Œuvres citées (en italique, autres que des films) : Tellement proches ! – The Edukators – Die fetten Jahre sind vorbei – Espace détente – Caméra café – Aviator – The aviator – Citizen Kane – Scarface – Macao – La chute – Mar adentro – Vera Drake – Vérités et mensonges – All or nothing – Sideways – Mon beau-père, mes parents et moi – Le promeneur du Champ-de-Mars – Mon ange – Chok Dee – Je préfère qu’on reste amis – Les choristes – La petite chartreuse
Personnes citées : Teresa de Pelegri – Dominic Harari – Hans Weingartner – Laurent Ruquier – Jean-Marie Le Pen – Yvan Le Bolloc’h – Bruno Solo – Jacques Brel – Orson Welles – Randolph Hearst – Martin Scorsese – Leonardo DiCaprio – Adolf Hitler – Alejandro Amenábar – Mike Leigh – Imelda Staunton – Alexander Payne – Jay Roach – Michel Bouquet – René Bousquet – Jalil Lespert – Robert Guédiguian – François Mitterrand – Xavier Durringer – Bernard Giraudeau – Gérard Depardieu – Jamie Foxx – Jean-Pierre Denis
Réalisé par Teresa de Pelegri et Dominic Harari
Titre original : Seres queridos
Sorti en France (Festival de Cannes) le 14 mai 2004
Sorti en France le 26 janvier 2005
Une jeune femme juive présente à sa famille son fiancé palestinien. Pas de drame, cela se passe à Barcelone ! Et ladite famille n’est pas très portée sur la religion, sauf le jeune frère, qui fait une crise passagère dont une adepte de Confucius finira, on le devine, par le guérir, en vertu du principe qu’un clou chasse l’autre.
Comme tous les personnages sont un peu zinzins, il s’ensuit une cascade de péripéties que notre bien-aimé président qualifierait sans doute d’« abracadabrantesques », et qui valent surtout par les dialogues, tel celui-ci, entre une mère et sa petite fille de six ans : « Maman, verse-moi un Cinzano, s’il te plaît. – Ne dis jamais “S’il te plaît”, on va te prendre pour une conne ! ».
C’est assez loufoque. Et je vous ferai remarquer que je n’ai pas écrit « déjanté » ni « décalé ». On a sa fierté.
Réalisé par Hans Weingartner
Titre original : Die fetten Jahre sind vorbei
Sorti en France (Festival de Cannes) le 17 mai 2004
Sorti en France le 2 février 2005
Un TALC (titre à la con), ni allemand, ni français, ni anglais, pour ce film germanique, dont le titre original peut se traduire approximativement par « Fini de s’engraisser ». Si tout le film était à la même hauteur et du même ton que la première séquence, tout irait bien : une famille bourgeoise rentre de vacances pour découvrir qu’elle a été « visitée » ; mais les cambrioleurs se sont contentés de déplacer les objets sans rien voler : la chaîne stéréo est dans le frigo, les chaises et fauteuils entassés jusqu’au plafond, les légumes sur la table du salon, et les rouleaux de papier hygiénique sont exposés dans les vitrines, à la place des bibelots, qui ont trouvé leur juste place dans la cuvette des chiottes. Les jeunes cambrioleurs, des révolutionnaires d’une vingtaine d’années, veulent culpabiliser les riches sans commettre aucun délit (sauf celui de violation de domicile), en leur soufflant « Vous avez trop d’argent ». Bien. Mais très vite, ça tourne mal, les scènes inutiles, prévisibles ou trop explicatives s’accumulent, et lorsque les circonstances contraignent le trio à kidnapper un des bourges tant détesté, l’épisode s’alourdit d’une rivalité amoureuse entre les deux garçons, qui tombe ici comme un cheveu sur la soupe ou un trait d’esprit dans la bouche d’un membre de la bande à Ruquier. Quant à l’épilogue, il est aussi nuancé qu’un discours de Le Pen : le bourgeois enlevé, qu’on a cru sympathique, dénonce ses ravisseurs à peine rendu à la liberté, d’où la conclusion, « Certains ne changent jamais ».
Bilan, le film est manichéen, trop long, et finit par ennuyer.
Réalisé par Bruno Solo et Yvan Le Bolloc’h
Sorti en France et en Belgique le 2 février 2005
Encore deux rigolos de la télé qui passent au cinéma. Mais Yvan Le Bolloc’h et Bruno Solo ont au moins un but, s’en prendre au libéralisme économique et à ses méthodes, via une peinture voulue très corrosive du fameux « monde de l’entreprise ».
Malheureusement, au-delà des bonnes intentions, se vérifie une fois de plus le principe selon lequel le cinéma n’a rien à voir, ni avec la télé, ni avec la chanson, dont l’une des principales qualités réside dans la concision. On pense, toutes proportions gardées, à Jacques Brel, qui réussissait fort bien à raconter une histoire en trois minutes dans ses chansons, mais a échoué, par deux fois, lorsqu’il tenta l’équivalent au cinéma. Solo et Le Bolloc’h n’avaient aucune chance de pouvoir étirer sur une heure et demie les séquences courtes de leur émission de télévision Caméra café. D’autant moins que leur film tente de tout dire à la fois, erreur classique des débutants. Cela dit, rien de déshonorant. Mais parfois brouillon et un peu difficile à suivre dans ses péripéties.
Réalisé par Martin Scorsese
Titre original : The aviator
Sorti aux États-Unis le 14 décembre 2004
Sorti en France le 26 janvier 2005
Lorsque, à vingt-cinq ans, Orson Welles entreprend de réaliser la biographie romancée de Randolph Hearst, empereur authentique de la presse, il innove, aussi bien sur le plan scénaristique que sur celui du style. Cela donne Citizen Kane, et son film entre dans l’histoire du cinéma.
Lorsque, à soixante-deux ans, Martin Scorsese entreprend de réaliser la biographie romancée de Howard Hugues, roitelet de la production cinématographique – de bons films, il n’a guère que Scarface et Macao à son actif – et raté authentique de l’industrie aéronautique, il fabrique The aviator, un film des années soixante, avec du numérique en prime.
Ce n’est pas nul, pas ennuyeux non plus, grâce à un bel accident d’avion, bien filmé quoique invraisemblable, et grâce à la manière dont la folie de Hugues est amenée progressivement en évidence (les meilleures scènes du film se déroulent dans les toilettes et montrent l’obsession de l’hygiène qui gagne peu à peu le personnage). Grâce aussi à DiCaprio, qui remplit son contrat. Il est d’ailleurs producteur exécutif. Mais, après deux films dirigés par Scorsese, Leo serait bien avisé de trouver un autre auteur plus inventif ; de ceux capables de « mettre en danger » les acteurs, pour employer le langage de cette caste. Avec ce film pépère, il n’a rien risqué du tout.
Et d’autant moins que le caractère très orienté du scénario et l’évident charisme de l’acteur font que le film ne renseigne pas du tout le spectateur peu au courant d’un aspect pourtant capital du personnage : c’était un immonde salaud, antisémite et raciste. On s’étonne que deux hommes prétendus de gauche comme DiCaprio et Scorsese blanchissent un individu aussi réactionnaire et répugnant, au point de le rendre sympathique à l’écran. La chute, ce film sur Hitler, tant décrié, était plus honnête, et n’en faisait pas une victime.
Réalisé par Alejandro Amenábar
Sorti en Italie et en Espagne le 3 septembre 2004
Sorti en France le 2 février 2005
L’actualité aurait permis à un réalisateur français de tourner l’équivalent chez nous, mais non, c’est un Chilien, le très à la mode Amenábar, qui s’y est collé : un tétraplégique exige d’un tribunal que sa mort par euthanasie soit autorisée. Bien entendu, on lui refuse ce droit, au nom d’une loi calquée sur des interdits religieux qui n’ont plus leur place dans le code pénal d’un État laïc. Il se trouve obligé de passer à l’acte lui-même, grâce à l’aide de ses amis, et de saucissonner cet acte illégal en une multitude d’actes anodins, afin d’éviter qu’aucun d’eux soit poursuivi pour complicité.
Le film n’est pas « bouleversant », comme certains seraient tentés de l’écrire au vu de son sujet. En revanche, il est intelligent. On ne lui reprochera qu’une musique sollicitant un peu trop l’émotion du spectateur, parfois. Et puis, il gagnerait à coller à la réalité sans jamais s’en éloigner ; par exemple, en évitant les séquences oniriques : survol de paysages paradisiaques évoquant le rêve impossible, et répétition insistante de la scène de l’accident. Les rêves et les cauchemars du personnage central nous intéressent moins que son combat contre une légalité obtuse.
Réalisé par Mike Leigh
Sorti en Italie (Festival de Venise) le 6 septembre 2004
Sorti en France le 9 février 2005
De Mike Leigh, je n’avais vu que Vérités et mensonges, puis All or nothing (c’est bizarre, ces titres binaires), et en avais conclu que ce cinéaste ne pouvait que m’ennuyer. En session de repêchage, j’ai vu Vera Drake, et l’ai trouvé plutôt meilleur : en 1950, Vera, femme de ménage dans la cinquantaine et de nature bienveillante, « aide des jeunes filles », c’est son expression. Elle fait cela gratuitement, ignorant que l’intermédiaire qui l’oriente vers les malheureuses enceintes se fait, elle, rétribuer. Lorsque cela tourne mal et que l’une des filles finit à l’hôpital, la police vient l’arrêter, et elle est condamnée à deux ans et demi de prison. Honte sur la famille, notamment son fils de vingt-trois ans, qui ne comprend pas.
Le film est tourné avec autant de simplicité que d’humanité, grâce notamment à une excellente comédienne de théâtre, Imelda Staunton. Tout au plus, on s’interroge sur sa pertinence, plus d’un demi-siècle après, alors que la loi a changé partout – même si l’information ne s’est pas vraiment améliorée. Ne vaudrait-il pas mieux, aujourd’hui, s’interroger sur les raisons qui poussent encore certains à combattre l’avortement thérapeutique, fût-ce en assassinant des médecins qui le pratiquent, ainsi que cela se voit un peu partout ? Respect de la vie, qu’y disaient...
Réalisé par Alexander Payne
Sorti au Canada (Festival de Toronto) le 13 septembre 2004
Sorti en France le 9 février 2005
Deux copains quadragénaires, l’un, obsédé sexuel et qui va se marier dans une semaine, l’autre, abstinent à la suite d’une rupture, prennent quelques jours de vacances sur la route des vins californienne. Ils rencontrent deux filles, également connaisseuses en jus de la treille. L’abstinent va-t-il réussir à sauter la plus intellectuelle des deux ? Vous ne le saurez pas en voyant ce film, car vous vous serez endormi avant !
Blague à part, c’est trop long, et si on n’est pas diplômé en œnologie, bien des scènes vous passent par-dessus la tête et vous bassinent très vite. Les personnages sont assez bien décrits, mais on les a déjà vus dix mille fois dans d’autres films du même genre, le redoutable road movie.
Réalisé par Jay Roach
Titre original : Meet the Fockers
Sorti aux États-Unis le 16 décembre 2004
Sorti en France le 16 février 2005
Meet the Fockers ? Non, il ne s’agit pas d’une escadrille, rien à voir avec Aviator, mais de la future belle-famille du personnage central. Comme le jeu de mot avec fuckers est revendiqué, pour ne pas dire martelé, les sous-titres rebaptisent ladite famille en Furnicker ! Nous sommes le peuple le plus spirituel du monde, ne l’oublions pas...
À part cela, le film peut se voir, si l’on n’est pas trop délicat, et si l’on oublie que le véritable sujet, l’affrontement entre une culture libertaire et une culture très droitière, est escamoté. On vérifie au passage que toute l’audace des cinéastes californiens d’aujourd’hui se borne à faire écrire des dialogues salaces, voire orduriers, et des blagues plutôt grasses. Quant au fond, les difficiles préparatifs d’un mariage, mille fois vus au cinéma, le spectateur patientera bien jusqu’au vingt-deuxième siècle, s’il veut voir du nouveau.
Réalisé par Robert Guédiguian
Sorti en Allemagne (Festival de Berlin) le14 février 2005
Sorti en France et en Belgique le 16 février 2005
Bouquet joue l’ami de Bousquet ; Jalil Lespert, de plus en plus beau (surtout lorsqu’on ne lui demande pas de se déshabiller), joue les ballots ; et Guédiguian se joue du spectateur, esquivant les questions politiques. Tout comme Mitterrand esquivait les questions gênantes, soit par une pirouette, soit en mimant la vertu outragée.
Si le film, qui ne décrit rien d’autre qu’une agonie, est malgré tout intéressant, c’est pour les acteurs, et parce que le réalisateur parvient à contenir un peu sa fascination pour le personnage plutôt répulsif de Mitterrand ; car les dialogues, eux, conçus pour en mettre plein la vue, si l’on peut dire, ne suscitent que le rire chez les spectateurs. Qui veut faire l’ange fait la bête, c’est un peu le même phénomène que pour Mon ange, précisément : on a voulu faire sérieux, on est ridicule.
Et à côté de la plaque ; écoutez par exemple, dans la bouche de Mitterrand qui avait tout de même un brin de culture à défaut d’humanité, le niais « Ce n’est pas évident » pour dire « C’est difficile ». Ils l’ont confondu avec une shampouineuse...
Réalisé par Xavier Durringer
Sorti en France le 16 février 2005
On ne le croirait pas, mais un film sur la boxe thaï peut être intéressant. Seuls, les ennuis de Bernard Giraudeau, à la fin, allongent et alourdissent un peu l’histoire. On sent que l’épisode a été rajouté en vue de dramatiser un tantinet le récit. Cela mis à part, cette histoire vraie d’un petit voyou qui devient champion du monde d’un sport pratiqué de l’autre côté de la planète – où l’on ne voulait pas de lui – est plutôt captivante.
Réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache
Sorti en France le 23 février 2005
La phrase qui sert de titre a deux sens : c’est celle que dit une fille pour larguer un homme, mais c’est aussi celle que Serge dit à Claude, peu avant la fin, pour lui signifier qu’il veut mettre fin à leur brouille. Tous deux, l’un célibataire, l’autre divorcé, en ont assez de leur solitude et recourent à des expédients pour tenter de la combler, mais rien n’a marché ni ne marchera. L’amitié, elle, subsiste et se consolide.
Le classique « film de potes », avec l’inévitable Depardieu. Mais c’est bien observé, bien mis en scène et plutôt bien joué. Cependant, la séquence de fin – à New York, on se demande bien pourquoi – est sans doute de trop, et détone.
On les a décernés la nuit dernière, et la moustache de Leo a dû céder le pas aux lunettes noires de Jamie Foxx, qui a reçu le prix d’interprétation. Scorsese est très justement reparti bredouille, comme d’habitude : les jurés n’ont sans doute pas apprécié le blanchiment insensé d’Howard Hugues auquel il s’est livré dans The aviator, au prix des pires mensonges, et pas toujours par omission. Bien fait ! Bide également pour Les choristes, ce navet dont nous avons été gavés pendant des mois. Une consolation pour cette indigestion, donc.
Comme Amenábar a décroché un petit quelque chose pour Mar adentro, tous les journalistes français, ce matin, parlent de « l’Espagnol Amenábar ». Toujours bien renseignés, les journalistes français ! Alejandro Amenábar n’est pas espagnol, mais chilien. Bof, Espagnols, Chiliens, tous ces gens-là ne sont pas comme nous...
Réalisé par Jean-Pierre Denis
Sorti en France le 23 février 2005
Au volant de sa voiture, un libraire grenoblois renverse une petite fille. Elle en perd la parole. Bien que non responsable, il se sent rempli de remords et s’efforce de la ramener à la normale en allant la voir à l’hôpital, en lui parlant, en lui récitant des poèmes et en faisant le pitre. La mère, loin de lui en vouloir, s’arrange de la situation, car elle a d’autres problèmes, dans son travail en particulier. Puis l’enfant retombe dans le coma, et le scénario également. Jugez-en : la mère et le libraire, prévenus de ce coma, se rendent en hâte à l’hôpital... mais s’arrêtent en route pour s’envoyer en l’air au bord de la route nationale, avec le flot de voitures passant en arrière-plan. Toutes les mères n’ont rien de plus pressé que de faire ça lorsqu’elles vont voir leur gosse à l’hôpital, c’est connu. À l’hôpital, une infirmière commente l’état de la gosse par cette forte sentence : « Même le Prince Charmant ne pourrait pas la réveiller » ; là encore, le genre de phrase qu’on entend couramment dans les couloirs des hôpitaux, convenez. Un peu plus tard, le libraire enlève l’enfant et quitte la ville ; mise au courant de l’enlèvement et interrogée par la police, la mère trouve la situation normale, l’automobiliste tourmenté est si gentil, si dévoué... De son côté, le libraire se perd en montagne avec l’enfant, meurt dans une tempête de neige, et la petite sort à cet instant de son coma. Message de l’auteur : en donnant sa vie, il lui a rendu la sienne.
Cette « leçon d’humanisme » s’avère d’une prétention et d’une naïveté incommensurables, à la limite de la bêtise. Et bêtise bien-pensante, circonstance aggravante.
Sites associés : Yves-André Samère a son bloc-notes films racontés
Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.