relevant le niveau. Ainsi, Lord of the flies devient Sa Majesté des mouches, ce qui en soi est une promotion. De même, From here to eternity est avantageusement remplacé par Tant qu’il y aura des hommes, ce qui est plus explicatif. Il est vrai que certains titres sont trop compliqués, et l’on a bien fait de remplacer The tamarind seed par Top secret, le public s’est ainsi posé moins de questions sur ces graînes de tamarinier. De même, qui pourrait comprendre un titre comme Blind date ? Personne ! Boire et déboires est plus accessible au grand public.

On l’a déjà mentionné quelque part dans ces pages, les films de Jerry Lewis sont tout particulièrement soignés par les traducteurs, soucieux de fournir un travail d’une vulgarité saine et de bon aloi. Ainsi, The bellboy devient Le dingue du palace, The errand boy est connu en France sous le titre Le zinzin d’Hollywood, et Which way to the front? est désigné par Ya ya mon général. C’est plus près de la France d’en bas. Tout comme ce Bachelor party devenu Le palace en délire...

Une mention spéciale à ce type de traduction qui substitue, à un titre anglais, un autre titre en anglais, parfois de cuisine, mais censé plus compréhensible – ou plus accrocheur, puisque la publicité s’apparente à la pêche au requin, mais dans laquelle c’est le requin qui tiendrait la canne à pêche. Ainsi, King Ralph est devenu Ralph super king, gagnant au passage un superlatif indispensable ; Lethal attraction s’est vu renommer Fatal games, tandis que Phone booth devenait Phone game, puisqu’il est évident que les spectateurs français, tous incultes, ignorent que phone booth désigne une cabine téléphonique ; le très bon film indépendant Raising Victor Vargas est affublé d’un titre, Long way home, qui a servi moultes fois et qui n’a aucun rapport avec l’histoire, puisque les personnages ne quittent à aucun moment leur quartier et ne sont donc pas « loin de chez eux ». Et, suprême raffinement, Westworld fut rebaptisé Mondwest – d’où l’anglais de cuisine dont je parlais plus haut, le mot mond n’ayant pas encore fait son apparition dans le vocabulaire anglo-saxon. Sans oublier le célèbre Midnight cowboy, connu chez nous comme Macadam cowboy. Mais le chef-d’œuvre de la traduction n’est-il pas Finder keepers (« Celui qui le trouve, le garde »), rebaptisé Cash-Cash ?

Autre mention spéciale, cette nouvelle tendance : donner au titre traduit une teinture anglo-saxonne en utilisant, non pas des mots anglais, mais une syntaxe anglaise. Le plus bel exemple est évidemment Sexe attitudes – le titre original est Body shots –, charabia qui commence à faire école, puisque, au moment où j’écris, un journal qui fait de la publicité pour le dernier film avec Johnny Depp titre sa couverture avec « Pirate attitude » ! Et si quelqu’un sait en quoi ça consiste, qu’il n’hésite pas à m’écrire...

Comme on ne voudrait pas laisser croire que les films en langue anglaise seule font bouillir l’imagination de nos cuistres, voici deux exemples, l’un italien, l’autre espagnol. L’œuvrette de Luis Buñuel Ensayo de un crimen (ce qui signifie « Répétition d’un crime »), est devenu en français La vie criminelle d’Archibald de la Cruz, tandis que Il merlo maschio (« Le merle mâle ») s’appelle Ma femme est un violonsexe ! Peut-on imaginer plus poétique ?

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Goodbye Lenin !

Réalisateur : Wolfgang Becker

Scénario : Wolfgang Becker et Bernd Lichtenberg

Interprètes : Daniel Brühl, Katrin Sass, Chulpan Khamatova, Maria Simon, Florian Lukas

Durée : 2 heures et 1 mn

Sortie à Paris : mercredi 10 septembre 2003

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Une histoire sympathique, des personnages sympathiques, un film sympathique. Mis à part le fait qu’un bon film allemand ne surgit guère qu’une fois tous les trente ans – Fassbinder est mort en 1982, Werner Herzog ne fait plus beaucoup parler de lui, et Wim Wenders poursuit une carrière internationale où l’Allemagne tient peu de place –, on ne prendrait pas la peine d’écrire là-dessus, d’autant moins que Goodbye Lenin ! triomphe dès sa sortie et n’a donc besoin d’aucune publicité. Mais il y a un bonus, comme disent les usagers du langage publicitaire : c’est que, s’il existe un piège dans lequel ce film ne tombe pas, c’est bien celui de la satire primaire, c’est-à-dire unilatérale. On devine ce qu’un tel sujet aurait donné, réalisé aux États-Unis, et la caricature anticommuniste à laquelle on aurait eu droit. Rien de tel ici.

Certes, les travers de l’ancien régime de la RDA ne sont pas dissimulés : on rit beaucoup – car il s’agit d’une comédie – de la propagande communiste, étouffante et sans nuances, qui pesait sur ce pays jusqu’en 1989, symbolisée par le fameux Mur qui emprisonna durant vingt-huit années l’ancien secteur soviétique de Berlin occupé. Propagande rudimentaire que les deux jeunes compères, Alexander et son ami Denis, un admirateur de Kubrick, s’efforcent d’imiter dans de faux journaux télévisés qu’ils bricolent eux-mêmes, en vue de cacher à la mère d’Alex, car cette déception la tuerait, que l’Allemagne de l’Est a sombré durant son coma de huit mois. Et je vous recommande en particulier la manière hilarante dont ils lui font croire que la firme ultra-capitaliste Coca-Cola, ruinée, a dû s’allier, pour survivre, avec une entreprise de Berlin-Est !

Mais enfin, l’Ouest non plus n’est pas épargné, comme en témoigne la séquence de la visite qu’Alexander fait à son père, réfugié à Berlin-Ouest, scène qui lui révèle un univers bizarre et fort peu chaleureux. Quant aux chaos de la réunification, avec ses milliers de nouveaux chômeurs, ses faillites d’entreprises et les aléas du changement de monnaie, ils ne sont pas davantage passés sous silence. Bref, l’Allemagne de l’Est défunte est montrée sous un jour nuancé auquel on ne s’attend guère, notamment par le biais du personnage central de l’histoire, la mère. Personnage chaleureux, Christiane Kerner, en effet, n’est pas une opposante au régime, et pourtant, c’est loin d’être une sotte ou une apparatchik. Mais elle croit aux vertus du socialisme et le met en pratique dans sa vie quotidienne, non sans humour d’ailleurs, notamment dans les lettres de réclamations aux autorités en place, que cette femme instruite et serviable rédige pour le compte de ses voisins moins favorisés.

La comparaison ne vous sautera peut-être pas aux yeux, et nulle part je ne l’ai lue ni entendue, mais le film, qui est au fond une histoire d’amour filial d’une grande pudeur, m’a procuré à cause de cela le même sentiment que Ressources humaines. À cela près qu’il n’y a dans cette histoire aucun salaud. Et le jeune Alexander se montre lui-même fort touchant. Si bien que le décès inéluctable de la mère et la dispersion de ses cendres n’alourdissent pas le récit, comme cela se produit souvent pour les comédies qui veulent se payer un « instant d’émotion », selon la recette bien connue. Ne croyez pas les amateurs de clichés qui vous affirmeront, comme d’habitude, qu’on « passe du rire aux larmes » : c’est le rire qui triomphe, et c’est tant mieux. Seule, la musique de Yann Tiersen s’avère d’une décevante banalité, dans le style « apportons à tout cela une touche de mélancolie ». Pas de musique du tout, c’eût été préférable.

En bref : à voir.Haut de la page

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Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.