Œuvres citées (en italique : autres que des films) : Entre ses mains – Le boucher – Gabrielle – Ma mère – Caché – La mauvaise éducation – Deux frères – Mariages – PTU – La horde sauvage – Full metal jacket – The president’s last bang – Geuddae geusaramdeul – Le mystère du lapin-garou – Wallace & Gromit: the curse of the Were-Rabbit – Chicken run – Je ne suis pas là pour être aimé – L’huissier – Le passe-muraille – Les frères Grimm – Brazil – Don Quichotte – Les aventures du baron de Munchhausen – Cendrillon – Blanche-neige – Saint-Jacques... La Mecque – L’enfant – Il était une fois dans l’oued... – Les parrains – Oliver Twist – Les noces funèbres – Corpse bride – Charlie et la chocolaterie – L’étrange Noël de Mr Jack – James and the Giant Peach – Les sorcières – La Terre vue de la Lune – Autant en emporte le vent – Twist – My own private Idaho – Carnivàle – La caravane de l’étrange – Red eye – Combien tu m’aimes ?
Personnes citées : Claude Chabrol – Anne Fontaine – Benoît Poolvoerde – Jean Yanne – Michel Ciment – Emmanuel Burdeau – Patrice Chéreau – Isabelle Huppert – Michael Hanecke – Johnnie To – Sang-soo Im – Nick Park – Steve Box – Stéphane Brizé – Sam Peckinpah – Stanley Kubrick – Park Chung-hee – Marcel Aymé – Patrick Chesnais – Jean Cocteau – Terry Gilliam – Les Monty Python – Les frères Grimm – André Delalande – Coline Serreau – Luc Dardenne – Jean-Pierre Dardenne – Djamel Bensalah – Frédéric Forestier – Karl Zéro – Jacques Villeret – Roman Polanski – Carol Reed – Ben Kingsley – Ron Moody – Roald Dahl – Mike Johnson – Pier Paolo Pasolini – Charles Dickens – Gus Van Sant – Nick Stahl – Wes Craven – Steven Spielberg – Cillian Murphy – Jalil Lespert – Colin Farrell
Réalisé par Anne Fontaine
Sorti au Canada (Festival de Toronto) le 11 septembre 2005
Sorti en France et en Belgique le 21 septembre 2005
Une femme rencontre un homme un peu bizarre, très seul et pessimiste, qui l’attire pourtant. Mais, assez vite, elle le soupçonne d’être ce tueur en série qui, depuis peu, assassine des femmes dans la région. L’arrestation d’un suspect qui se révélera innocent, et l’alibi que son nouvel ami et tueur présumé lui fournit après l’un des crimes, rien n’y fait. Il était bel et bien coupable. Mais à présent, il sait qu’elle sait. Va-t-il l’ajouter à la liste de ses victimes ?
Vous vous dites que je retarde de trente-cinq ans, que je viens de résumer Le boucher, de Claude Chabrol, film qui date de 1970 ? Mais non, il s’agit du petit dernier d’Anne Fontaine, Entre ses mains, qui est, on le voit, un plagiat complet. Jusqu’à la scène finale, où le tueur menace la fille avec l’arme du crime, avant de la retourner contre lui par désespoir de ne pouvoir l’aimer normalement, ou encore cette idée de faire interpréter l’assassin par un acteur comique, Benoît Poolvoerde à la place de Jean Yanne, tout est piqué à la meilleure œuvre de Chabrol... auquel le générique de fin oublie soigneusement de rendre hommage. Par pudeur sans doute.
Bien entendu, les très compétents critiques de l’émission Le masque et la plume n’ont RIEN vu et ont couvert le film de fleurs, estimant que c’était « un bon scénario » (Michel Ciment). Seul le plus jeune, Emmanuel Burdeau, l’a trouvé « très convenu ». Je hurle de rire. On ne louera jamais assez les grands professionnels.
En tout cas, vous voilà prévenus.
Réalisé par Patrice Chéreau
Sorti en Italie (Festival de Venise) le 5 septembre 2005
Sorti en France le 28 septembre 2005
Jean et Gabrielle sont mariés, riches, mondains. Jean a épousé Gabrielle sans l’aimer, uniquement parce qu’elle lui convenait. Un jour, Gabrielle quitte le domicile conjugal en laissant une lettre. Oh ! sa fugue ne sera pas très longue : l’épouse revient au bout de... trois heures et demie. Trop tard, les domestiques sont au courant, la vie mondaine du couple a sombré avec les apparences. S’ensuit une dispute sur le ton aigre, qui se prolonge lors d’une réception tournant donc au scandale mondain, avant que Jean, à son tour, quitte la maison – mais pour toujours, lui, affirme le carton de fin.
Le début, un dîner entre invités diserts, intéresse, puis on se lasse. Le film appartient à cette catégorie de films courts, une heure et demie, qui font trouver le temps long. Les états d’âme des riches et de leurs épouses oisives, on n’est pas forcé d’y compatir.
De toute façon, depuis plus de trente ans, lorsque Isabelle Huppert débarque sur un écran, le public sait qu’il n’est pas là pour se distraire. Rien de neuf par conséquent. Isabelle Huppert est l’éternel alibi des réalisateurs qui veulent faire sérieux... sauf lorsque le comique est involontaire, comme avec Ma mère.
Réalisé par Michael Hanecke
Sorti en France (Festival de Cannes) le 14 mai 2005
Sorti en France le 5 octobre 2005
L’histoire d’une vengeance à retardement : un enfant de six ans a causé un grave préjudice à un autre, un peu plus âgé. Plus de quarante ans après, le fils de la victime harcèle le responsable et sa famille, par des envois de cassettes vidéo – qui ne montrent d’ailleurs rien, sinon que ces trois personnes sont épiées – et de dessins assez sinistres quoique peu parlants à première vue, leur signification ne se révélant que bien plus tard.
Le récit est minutieusement conduit, les personnages restent tendus, et le réalisateur soigne les détails. Par exemple, juste après la scène la plus dramatique, il insère un long plan fixe sur la façade d’un cinéma, image apparemment inutile, mais montrant que, sur les six films programmés, figurent La mauvaise éducation, Deux frères, Mariages et Ma mère, autant de titres qui évoquent de manière détournée l’enfance du personnage principal, époque du drame à l’origine des événements montrés. À l’actif du film, on retient aussi une magnifique scène de suicide, réaliste sans être gore, spectaculaire sans être complaisante, traitée en un seul plan général – le contraire de ce qu’aurait fait un tâcheron adepte du cinéma coup de poing et du montage haché. Cela force l’estime.
Donc on est captivé, mais ce film intéressant n’est pourtant pas le chef-d’œuvre annoncé à grands cris, car ce genre d’histoire qui repose sur un mystère, en fin de compte, déçoit le plus souvent lorsque le mot de la fin est révélé. Ce pour quoi, sans doute, Michael Hanecke termine sur un long plan qui semble anodin mais contient un nouveau mystère : sur les marches de l’escalier de son lycée, vu de si loin qu’on pourrait ne pas y prêter attention, le fils de l’homme harcelé a une conversation qui semble amicale avec le harceleur, dont rien n’a indiqué auparavant qu’il le connaissait. Le public est libre d’imaginer tout ce qu’il veut.
Il est aussi permis d’imaginer que l’auteur ne savait pas comment conclure...
Réalisé par Johnnie To
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) le 9 février 2003
Sorti à Hong-Kong le 17 avril 2003
Sorti en France le 5 octobre 2005
Le titre signifie « Police Tactical Unit », et le film vient de Hong-Kong, donnant au passage l’occasion de vérifier que le bon cinéma d’Asie vient de Taiwan ou de Séoul, pas de Tôkyô, de Pékin ou de l’ancienne colonie britannique – un endroit devenu décidément charmant depuis que la Chine communiste l’a récupérée.
Les tribulations d’une patrouille de nuit aux prises avec quelques truands, et le parti-pris de ne montrer aucun habitant de la ville, pourtant grouillante. Ce pourrait être intéressant, c’est seulement brutal et bête. Une fois de plus, on a droit à l’enjolivement de la violence, de rigueur depuis La horde sauvage de Peckinpah, travers dans lequel Kubrick lui-même est tombé avec son Full metal jacket (souvenez-vous des geysers de sang filmés au ralenti !).
On devrait conseiller aux nouveaux réalisateurs, puisque les deux que je viens de citer sont morts, d’aller voir Caché, le film de Hanecke dont je parlais hier. Ils y vérifieraient que, non seulement « faire joli » avec la mort d’un être humain est un procédé tout à fait dégueulasse, mais surtout, de leur point de vue, parfaitement inefficace. Très inférieur en efficacité, c’est certain, à la scène de suicide qu’on voit chez Hanecke, où la mort apparaît comme soudaine, incongrue, sale, inadmissible. Scène, par conséquent, mille fois plus chargée d’émotion. Le contraire d’un spectacle.
Réalisé par Sang-soo Im
Titre original : Geuddae geusaramdeul
Sorti en Corée du Sud le 3 février 2005
Sorti en France le 5 octobre 2005
Chronique romancée, un poil sarcastique, du coup d’État qui a renversé le président sud-coréen Chung-hee Park en 1979. Comme de coutume, cette révolution de palais était l’œuvre d’un proche, en l’occurrence le chef des services secrets. Aucune trace d’analyse politique dans ce film, donc le plus intéressant est la visite guidée du pouvoir dictatorial tel qu’il est dans le privé : on ne se refuse rien, ni le luxe insolent, ni le cynisme, ni les filles, ni le plaisir d’humilier ses subalternes. D’un bout à l’autre de la planète, tous les dictateurs se ressemblent étrangement.
Réalisé par Nick Park et Steve Box
Titre original : Wallace & Gromit: the curse of the Were-Rabbit
Sorti en Australie le 4 septembre 2005
Sorti en France le 12 octobre 2005
Pourquoi cette expression de vague insatisfaction, après Chicken run (projet similaire, la parodie ; technique identique, l’animation image par image de figurines en pâte à modeler) ? Parce que le lapin, fût-il géant, ne fait pas peur ? Parce que 85 minutes de musique dans un film de 85 minutes, c’est trop ? Parce que, justement, si tout est parfait, il y a trop de tout ? Le public pourrait bien se lasser rapidement, tous comptes faits.
Réalisé par Stéphane Brizé
Sorti en France (Festival Jean-Carmet de Moulins) le 6 octobre 2005
Sorti en France le 12 octobre 2005
Jean-Claude fait un métier de merde, huissier. Pas ce type de larbin chargé d’ouvrir les portes dans les ministères, fonction capitale comme on s’en doute, mais huissier de justice : de ceux auxquels on confie la mission, comme le montre une des scènes du film, de saisir les meubles d’une pauvresse qui n’a pas pu payer son loyer, dû la vente ces hardes ne pas pouvoir, et de loin, couvrir le montant de la dette, voire le salaire de l’huissier ! Profession éminemment utile, par conséquent. À ce propos, rappelons que Marcel Aymé a écrit une nouvelle, L’huissier, publiée en 1943, avec neuf autres, dans le recueil Le passe-muraille : véritable parangon d’indifférence, un huissier de justice, après sa mort, allait pourtant au paradis parce qu’il avait crié (ou écrit, je ne sais plus) « À bas la Justice ! »
C’est à une prise de conscience de ce genre que l’impassible Jean-Claude, joué par Patrick Chesnais, finit par aboutir après quelques péripéties sentimentales sur lesquels on peut passer rapidement, car, bien qu’elles semblent former la trame de l’histoire, elles n’en sont pas le sujet, à mon sens. En fait, c’est un film sur l’aveuglement parental, et j’espère que les critiques professionnels vont axer leur papier là-dessus, sinon ils vont finir à France Inter, dans Le masque et la plume ! Aveuglement de Jean-Claude, qui a pris son fils dans son étude et ne voit pas que le jeune homme n’ose lui avouer que ce boulot lui ressort par les yeux ; aveuglement du père de Jean-Claude, houspillant sans arrêt le seul membre de sa famille qui pourtant vient lui rendre visite chaque semaine à l’hospice ; aveuglement de la mère de Françoise, inconsciente du fait que sa fille hésite devant la perspective de son mariage avec un minable qui se prend pour un romancier.
Le film est plein de pudeur et de sensibilité. D’une discrétion renforcée par le jeu de son excellent interprète. On n’en regrette que davantage l’une des scènes de la fin, lorsque, son père mort, Jean-Claude découvre dans une armoire fermée à clé toutes les coupes qu’il a gagnées jadis dans des compétitions de tennis, et que son père prétendait avoir jetées : navré, cet épisode, on le voit venir de très loin, parce que c’est tout bêtement un truc de scénariste.
Fin optimiste, aussi, on se demande pourquoi.
Réalisé par Terry Gilliam
Titre original : The brothers Grimm
Sorti au Canada et aux États-Unis le 26 août 2005
Sorti en France le 5 octobre 2005
Les privilégiés qui s’expriment dans les radio-télés seraient bien avisés de supprimer de leur vocabulaire les termes teintés d’un enthousiasme excessif. Sur la foi d’un avis exprimé par une critique fort honorable mais ici trop indulgente, et qui avait qualifié son scénario de « remarquable, magnifique, splendide », je suis allé voir Les frères Grimm, que pourtant j’avais décidé de boycotter. J’aurais dû me souvenir du mot de Cocteau (je crois) : « Méfiez-vous de la première impression, c’est toujours la bonne ».
Ma première impression sur Terry Gilliam, c’est qu’il est aussi mauvais réalisateur que mauvais scénariste. Certes, le public, parfois, et la presse, souvent, affirment le contraire, citant chaque fois Brazil, film passable, le dernier de sa filmographie dont on puisse encore dire cela. Ensuite, les productions catastrophiques ont défilé, le mot catastrophe étant du reste le seul convenant à son Don Quichotte, naufragé dès la première semaine de tournage pour cause, entre autres, de mauvaise préparation.
Terry Gilliam était, de l’équipe des Monty Python, celui que l’on voyait le moins à l’écran. Il se chargeait de la conception graphique des scènes, et des dessins animés servant de transitions entre les séquences de leur inoubliable série télévisée. Passé au cinéma, il a conservé l’obsession maladive de l’effet visuel, qui est sa principale préoccupation et quasiment sa marque de fabrique. En contrepartie, Gilliam ne possède ni le sens de la mesure, puisqu’il est excessif en tout, ni celui de la durée – défaut flagrant dans Les aventures du baron de Munchhausen, plus de deux heures pour une comédie, un non-sens par conséquent (quoique Stanley Kramer ait battu le record de l’absurdité avec It’s a mad mad mad mad world, une comédie qui durait, selon les versions, entre 2 heures 28 minutes et 3 heures 12 minutes !).
Ici, l’idée de base est que les frères Grimm ne sont pas ces conteurs casaniers, auteurs des célèbres Cendrillon et Blanche-Neige, mais un tandem d’escrocs qui, à coups de trucages bidons, utilisent les croyances des villageois pour leur faire les poches ; ils finissent par se heurter au « vrai » surnaturel, si l’on peut dire, avec intégration dans l’histoire de quelques thèmes issus de leurs contes ; et c’est alors prétexte à un déluge de plans fabriqués en numérique, dont on est rapidement excédé. Ce n’est pourtant pas un film hollywoodien, puisque la production est tchéco-britannique et que le film a été entièrement tourné à Prague, ville réputée autant pour ses boîtes gays que pour les tarifs très bas de ses studios de cinéma. Mais l’esprit, lui, est bien hollywoodien.
Comme il y a longtemps qu’on n’a pas relevé dans ces pages les exploits de nos amis les sous-titreurs, en voici un, signé d’un certain André Delalande : après une acrobatie réussie, l’un des frères Grimm s’écrit « Lucky ! » dans la version originale, ce qui signifie « J’ai eu de la chance », ou, si l’on préfère une traduction plus courte, « Ouf ! ». Mais les sous-titres lui font dire « Coup de bol ! », expression fort courante au dix-neuvième siècle, comme on sait.
Réalisé par Coline Serreau
Sorti en France (Festival des femmes au cinéma de Bordeaux) le 3 octobre 2005
Sorti en France le 12 octobre 2005
Un beau matin, vous vous réveillez d’humeur folâtre, et vous décidez, histoire de rester dans cette ambiance, de visionner un bon gros navet. Quoi de mieux, alors, que de vous offrir, telle une friandise, le dernier film de Coline Serreau ? Une valeur sûre ! Cette réalisatrice rate tous ses scénarios, et les films qu’elle fabrique balancent entre la prétention moralisatrice et la roublardise naïve, avec un détour par le manichéisme primaire (ici, on vise principalement le clergé catholique – indéfendable, certes, mais il existe des moyens plus subtils de le dénoncer).
Dès la première minute, le scénario s’effondre ; en effet, tout le film repose sur un postulat radicalement impossible : trois frères et sœur doivent faire à pied le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle s’ils veulent toucher l’héritage de leur mère. Tout à fait, Coline ! Lorsqu’on sait que la loi française interdit de déshériter ses enfants, on voit comme tout cela tient debout. Dans le cas de trois héritiers, la défunte aurait tout au plus eu le droit de « réserver » (c’est le terme légal) un quart de sa fortune, et chacun de ses enfants recevait au minimum un quart également. Mais alors, il n’y avait plus de film...
Je vous entends d’ici : « Et si tu nous en parlais plutôt, de ce film ? »
Quel film ?
Réalisé par Luc Dardenne et Jean-Pierre Dardenne
Sorti en France (Festival de Cannes) le 17 mai 2005
Sorti en France le 19 octobre 2005
Ce qu’on apprécie surtout chez Luc et Jean-Pierre Dardenne, c’est que ce tandem de réalisateurs belges ne joue pas du violon ! D’ailleurs, il n’y a aucune musique dans leurs films.
L’enfant du titre, en fait, c’est moins le bébé, sottement prénommé « Jimmy » par ses trop jeunes parents, que le père lui-même : Bruno, garçon de vingt ans, est l’image autant de l’immaturité que de l’inconscience. Refusant tout travail, ne pensant pas au lendemain, il vit d’expédients, de petits trafics, de revente d’objets volés par ses complices de quatorze ans, et tout à l’avenant. Sa compagne, Françoise, vient de mettre au monde leur bébé, et tous deux attendent neuf jours avant de le déclarer à l’état-civil (« On verra demain... »). Or, à peine le bébé pourvu d’une identité légale, le père va le vendre à un couple candidat à l’adoption, qu’il ne rencontre pas puisque tout se fait par téléphone, et par l’intermédiaire de truands qui, lorsque Bruno voudra tout annuler après la réaction de la jeune mère, exigeront une indemnisation de cent pour cent. Pour trouver de l’argent, le jeune idiot se livre au vol à l’arraché avec un complice collégien qui se fait prendre. Alors, responsable pour la première fois, Bruno se présente au commissariat et finit en prison.
Aucune émotion, et c’est voulu. Aucune explication sur ce revirement, et c’est encore voulu.
Quant à la vraisemblance de l’histoire, certains ont trouvé excessive la bêtise du personnage : ne pouvait-il prévoir que sa compagne n’accepterait pas si facilement la vente de son bébé ? Cependant, nous connaissons tous des jeunes qui atteignent ce degré de sottise. L’acculturation a étendu ses ravages, et nous en récoltons les fruits. Le dire n’est pas inopportun.
Lorsqu’on connaît le cinéma des frères Dardenne, on devine que le film va prendre fin dès que Bruno versera sa première larme, au parloir de la prison. Tout est dit. On frémit en imaginant ce qu’aurait fait, de cette histoire, un réalisateur français ou un fabricant d’Hollywood.
Réalisé par Djamel Bensalah
Sorti en France le 19 octobre 2005
Pourquoi Abdelbachir est-il « un prénom à la con », comme l’affirment très justement les Algériens de cette histoire ? Le film ne vous révèlera pas qu’abd el est un préfixe qui signifie « esclave de » ou « serviteur de », ne peut donc être employé seul, et DOIT précéder l’un des innombrables surnoms de Dieu – ce qui exclut Bachir, prénom ordinaire. Ce détail suffit à préciser que Johnny, déjà porteur d’un prénom à la con par conséquent, ne sait pas de quoi il parle. Ce jeune rejeton d’une Normande et d’un Alsacien, né Porte de Clichy, ne rêve que d’être arabo-musulman, et de « retourner » en Algérie, pays où il n’a évidemment jamais risqué une babouche. Il réussira et s’y installera pour toujours. Conte de fées, donc.
Cette idée d’immigration à l’envers est sympathique, mais l’histoire, qui ne va pas plus loin dans l’ambition, traitée sur le mode volubile comme chez Pagnol, est si mal fichue qu’elle ruine le projet. Le plus pénible est dans le tableau idyllique et mensonger de cette Algérie en 1985, où l’on ne voit ni armée ni police, d’où le chômage et la misère sont absents, où islamistes et attentats ne semblent pas exister, où tout le monde vit dans des demeures confortables, fait bombance, fréquente plages, cinémas et cabarets, où les Juifs sont les meilleurs amis des musulmans (!), et où les mariages arrangés se terminent bien. L’auteur se paie notre tête ? Même le garçon qui se fait circoncire à neuf ans (la famille vit en France, et le père affirme n’y avoir trouvé personne pour faire cette opération plus tôt, tu parles ! Il n’y a en France ni médecins ni cliniques) semble se porter comme un charme dans les heures qui suivent... Tout au plus consent-on à montrer que les jeunes couples non mariés ne peuvent pas « se fréquenter » trop ouvertement, ce qui est pour le moins un euphémisme grossier. Quant aux invraisemblances, elles pleuvent : Johnny n’est jamais venu en Algérie, mais il connaît tout le monde à Alger...
La fin est moliéresque : les fiancés assortis malgré eux et sans s’être jamais vus s’avèrent être le couple d’amoureux qu’on voit depuis le début et qui ne connaissaient pas l’identité de leur futur conjoint. Non seulement la ficelle a tout du câble, mais le spectateur avait deviné une heure à l’avance.
Réalisé par Frédéric Forestier
Sorti en France (Festival de Saint-Jean-de-Luz) le 11 octobre 2005
Sorti en France le 19 octobre 2005
Pour écrire cettte histoire de cinq malfaiteurs, trois scénaristes se sont coalisés (je n’ose dire « associés »), dont l’un vient du Vrai journal de Karl Zéro sur Canal Plus. Ils ont multiplié les rebondissements, ce qui n’est pas antipathique, mais oublié de se renseigner sur quelques détails, comme font la majorité de leurs confrères. Si bien que leur scénario, notamment dans ses prémices, ne tient guère debout : quatre petits voyous ont organisé un casse chez Cartier, le bijoutier de la place Vendôme. L’opération échoue, trois parviennent à se sauver, le quatrième se fait prendre, finit en prison, et il écope de... vingt-cinq ans de prison ! Pour un vol commis sans armes, c’est beaucoup, une peine de cette durée n’étant infligée que pour assassinat ou viol sur mineur. Non seulement il en écope, mais il les fait jusqu’au bout : les scénaristes n’ont donc jamais entendu parler de la remise de peine, et ignorent qu’en France, un séjour en prison atteint rarement les deux-tiers de la peine infligée. Pendant ce temps, ses anciens complices se terrent à l’étranger, et attendent la fin de la prescription, pendant vingt-cinq ans également. Or, ouvrez donc le Code pénal : pour un vol, trois années suffisent ; pour un meurtre, entre dix et vingt ans. Ce n’est pas tout : avant d’être pris, le voleur, coincé dans la chambre forte du bijoutier, a eu le temps de dissimuler pour cinq millions de francs de diamants... dans ses chaussettes. Mieux, il les dépose dans une mallette qui finira au greffe de la prison, sans que, dans les vingt-cinq ans qui suivent, nul n’ait l’idée de l’ouvrir ! À la Santé, on ne fouille pas les prisonniers qui entrent, excellente nouvelle... Enfin, lorsqu’il meurt, il peut léguer à son fils la fameuse mallette, tranquillement, par l’intermédiaire d’un notaire qui connaît tous les tenants et aboutissants de l’affaire : là encore, aucun contrôle de la part de l’administration pénitenciaire, qui restitue benoîtement la mallette sans y jeter un coup d’œil. Bref, un océan de crédibilité.
Par deux fois, le dialogue utilise la célèbre béquille du cinéma français : « Je ne sais pas quoi dire. – Eh bien, ne dis rien », déjà signalée ici.
Promis-juré, c’était le dernier film avec Jacques Villeret. Cet ancien humoriste, excellent acteur de théâtre, n’a joué au cinéma que dans des navets.
Réalisé par Roman Polanski
Sorti au Canada (Festival de Toronto) le 11 septembre 2005
Sorti en France le 19 octobre 2005
Mais qu’a donc voulu faire Polanski ? Cette histoire a été filmée plusieurs fois, et il n’y apporte rien de nouveau, sinon quelques pincées d’éculcorant. En fait, et dès le début, on a l’impression qu’il s’est emparé de l’excellente adaptation musicale due à Carol Reed, Oliver ! (1968), en a conservé les décors, les costumes, les péripéties et une partie des dialogues (dont le célèbre « Please, sir, I want some more »), et s’est contenté de supprimer tout ce qui faisait l’intérêt de cette grande réussite, la musique et la chorégraphie. De sorte qu’en fin de compte, il ne reste à peu près rien de regardable. Les acteurs, tous inconnus sauf Ben Kingsley qui n’égale pas Ron Moody dans le rôle de Fagin, peinent à retenir l’attention. Et la musique, banale, n’arrange rien.
En fait, c’est politiquement correct, puisque tous les méchants sont punis. Carol Reed, lui, avait osé montrer Oliver, neuf ans, amoureux d’une prostituée, et il épargnait Fagin et son jeune complice, qui, à la fin, partaient vers de nouvelles aventures, à savoir : truander leurs contemporains. C’est pour cela que celui-ci, Artful Dodger (« rusé combinard ») dans cette version, devient Awful Dodger (« affreux coquin ») chez Polanski ?
Réalisé par Mike Johnson et Tim Burton
Titre original : Corpse bride
Sorti en Italie (Festival de Venise) le 7 septembre 2005
Sorti en France le 19 octobre 2005
Au contraire de Charlie et la chocolaterie, qui adaptait avec fidélité deux romans de Roald Dahl, on a ici une histoire entièrement due à Tim Burton, non seulement pour le style graphique, mais aussi pour les thèmes et les plaisanteries macabres. Par ailleurs, la réalisation a été confiée en partie à un autre réalisateur, Mike Johnson, qui avait collaboré avec lui sur L’étrange Noël de Mr Jack, en 1993, et sur James and the giant peach, en 1996.
Le film ne dure que soixante-quinze minutes, et il est assez riche pour que le temps passe vite. Naturellement, comme Burton est un cinéphile, c’est bourré de citations, à commencer par le couple de gentils, qui s’appellent Victor-Victoria ! Mais il faut être attentif si l’on ne veut pas rater, par exemple, le célèbre « Franchement, ma chère » d’Autant en emporte le vent (avec en prime la citation musicale de Max Steiner).
Le sujet lui-même évoque un sketch de Pasolini, La Terre vue de la Lune, dans Les sorcières, en 1967, et dont la conclusion en forme de pirouette – oui, Pasolini pouvait rigoler, à ses heures – était : « Qu’on soit mort ou vivant, c’est la même chose ». Burton va un peu plus loin, montrant la vie sous des dehors lugubres et grisâtres, et l’au-delà comme un endroit marrant où les morts font la fête ; moyennant quoi, toutes les blagues sur la mort, textuelles ou visuelles, et du plus réjouissant mauvais goût, y passent ! Un joyeux jeu de massacre.
Réalisé par Jacob Tierney
Sorti au Canada (Festival de Toronto) le 7 septembre 2003
Sorti en France le 28 septembre 2005
Le film s’intitule ainsi, mais le mot, qui évoque tout ce qui est tordu, embrouillé, n’est jamais prononcé ; le personnage éponyme, c’est seulement Oliver, sans nom de famille, il a 17 ans, est sans domicile et va devenir prostitué. Celui qui lui met le pied à l’étrier, Jimmy, est surnommé Dodge et travaille pour un sous-traitant, Fagin, qui lui-même collecte l’argent gagné par ses protégés, au bénéfice d’un certain Bill – qu’on ne verra jamais. La plupart des péripéties initiales imaginées par Dickens et transposées dans le Toronto d’aujourd’hui sont au rendez-vous, mais le film est beaucoup plus proche de celui qu’avait réalisé Gus Van Sant en 1991, My own private Idaho, notamment avec cet amour à sens unique entre les deux garçons.
La fin n’est pas très claire : pourquoi Nancy est-elle morte, et comment ? Sur qui Dodge tire-t-il les deux coups de feu qu’on entend derrière une porte ? Et que devient-il ensuite ? Pour ce qui est d’Oliver, on le sait, il ne sortira pas de la prostitution, en dépit de sa tentative lorsqu’un sénateur semble lui témoigner un peu de sympathie – mais c’était une illusion.
La scène la plus marquante a lieu entre Dodge et son frère aîné, qui a vainement essayé de le ramener au foyer familial. Pour lui faire prendre conscience de sa déchéance, il l’oblige, l’ayant payé, à lui faire une fellation ! Mais le reste n’est pas moins lugubre, avec les drogues dures omniprésentes.
Le film est une tentative louable de renouveler le thème, mais il souffre d’une préparation insuffisante, et, Nick Stahl excepté (c’est la vedette de la série télévisée Carnivàle, alias La caravane de l’étrange), les acteurs ne sont guère charismatiques.
Réalisé par Wes Craven
Sorti aux États-Unis le 4 août 2003
Sorti en France le 28 septembre 2005
« Ayons un comportement masculin, concret, raisonnable », dit le méchant à la fille. On ne sait si le film est masculin, mais concret, certainement. Wes Craven a réussi un film d’action sans temps mort, débarrassé de toute fioriture, et surtout, de tout relent de sentimentalité : les personnages ont un but, et n’agissent que pour l’atteindre, sans perdre leur temps ni le nôtre en étalant leurs états d’âme ; comme ce serait le cas chez Spielberg et tant d’autres, qui nous assomment avec leurs héros toujours séparés de leurs femmes et qui ont des « problèmes » vis-à-vis de leurs gosses ou de leur chef de service... Ainsi dégraissé, le film dure une heure vingt-cinq, et c’est parfait.
Presque tout se passe dans un avion (d’ailleurs, on regrette les séquences finales, après l’atterrissage, qui sont du déjà vu). Très bien filmée, l’angoisse du passager au moment du décollage. À signaler aussi le méchant, particulièrement intéressant, puisque c’est un beau garçon, contrairement à la tradition : il est interprété par Cillian Murphy, en passe de venir une vedette qui compte. Je vous ai déjà dit cela pour Jalil Lespert et pour Colin Farrell, et vous avez vu...
Réalisé par Bertrand Blier
Sorti en France et en Belgique le 26 octobre 2005
– C’est ta femme, ou c’est une pute ?
– Les deux, comme dans la plupart des ménages !
Ou encore :
– Un cul, c’est fait pour être touché. On est en France, quand même ! Ou alors, pas la peine d’être en France.
Bertrand Blier ne perd pas de vue sa marque de fabrique, la provocation. Mais cette fois, cela fonctionne. Parce qu’il ne tente pas de nous faire croire à cette histoire. Dialogue et situations sont aussi faux, artificiels, exagérés que possible, et c’est voulu. On sent bien que, non seulement Blier se paie la tête de ses personnages, mais aussi du spectateur ; seulement, il est complice, ici, le spectateur, parce qu’il a compris. Et il en redemande.
Le film est donc plus drôle que l’histoire qu’il prétend raconter – l’histoire n’étant que prétexte ; par exemple, à transformer Monica Bellucci en Sophia Loren, le temps d’un plan : affublée d’une robe qui n’aurait pas détonné dans La Ciociara ou dans Une journée particulière, porteuse d’un cabas contenant des poireaux, l’actrice italienne perd un instant sa personnalité factice d’éternel mannequin. Il faut dire que, tant mise en avant, c’est une comédienne moyenne, beaucoup moins belle qu’on le dit. Au point que le dialogue martèle sans cesse les louanges sur sa prétendue beauté fatale, comme pour en convaincre les sceptiques. C’est surtout Édouard Baer qui s’y colle avec une demi-douzaine de répliques stupides, et, franchement, ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux au cinéma.
Sites associés : Yves-André Samère a son bloc-notes films racontés
Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.