Œuvres citées (en italiques, autres que des films) : Le regard de Georges Brassens – L’Auvergnat – Une femme douce – Journal d’un curé de campagne – La douce – Hamlet – Heimat I - Chronique d’un rêve – Die andere Heimat - Chronik einer Sehnsucht (part 1) – Heimat II - L’exode – Die andere Heimat - Der Traum vom Auswanderung – Attila Marcel – Les triplettes de Belleville – L’illusionniste – Il était temps – About time – Quatre mariages et un enterrement – Love actually – The boat that rocked – Quai d’Orsay – Henry, portrait d’un serial killer – Henry, portrait of a serial killer – Henry, portrait d’un serial killer 2 – La dernière corvée – The last detail – Snowpiercer, le Transperceneige – Snowpercier – La Compagnie des Glaces – The host – Madeo – Mother – Robert sans Robert – Alexandre Tharaud - Le temps dérobé – Amour – Ne pas oublier coq rouge dans jour craquelé (moments Proust) – Pianomania – En solitaire – Mes séances de lutte – Comment j’ai détesté les maths – Una noche – Victor “Young” Perez – Samson et Dalila – Pépé le Moko
Personnes citées : Sandrine Dumarais – Robert Bresson – Dominique Sanda – Fyodor Dostoevsky – Antoine Vitez – Edgar Reitz – Alexander von Humboldt – Sylvain Chomet – Richard Curtis – Adolf Hitler – Bill Nighy – Bertrand Tavernier – Dominique de Villepin – Abdellâtif Kechiche – John McNaughton – Henry Lee Lucas – Otis Toole – George Bush – Hal Ashby – Randy Quaid – John Travolta – Bong Joon Ho – Jean-Marc Rochett – Ariane Ascaride – Gérard Meylan – Jean-Pierre Darroussin – Raphaëlle Aellig Régnier – Alexandre Tharaud – Michael Haneke – Gérard Pesson – Ludwig van Beethoven – Maurice Ravel – Jean-Sébastien Bach – Frédéric Chopin – Christophe Offenstein – Jacques Doillon – James Thiérrée – Olivier Peyon – Lucy Mulloy – Jacques Ouaniche – Victor Young – Victor Younki, dit Young Perez – Benjamin Younki – Mireille Balin – Jean Gabin – Brahim Asloun
Réalisé par Sandrine Dumarais)
Sorti en France le 30 octobre 2013
J’ai savouré chaque minute de ce documentaire. Évidemment, si vous préférez le rap et autres pseudo-chansons de bas étage, vous n’en aurez pas pour votre argent...
Le film est l’adaptation sur grand écran d’un documentaire télévisé, diffusé en 2011, et il se compose essentiellement de morceaux de films pris entre 1953 et 1957 par Brassens lui-même, qui avait acheté une caméra 16 mm dès le début de son succès, et s’en est servi inlassablement pendant dix ans. On y a ajouté quelques commentaires de Juliette Gréco et de François Morel, plus ceux de certains amis personnels de Brassens, comme Victor Saville, qui était un de ses copains d’enfance, ou Agathe Fallet, la veuve de René Fallet, écrivain-journaliste qui avait été le premier à faire un article sur Brassens, le 29 avril 1953, dans « Le Canard enchaîné ». Ils sont restés très liés jusqu’à la mort de l’artiste, qui ne sortait aucune chanson sans prendre son avis.
On apprend beaucoup sur la jeunesse de Brassens, et, pour la première fois, on fait la connaissance de la fameuse Jeanne (celle de la cane). L’histoire est curieuse : à dix-neuf ans, sa mère oblige Georges à partir pour Paris, parce qu’il avait été impliqué dans un cambriolage avec ses copains, et que la vie n’était plus tenable à Sète. Elle l’envoie donc chez sa tante, qui avait une couturière prénommée Jeanne, laquelle avait trente ans de plus que lui et venait de se marier avec Marcel. Et Jeanne tombe instantanément amoureuse de Georges, qui... s’installe chez eux, impasse Florimond, sans jamais travailler, sans jamais gagner un centime, et qui va y rester, après une parenthèse au STO en Allemagne, bien après le début de son succès ! Ce Marcel a été le modèle de L’Auvergnat.
C’est aussi de la femme de sa vie, Pupchen, que l’on fait la connaissance. Ils ne se sont pas mariés, n’ont pas eu d’enfants, et elle est restée avec lui jusqu’à la mort de l’artiste, en 1981, à soixante ans.
Au passage, on aura passé en revue toute la période de vache enragée que Brassens a connue, ses amitiés, puis le désastre de son triomphe, puisqu’il y a perdu toute liberté et ne pouvait plus sortir de chez lui.
Je n’ai qu’une remarque technique à faire : on a parfois recadré les images originales pour les mettre au format du cinéma actuel. Mais on pouvait s’en dispenser, puisque toutes n’ont pas subi ce traitement ridicule.
Réalisé par Robert Bresson
Sorti en France le 28 août 1969
Ressorti en France le 6 novembre 2013
Ce film a quelques particularités. D’abord, Dominique Sanda, qui y débutait à l’âge de 21 ans, est l’une des rares interprètes de Bresson qui ait fait ensuite une carrière, surtout en Italie, et elle joue toujours : en général, ces amateurs qu’il recrutait restaient des amateurs.
Ensuite, c’est à ma connaissance le seul film de Bresson où il s’est autorisé un plan de nu, toujours de Dominique Sanda – qui était très belle, il faut l’avouer.
Enfin, ce doit être le seul film de Bresson où figure un plan à la caméra portée : les deux personnages principaux visitent le zoo de Vincennes, et l’on suit un singe qui, juché sur une branche d’arbre, descend jusqu’à terre. Le reste du temps, la caméra ne bouge que s’il est nécessaire, et ne montre que l’indispensable. C’est du reste toute la définition du cinéma de Bresson, qui est l’incarnation de la sobriété.
À part cela, on aimerait dire que ce film est un grand film, mais c’est faux, on est très loin du Journal d’un curé de campagne, et l’histoire de ce couple, où seul le mari a voulu cette union mais où la femme s’ennuie et le méprise, n’est pas vraiment attrayante. Le fait que cela soit tiré d’une nouvelle de Dostoïevsky, La douce, publié en 1876, n’ajoute rien. En fait, j’ai surtout retenu le passage où Dominique Sanda fait remarquer que, dans la représentation d’Hamlet à laquelle les époux ont assisté, on a coupé le passage où Hamlet conseille aux acteurs de ne pas crier en scène ! Sage conseil. On aurait dû le refiler à Antoine Vitez et aux metteurs en scène du même acabit.
Réalisé par Edgar Reitz
Titre original : Die andere Heimat - Chronik einer Sehnsucht (part 1)
Sorti en Italie (Festival de Venise) le 29 août 2013
Sorti en France le 23 octobre 2013
Quel est donc ce critique imbécile qui, sur France Inter il y a un mois, prétendait que l’Allemagne ne nous envoyait que de mauvais films ? Hélas, c’était Michel Ciment. Or ce film-ci (et sans doute le second épisode qui l’accompagne et que je verrai demain) dépasse de loin, en intérêt tout autant que par la perfection de sa réalisation, tout ce qu’Hollywood nous envoie – pour ne rien dire du cinéma français, dont les quelques soubresauts cachent mal une agonie à laquelle il serait charitable de mettre fin.
Ces deux films constituent ce qu’on appelle aujourd’hui un préquel (ou une préquelle, il y en a pour tous les goûts) ; c’est-à-dire une histoire qui se passe, chronologiquement, avant une autre histoire alors qu’il (ou elle) a été réalisé(e) après. En clair, il avait existé une trilogie télévisée portant le même titre, réalisée par Edgar Reitz en 1984, 1992 et 2004, et qui se déroulait au vingtième siècle, alors que le présent film commence en 1842.
Vous trouverez partout le résumé de l’histoire, qui traite d’une famille de paysans pauvres, dans un village (fictif) de l’Allemagne, et qui est centrée sur un garçon de dix-sept ans, Jakob, un garçon très sensible et qui ne rêve que d’émigrer en Amérique pour échapper à la misère et à l’oppression. Cette première partie s’achève d’ailleurs sur son arrestation, après un début de révolte des villageois contre le baron local, qui a l’exclusivité de la vente de vin qu’il produit, empêchant ainsi les paysans de vendre le leur. Néanmoins, on est un peu étonné que Jakob, dont toute la famille est illettrée, soit capable de lire le français, l’espagnol, l’anglais, le portugais, et connaisse les langues des Indiens d’Amérique ! Mais laissons ce détail.
Ce Jakob, personnage très attachant, est incarné par un jeune acteur au visage intéressant, Jan Dieter Schneider, qui débute, et qui était étudiant en médecine. Comme d’habitude, la publicité du film nous inflige l’anecdote de la révélation miraculeuse d’un acteur que plus personne n’attendait, qui s’était présenté à l’audition « par simple curiosité », et qui stupéfie toute l’équipe de tournage en matière d’interprétation. Je vous supplie de me dénicher un film pour lequel les communicants ne nous font pas le coup...
Le film est en noir et blanc, mais une demi-douzaine de séquences comportent une touche de couleurs, qui sont censées jouer le rôle de symboles, ce qui n’était pas réellement nécessaire mais n’est pas gênant non plus. En fait, le plus important est l’absence d’épate, un style très éloigné du cinéma « coup de poing » tant apprécié actuellement, et qui n’est qu’une imposture. Et naturellement, pas de caméra portée à l’épaule, cette plaie : la plupart des scènes sont filmées à la steadicam – cette invention géniale qui permet des déplacements très souples –, et parfois à la grue.
Réalisé par Edgar Reitz
Titre original : Die andere Heimat - Der Traum vom Auswanderung
Sorti en Italie (Festival de Venise) le 29 août 2013
Sorti en France le 23 octobre 2013
Ce second épisode, un peu plus long, est à la hauteur du premier et possède bien sûr les mêmes qualités. Si on n’est pas prévenu, on est un peu surpris de constater que Jakob passe au second plan après sa sortie de prison, et que ce n’est pas lui qui pourra émigrer, mais son frère Gustav, celui qui lui a pris la fille qu’il aimait.
Jakob reste donc au village, et ne s’occupe plus que de science. Il va même jusqu’à entamer une correspondance avec Humboldt, mais le jour où ce savant passe par le village et demande à le voir pour rendre hommage à ce « maître » inconnu de tous, le garçon, non seulement n’est pas là, mais il se sauve à toutes jambes en apprenant la nouvelle. Curieux garçon.
On ne voit rien des émigrants installés au Brésil, car jamais l’histoire ne sort du village.
Ces deux films, il serait stupide de les manquer, on n’a rien sorti de mieux cette année. Hélas, le public ne se bouscule pas, et, au bout de deux semaines, ils sont relégués dans de rares petites salles. Vivement la sortie en DVD !
Petite curiosité, qui montre combien la presse fait bien son travail : TOUS les journaux indiquent que le titre de ce second épisode est... le même que pour le premier, seul le numéro change. Les sites de cinéma comme Internet Movie Database et le français Allociné y compris.
Messieurs, si vous saviez lire, vous auriez pu voir sur l’écran, au début du film, qu’il s’intitule différemment, comme on peut le découvrir quelques centimètres plus haut dans cette page. Précisons, pour ceux qui ne comprennent pas l’allemand, que cela signifie « Le rêve d’émigration » (et accessoirement, que « Die andere Heimat » veut dire « L’autre patrie »). Le premier épisode, en allemand s’intitule « Chronique d’un rêve secret ». Cette indication ne figure nulle part ailleurs, et surtout pas dans les journaux, apparemment !
Réalisé par Sylvain Chomet
Sorti en France (Festival d’Angoulême) le 24 août 2013
Sorti en France le 30 octobre 2013
Il ne faut pas manquer les films de Sylvain Chomet. Il nous avait régalés avec Les triplettes de Belleville et L’illusionniste, deux dessins animés délicieux, et fait ici un film avec acteurs, mais qui conserve beaucoup de l’esthétique du dessin animé. Le scénario, très sophistiqué, n’est pas racontable, disons que la fantaisie et l’intelligence y règnent. Quant aux acteurs, ils sont parfaits (dernier rôle de Bernadette Lafont, et rôle presque muet pour Guillaume Gouix).
Disons simplement que Paul est pianiste, mais muet après un traumatisme, la mort de ses parents quand il avait deux ans, évènement tragique dont il a tout oublié. Il gagne sa vie comme accompagnateur de ses deux tantes, qui l’ont élevé et animent un cours de danse, plutôt orienté vers la valse et le tango. Autour de lui, quelques personnages pittoresques, dont un accordeur de piano joué par Luis Rego, aveugle mais qui aime son métier au point d’accorder les barres de la rampe dans l’escalier de leur immeuble. Il y a aussi madame Proust, bouddhiste, passionnée d’écologie, qui cultive des légumes dans son appartement, refuse qu’on abatte les arbres même morts, et joue du ukulélé, instrument que Paul devra apprendre quand, un accident lui ayant écrasé les doigts, il ne pourra plus jouer du piano. C’est d’ailleurs ce même piano qui a causé la mort de ses parents, un couple de catcheurs dont les combats sur le ring ressemblaient furieusement à une exhibition de tango ! Juste avant, il aura tout de même gagné le concours des jeunes pianistes où il tente sa chance depuis l’âge de dix-huit ans, alors qu’il en a trente-trois.
Le plaisir que procure ce film ne cesse à aucun moment.
Réalisé par Richard Curtis
Titre original : About time
Sorti au Royaume-Uni (Festival d’Édimbourg) le 27 juin 2013
Sorti en France le 6 novembre 2013
Le genre de films qu’on va voit prce qu’on apprécie son auteur. Richard Curtis a été le scénariste de Quatre mariages et un enterrement, et le réalisateur de Love actually et de The boat that rocked. Ces films brillaient par leur fantaisie et montraient des personnages souvent maladroits et gaffeurs, mais optimistes et toujours sympathiques, ce qui, en ces temps, de sinistrose, ne fait pas de mal.
Ici, le personnage de Tim, qui se destine à la profession d’avocat, reçoit, à l’âge de vingt-et-un ans, la révélation stupéfiante que lui fait son père : on peut voyager dans le temps, mais uniquement dans le passé. En outre, les changements qu’on peut apporter au cours des évènements sont mineurs ; par exemple, on ne peut pas tuer Hitler ! Tim va donc se servir de ce truc pour améliorer sa vie sentimentale, à peine ébauchée, tâcher de rendre quelques services à ses amis, et sauver la vie de sa sœur, embarquée dans une fâcheuse aventure avec un type qui ne lui convient pas. Au terme de l’histoire, il sera convenu qu’on ne peut pas changer grand-chose, ce à quoi on s’attendait, il faut le dire, dès le début.
Seul regret : que, ainsi qu’on le voit trop souvent dans les comédies, l’auteur du film se soit cru obligé de faire mourir d’un cancer le père de Tim, personnage très attachant, puisque joué par l’excellent Bill Nighy.
Réalisé par Bertrand Tavernier
Sorti en France (Festival du film francophone d’Angoulême) le 27 août 2013
Sorti en France le 6 novembre 2013
De Bertrand Tavernier, l’un des rares bons cinéastes français, c’est la première comédie, et elle possède cette qualité de ne pas tomber dans la caricature, au point que Dominique de Villepin, qui a servi de modèle et a vu le film, a dit qu’il était encore au-dessous de la vérité !
Tavernier n’est pas Kechiche, il sait placer sa caméra sans la faire gesticuler, ainsi que parfaire un montage efficace sans jamais sombrer dans le verbiage insipide. En outre, il nous apprend beaucoup sur ce monde mystérieux qu’est le ministère des Affaires étrangères, et sur la vie d’enfer qu’on fait mener à la multitude de conseillers, chargés de mission, secrétaires et huissiers d’un grand ministère, corvéables à merci « sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre », ainsi que le précise le ministre mégalomane au jeune énarque (de gauche, alors que lui est de droite !) qu’il a engagé pour lui confier « le langage », c’est-à-dire la rédaction de ses discours. À vrai dire, le jeune Arthur Vlaminck ne sera pas le seul « nègre » de la maison...
Très distrayant, et sans une seconde de passage à vide. On rit beaucoup aux coups fourrés que tous montent les uns contre les autres, et au gag récurrent occasionné par ce ministre impulsif, au langage ordurier, qui ne sait entrer dans une pièce sans que tous les papiers voltigent, et claque toutes les portes dans un fracas de tonnerre (une mention au générique de fin précise : « Aucune porte du Quai d’Orsay n’a été malmenée ou blessée pendant le tournage de ce film »).
Réalisé par John McNaughton
Titre original : Henry, portrait of a serial killer
Sorti aux États-Unis (Chicago International Film Festival) le 24 septembre 1986
Sorti en France le 6 février 1991
Ressorti en France le 6 novembre 2013
Le film est interdit aux moins de seize ans, mais il n’est ni horrifique ni racoleur, et les scènes de meurtre, peu nombreuses en comparaison de la réalité (trois cents meurtres avoués, dont deux cents prouvés), sont vues d’assez loin ou hors champ. Néanmoins, le film a eu beaucoup de mal à sortir aux États-Unis, où la censure est incomparablement plus sévère que chez nous.
Henry Lee Lucas, qui est mort en prison en 2001, était donc l’un des tueurs en série les plus prolifiques de ce pays qui semble en produire à la pelle – les moindres n’étant pas ses hommes politiques, qui décident de la vie et de la mort de millions de pauvres gens de par le monde, sous le prétexte que leur régime est différent. Accompagné d’un type encore plus débile que lui, son amant Otis Toole (lui, Henry, bien que vu d’un bon œil par la sœur de ce dernier, la repousse sous un prétexte quelconque ; quant à Otis, il va le tuer quand celui-ci tentera de violer sa propre sœur !), Henry, donc, tue pour le plaisir, alors que, extérieurement, il semble être un homme ordinaire, voire parfois sympathique.
Le film est un constat assez froid, qui fait d’ailleurs l’impasse sur d’autres crimes bien plus odieux que ceux qu’il montre, puisque aucun viol d’enfant n’est mentionné. Il a évidemment été condamné à la peine de mort, mais, ô surprise, c’est George Bush, gouverneur du Texas à l’époque, qui a commué sa peine en détention à perpétuité ! Cette famille nous surprendra toujours...
NB : il y a eu un Henry, portrait d’un serial killer 2, réalisé dix ans plus tard avec d’autres acteurs et un autre réalisateur, mais il n’est pas sorti en France.
Réalisé par Hal Ashby
Titre original : The last detail
Sorti aux États-Unis le 14 décembre 1973
Sorti en France le 13 novembre 2013
On avait oublié de sortir ce film en France. Il n’aura fallu que quarante ans...
Il s’agit d’une sorte de road movie, où deux sous-officiers de la marine des États-Unis sont chargés, mission absurde et bien dans la tradition des armées, d’aller prendre livraison d’un prisonnier sur le lieu où il est détenu pour l’escorter vers sa nouvelle prison. L’originalité est que le pauvre gars, tout à fait inoffensif, censé n’avoir que dix-huit ans (l’interprète Randy Quaid en avait vingt-trois et les faisait largement) et être encore vierge, a été pris sur le fait en train de tenter de voler... quarante dollars, mais dans le tronc réservé aux dons pour les polios de la Marine, or c’était la femme de l’amiral qui s’occupait de cette œuvre, et l’amiral, ayant très mal pris la chose, lui a fait coller huit ans de prison. En prime, on nous dit qu’il a été « cassé », mais on se demande de quel grade, s’il n’avait que cet âge-là !
Bref, on devine dès le départ que les deux escorteurs de corvée vont s’attacher à leur prisonnier, au point d’être parfois tentés de le laisser filer, mais il ne saisit pas l’occasion. En compensation, ils lui offrent quelques plaisirs, dont une séance avec une prostituée.
On n’a pas de mal à comprendre que ce film n’est qu’un prétexte à un triple numéro d’acteurs, que Travolta a raté quoique âgé de seulement dix-neuf ans, puisque le rôle du prisonnier Meadows échut finalement à un autre.
Réalisé par Bong Joon Ho
Titre original : Snowpiercer
Sorti en Corée du Sud le 1er août 2013
Sorti en France le 30 octobre 2013
Le générique de début et la publicité affirment que l’histoire est adaptée d’une bande dessinée française en trois tomes, publiée chez Casterman, et que ses auteurs sont Jean-Marc Rochette, Benjamin Legrand et Jacques Lob. On oublie deux détails : d’abord, cette histoire provient d’un double cycle romanesque dû au romancier français Georges-Jean Arnaud, 62 tomes à partir de 1980, puis 24 tomes, le tout achevé en 1998. Arnaud, que les médias ignorent alors qu’il avait des millions de lecteurs (autant que San-Antonio), avait intitulé son œuvre La Compagnie des Glaces. Ensuite, il a existé une autre bande dessinée française, chez Dargaud, due à une autre équipe et qui conservait le titre original des romans. Elle a connu dix tomes (je les ai tous) et elle respectait l’histoire originelle. Malheureusement, bien que très bien faite, elle s’est interrompue faute de succès.
Le film, qui est d’anticipation, imagine qu’un passionné de trains, Wilford, a conçu et fait fabriquer un train de luxe qui fait inlassablement le tour du monde. Mais, lorsque les hommes, afin de combattre le réchauffement climatique, ont pulvérisé dans l’atmosphère un produit, le CW7, destiné à faire baisser la température, le résultat a dépassé leurs espérances, puisque c’est une glaciation que l’expérience a engendrée ! Résultat : l’humanité a été décimée, et les survivants ont pris place dans ce train, qui est capable de fabriquer sa propre énergie et dont les passagers peuvent vivre en autarcie, sous réserve de n’être pas trop nombreux.
Illico s’est instauré à bord un système de classes, Wilford et les privilégiés à l’avant, qui vivent comme des nababs, et la piétaille à l’arrière, que l’on parque dans des sortes de hangars roulants, que l’on nourrit avec des rations synthétiques, et que l’on pousse à s’exterminer de temps à autre afin que la surpopulation ne gagne pas.
Évidemment, il y aura une révolte, au terme de laquelle le meneur aura la révélation que, sans le savoir, il a été choisir par Wilford pour lui succéder. Mais le train est frappé par une avalanche, tombe dans un ravin, et ses passagers sont obligés de sortir. Coup de chance, il fait un peu moins froid. C’est un peu le dénouement de 2012, qui nous avait fait tant rire.
Le film est très bien réalisé, avec un maximum de trucages numériques, et l’on ne sort quasiment pas du train. Mais enfin, un je ne sais quoi empêche d’adhérer tout à fait au propos, qui m’a semblé un peu schématique et manichéen.
Le réalisateur coréen s’était fait connaître chez nous avec The host, film complètement raté mais qui avait fait baver d’admiration la critique, toujours bien avisée. En revanche, avec Madeo, rebaptisé Mother, il avait fait un excellent film.
Réalisé par Bernard Sasia
Sorti en France le 2 octobre 2013
Le monteur de Robert Guédiguian raconte leurs dix-sept films, étalés sur trente ans. Bien sûr, il faut connaître et apprécier Guédiguian, mais ce film fait un peu de fiction, en faisant se succéder arbitrairement des fragments de scène afin de tenter d’envisager un autre sort pour les personnages, toujours incarnés par les trois mêmes acteurs : Ariane Ascaride, Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin. Sans oublier de mentionner que, depuis quelques années, de nouveaux et prometteurs jeunes acteurs ont fait leur apparition dans les histoires du réalisateur.
Mais enfin, la vedette, c’est Marseille !
Sans m’être ennuyé (nous étions trois spectateurs dans la salle), j’avoue n’avoir pas appris grand-chose à cet honorable film. Il aurait peut-être fallu davantage d’explications sur le travail de montage.
Réalisé par Raphaëlle Aellig Régnier
Sorti en France le 30 octobre 2013
Très mal distribué, le film, pour toute la France, ne passe que dans... deux salles, toutes deux à Paris. Bravo !
Alexandre Tharaud est ce pianiste talentueux qui faisait deux apparitions dans Amour, le film de Michael Haneke qui a remporté la Palme d’Or à Cannes l’année dernière : il donnait un concert dans un théâtre au début du film, puis, plus tard, venait rendre visite aux deux protagonistes de l’histoire. Donc chacun le connaît, au moins de vue. Ce documentaire lui est entièrement consacré, et ne dure qu’une heure et cinq minutes.
Ce qui le caractérise, c’est sa curiosité, car il ne recule pas à interpréter des compositeurs très loin de la musique classique : on le voit, au cours d’un concert au Tonhalle de Zürich, refermer brutalement le couvercle du piano et continuer à « jouer » sur ledit couvercle ! Nous ne sommes pas loin des impostures d’un John Cage, mais le compositeur en question s’appelle Gérard Pesson, la liste de ses œuvres est interminable et porte des titres prétentieux comme Ne pas oublier coq rouge dans jour craquelé (moments Proust) – sic. Mais toutes les aberrations sont dans la nature...
Tharaud vaut mieux, naturellement, malgré ses quelques caprices et tourments intimes dont il ne nous dit rien, et il est parfait dans Beethoven, Ravel, Bach ou Chopin, qui, eux, sont éternels. Néanmoins, dans le genre, j’ai préféré de loin Pianomania, où le personnage central n’était pas un pianiste, mais un accordeur de piano.
Réalisé par Christophe Offenstein
Sorti en France (Festival d’Angoulême) le 25 août 2013
Sorti en France le 6 novembre 2013
La course appelée Vendée Globe, qui est un tour du monde en voilier, doit être faite par un navigateur solitaire : la seule présence d’une autre personne à bord, quelle qu’en soient la raison et la durée, entraîne la disqualification du participant.
Cela posé, Yann Kermadec va hériter d’un passager clandestin, un jeune Mauritanien prénommé Mano, monté clandestinement à bord (ne me demandez pas comment) au large des Canaries et qui, se disant malade, veut aller se faire soigner en France. Si sa présence se sait – or tout se sait car l’équipement informatique, véritable enfer d’indiscrétion dont le bateau est bourré, fait que rien de ce qui se passe à bord ne peut être dissimulé longtemps – risque de faire perdre la course au navigateur. Effectivement, il la perdra, car il s’est peu à peu attaché au garçon, et comme celui-ci sera forcément vu par tous à l’arrivée, il atteint le premier la ligne d’arrivée, mais... renonce à la passer : le deuxième, qu’on ne verra jamais, en profitera. C’est le seul moment émouvant du film.
La vérité oblige à dire que le film, s’il bénéficie d’un scénario soigné et sachant ménager quelques péripéties, présente quelques défauts, le pire étant la musique, aussi saugrenue que possible, et qui est du style slow pour boîte de nuit : elle gâche tout ! Il y a également le dialogue, truffé de « C’est génial ! » et de « Je gère », infra-langage qui a tout englouti. Mais les deux acteurs sont bons. Donc, un premier film plutôt honorable.
NB : le système sonore du film est censé permettre « une gestion panoramique plus précise de la verticalité du son » (sic !), mais la petite salle où il a échoué au bout de seulement deux semaines n’est pas équipée pour ce gadget, qui reste donc lettre morte. Cela vaut peut-être mieux, on a constaté, avec l’Imax, quel ravages causent ces innovations, qui ne rameuteront aucun spectateur de plus.
Réalisé par Jacques Doillon
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) le 11 février 2013
Sorti en France le 6 novembre 2013
Décidément, James Thiérrée n’a pas de chance avec le cinéma. D’abord, on n’a même pas été fichu d’éviter une faute d’orthographe dans son nom au générique de début. Mais surtout, cet artiste, considéré à juste titre comme un génie de la scène et du cirque, à titre d’auteur, metteur en scène, interprète, acrobate et musicien, n’a joué que dans des navets, dont celui-ci est certainement le pire des vingt-huit films et téléfilms où il est apparu – et le fait que le metteur en scène de celui-ci soit une sorte de vétéran intouchable du cinéma français me laisse de glace.
C’est un drame à deux personnages dénués de nom, plus trois comparses très fugitifs : Lui et Elle ont failli avoir naguère une aventure, qui n’a pas abouti, et Elle lui en a voulu. Alors, comme Schwarzy, Elle est très énervée et Elle revient, prétendûment afin de récupérer le piano qui se trouve dans la maison de campagne de son grand-père récemment défunt, piano dont on ne l’entendra jamais jouer ; Lui est occupé à faire de la maçonnerie, il est plutôt calme et placide, mais Elle veut sa revanche. Le reste du film va se passer en une suite de bagarres à coups de poings, de pieds, un peu partout, sur un canapé, sur un tapis, debout dans le jardin, sur un tas de sable, avant les scènes inévitables – puisque le film est construit pour ça – de coït plutôt violent, dans la boue d’un ruisseau (voir l’affiche racoleuse), dans un escalier, etc.
Ce film poura servir de maître-étalon permettant de mesurer la distance entre intellectuel et intello, et vous devinez de quel côté il penche, ou plutôt il sombre. À un moment, l’homme dit que leur conversation est nulle (elle est surtout ordurière, mais il paraît que l’auteur voulait éviter les « dialogues d’une grande pauvreté »), et que tout individu doté de bon sens ne trouverait aucun intérêt à leur histoire. On ne saurait mieux définir l’entreprise.
Réalisé par Olivier Peyon
Sorti en France le 27 novembre 2013
On a beau aimer les mathématiques, il faut bien convenir qu’au bout des deux-tiers, le film s’enlise en prétendant expliquer la crise financière mondiale par le mauvais usage des mathématiques, et que cela devient fort ennuyeux.
Et puis, s’il est vrai qu’on a voulu « modéliser » les prises de décisions boursières et bancaires, les mathématiciens eux-mêmes n’y sont pour rien, puisque tout est venu de l’appétit pour les gains rapides et du cynisme de ceux qui y sont accrochés. Les mathématiques sont un outil, ce qu’en font les canailles qui dépouillent les pauvres s’en servent à leur façon, et les mathématiciens n’y sont pour rien.
Et puis, un formidable oubli : toutes ces prédictions catastrophistes sur le réchauffement climatique viennent elles aussi des modèles informatiques créés pour cela, et dont on veut nous faire croire qu’ils sont capables de prévoir le climat que nous aurons dans dix ans, vingt ans ou à la fin du siècle ! Pas plus sérieux, quand on voit ce que la météo est capable de faire quand elle annonce le temps du lendemain...
Reste un plaidoyer pour la recherche pure, et l’on apprend que le seul pays au monde où les chercheurs ne sont pas condamnés à trouver des applications pratiques à leurs travaux, c’est... la Chine !
Réalisé par Lucy Mulloy
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) le 16 février 2012
Sorti en France le 27 novembre 2013
L’histoire, racontée en voix off par Lila, le personnage féminin, est celle de trois jeunes habitants de La Havane : elle-même, son frère Elio et leur copain Raúl. Elio est secrètement amoureux de ce dernier, mais le cache, car l’objet de sa flamme est homophobe et plutôt dragueur, quoique sur l’autre bord. Trois trois rêvent de quitter Cuba pour gagner Miami, qui est à seulement 145 kilomètres de là, mais encore faut-il avoir un bateau. Ils construisent une sorte d’embarcation flottante de petite taille et s’embarquent, mais un requin les attaque et tue Elio.
Les deux rescapés seront recueillis et amenés sur le littoral par trois jeunes qui ne parlent que l’anglais, donc se croient parvenus de l’autre côté du bras de mer ; mais non, ils ont été ramenés à Cuba, et la police arrête Raúl.
Il faut noter que les trois acteurs, plutôt crédibles, sont des amateurs, et que les deux interprètes d’Elio et Lila ont demandé l’asile politique aux États-Unis... ce qui a coupé court au projet de donner une suite à ce film !
Réalisé par Jacques Ouaniche
Sorti en Israël le 22 septembre 2013
Sorti en France le 20 novembre 2013
Rien à voir avec Victor Young, qui composa la musique de Samson et Dalila ! Ce premier long-métrage de Jacques Ouaniche, qui se révèle bon metteur en scène, au style très classique et soigné, raconte l’histoire vraie de Victor Younki, dit « Young Perez » pour le distinguer au début de son frère aîné Benjamin, lequel débuta aussi comme boxeur à Tunis et se contenta ensuite d’être son entraîneur. Victor disputa 136 combats, connut 91 victoires dont 27 par KO, et fut champion du monde des poids mouches, le plus jeune – vingt ans – dans cette catégorie
Perez était à la fois arabe et juif, ce qui ne facilita pas vraiment le début de sa carrière en France, en 1928. Mais il avait plus que du talent pour la boxe. Sa liaison avec l’actrice Mireille Balin est connue, mais elle refusa le mariage (c’est elle qui jouait le personnage de la femme aimée par Gabin dans Pépé le Moko, et pour laquelle il se suicidait à l’épilogue. Curieusement, on la fait incarner ici par une actrice italienne).
Victor finit très mal, déporté par les nazis au camp d’Auschwitz. Il n’y mourut pas, mais fut abattu lors d’une des « marches de la mort » par laquelle, en janvier 1945, on évacuait le camp. Il est ici joué par un autre boxeur célèbre, Brahim Asloun, qui est musulman. Il est très bon dans le rôle, son premier, même si, au début, il n’a pas l’apparence juvénile de son personnage.
Sites associés : Yves-André Samère a son bloc-notes films racontés
Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.