Deux films à ce stade de l’année : Shutter Island, de Martin Scorsese, dont je ne dis pas que du bien, et Inception, de Christopher Nolan, encore pire si c’est possible. Biens meilleurs, le film argentin Plan B, et le film espagnol mais parlant anglais, Buried. Le cinéma français reste aux abonnés absents.
Réalisateur : Martin Scorsese
Scénario : Laeta Kalogridis, d’après le roman de Dennis Lehane
Interprètes : Leonardo DiCaprio (Andrew Laeddis, alias Teddy Daniels), Mark Ruffalo (docteur Sheehan, alias Chuck Aule), Ben Kingsley (docteur Cawley), Max von Sydow (docteur Naehring), Michelle Williams (Dolores Chanal), Emily Mortimer (pseudo-Rachel 1), Patricia Clarkson (pseudo-Rachel 2), Jackie Earle Haley (George Noyce), Ted Levine (le gardien John), Carroll Lynch (gardien-chef McPherson), Elias Koteas (pseudo-Laeddis), Robin Bartlett (Bridget Kearns), Christopher Denham (Peter Breene), Nellie Sciutto (infirmière Marino), Joseph Sikora (Glen Miga), Curtiss Cook (Trey Washington), Raymond Anthony Thomas (planton Ganton), Joseph McKenna (le dĂ©tenu Billings), Ruby Jerins (petite fille), Tom Kemp, Bates Wilder (gardiens C), Lars Gerhard (commandant allemand agonisant), Matthew Cowles (capitaine du ferry), Jill Larson (femme menottĂ©e), Ziad Akl (homme tatouĂ©), Dennis Lynch (homme « TĂŞte Rouge »), John Porell (homme pris de panique), Drew Beasley (jeune garçon), Joseph P. Reidy (standardiste), Bree Elrod (patiente), Thomas B. Duffy (garde), Ken Cheeseman, Steve Witting (docteurs), Michael E. Chapman (patient), Keith Fluker, Darryl Wooten (plantons), Michael Byron (chauffeur de McPherson), Gary Galone (garde au portail), Gabriel Hansen (jeune garde), Cassity Atkins (garde), Rob W. Gray (docteur), Alexander Hoffman (prisonnier du camp de concentration), Robert Masiello (docteur), Danny Carney (garde SS), Jeffrey Corazzini (garde de la salle de confĂ©rences), Guy A. Grundy (chef des gardes de sĂ©curitĂ©), Cody Harter (GI / tireur), Daniel Lowney (garde C), Dan Marshall (GI au camp de Dachau / officier SS tuĂ©), Americo Presciutti (garde de la sĂ©curitĂ©), Eric Rollins (planton), Skip Shea (patient), Billy Silvia (garde de la prison)
Musique : Jennifer L. Dunnington, Benjamin Pedersen et Robbie Robertson
Directeur de la photo : Robert Richardson
Montage : Thelma Schoonmaker
Durée : 2 heures et 18 minutes
Sortie à Paris : mercredi 24 février 2010
Jamais Alfred Hitchcock, s’il vivait encore, ne retomberait dans un type de film reposant sur la psychanalyse, ce qui lui est arrivĂ© deux fois : dans Spellbound (en français, La maison du docteur Edwardes) et dans Marnie, oĂą la guĂ©rison du malade se faisait via une seule scène caricaturale, alors que les traitements des maladies mentales durent en rĂ©alitĂ© des mois, voire des annĂ©es. Ici, le processus est censĂ© entamĂ© depuis deux ans, et la guĂ©rison n’a pas lieu, puisque nous assistons Ă une rechute. Si bien que le malade ne sera pas guéri, et que le corps médical, estimant qu’il fait une rechute, se décide, de guerre lasse, à le lobotomiser !
Certes, Ă©crire une critique de ce film force Ă en dire plus long que le souhaiteraient les maniaques du « Il ne faut surtout pas raconter la fin », souhait qui, s’il Ă©tait respectĂ©, rendrait impossible d’en dire quoi que ce soit. Il faut donc noter que le récit publié dans la presse et qui voudrait appâter les spectateurs potentiels (« En 1954, le marshal Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule sont envoyés enquêter sur l’île de Shutter Island, dans un hôpital psychiatrique où sont internés de dangereux criminels. L’une des patientes, Rachel Solando, a inexplicablement disparu ») est un pur argument publicitaire, donc une imposture, puisque ces personnages n’existent pas, et que tout ce qu’on voit de cette histoire, ou presque, se passe dans la tête du personnage principal, qui est un malade mental. Si bien que, très fâcheusement, le film replonge dans ce travers des annĂ©es quarante-cinquante, oĂą le fantastique de certaines productions s’expliquait banalement, Ă l’épilogue, par cette conclusion devenue un clichĂ© : tout cela n’était qu’un rĂŞve ! L’indigence Ă l’état pur...
Par conséquent, pour donner son avis, restent deux angles d’attaque : soit on parle de la forme, et on retient l’interprétation – surtout celle, nuancée, de Ben Kingsley –, ou les décors et les scènes de tempête, essentiellement numériques (l’équipe de ce seul département comprend... cinquante-sept membres recensés officiellement !) ; soit on parle de la réalisation et surtout du scénario. Or ce dernier point est criticable.
En effet, une fois de plus, le Scorsese scénariste ne s’est pas foulé : si le film est sans reproches sur le plan technique (le contraire serait malheureux, après... cinquante-et-un ans d’expérience !), le rĂ©alisateur a filmé, presque à la virgule près, un roman à succès, ne faisant que quelques petites coupures en vue d’alléger le récit – qui reste nĂ©anmoins trop long – et conservant le dialogue d’origine. Bref, il se confirme que Scorsese, qui n’était pas sans imagination lorsqu’il était jeune et tournait Taxi driver ou Raging bull, est aujourd’hui un fruit sec. Qu’on se souvienne de l’effroyable navet qu’était le remake de Cape fear (en français, Les nerfs Ă vif, en 1991). En vĂ©ritĂ©, dès New York New York, le dĂ©clin est sensible, il se confirme avec La dernière tentation du Christ, et il devient Ă©vident avec New York stories.
Mais revenons plutôt au moteur du scénario, le récit des fantasmes ressassés par un fou criminel, un homme qui tente de refouler une vérité insupportable – n’avoir pas su empêcher sa femme, malade mentale, de tuer leurs trois enfants en les noyant dans un lac, et qui a ensuite tué la meurtrière. Nous suivons donc, sur les neuf-dixièmes du film, des péripéties n’ayant eu lieu que dans son imagination, mais que le récit nous invite à croire authentiques. Procédé qui nous ramène à cette vieille question des flashbacks mensongers, utilisés à tort par Hitchcock dans Stage fright (il se l’est reproché toute sa vie) et par John MacTiernan dans Basic : montrer des évènements n’ayant jamais eu lieu, mais que le spectateur croit vrais, puisqu’il les voit ! Bien entendu, il s’agit là d’une objection d’ordre moral, mais Scorsese, qui a une grande culture du cinéma, ne pouvait pas ignorer ce point de vue. Comment donc est-il tombé dans ce travers ? Via le souhait de filmer un livre à succès, donc de s’en approprier une partie ? Il existait d’autres bons livres que celui-là ... Ayant pris la précaution de lire l’excellent roman de Dennis Lehane avant de voir le film, j’ai eu l’impression d’assister à une simple illustration de ce que j’avais lu, et le résultat n’apparaît guère créatif. Mais je suis conscient que les spectateurs n’ayant pas lu le livre peuvent croire, à tort, le travail de Scorsese bien ficelé.
Réalisateur : Christopher Nolan
Scénario : Christopher Nolan
Interprètes : Leonardo DiCaprio (Cobb), Joseph Gordon-Levitt (Arthur), Ellen Page (Ariadne), Tom Hardy (Eames), Ken Watanabe (Saito), Dileep Rao (Yusuf), Cillian Murphy (Robert Fischer), Tom Berenger (Browning), Marion Cotillard (Mal), Pete Postlethwaite (Maurice Fischer), Michael Caine (Miles), Lukas Haas (Nash), Tai-Li Lee (Tadashi), Claire Geare (Phillipa Ă 3 ans), Magnus Nolan (James Ă 20 mois), Taylor Geare (Phillipa Ă 5 ans), Johnathan Geare (James Ă 3 ans), Tohoru Masamune (garde japonais), Yuji Okumoto (gardien de Saito), Earl Cameron (homme chauve âgĂ©), Ryan Hayward (avocat), Miranda Nolan (hĂ´tesse de l’air), Russ Fega (chauffeur de taxi), Tim Kelleher (homme mince), Talulah Riley (la blonde), Peter Basham (pilote de l’avion de Fischer), Michael Gaston (officier de l’immigration), Felix Scott et Andrew Pleavin (hommes d’affaires), Lisa Reynolds (infirmière), Jason Tendell (chauffeur de Fischer), Jack Gilroy (Cobb âgĂ©), Shannon Welles (Mal âgĂ©e), Mobin Khan (caissier du casino)
Musique : Hans Zimmer
Directeur de la photo : Wally Pfister
Montage : Lee Smith
Durée : 2 heures et 28 minutes
Sortie à Paris : mercredi 21 juillet 2010
Inception, déception. Je n’aurais jamais cru écrire un jour qu’un film de Christopher Nolan était mauvais, mais c’est arrivé. En réalité, Nolan, brillant réalisateur qui a co-écrit tous les scénarios de ses films (sauf celui de Insomnia), s’était fait aider par son frère Jonathan ou par David S. Goyer pour ses trois dernières productions ; ici, il a écrit seul, et il semble que ce ne soit pas une si bonne idée : un coéquipier aurait pu lui souffler qu’il en faisait trop, sortait de son sujet et le dénaturait par le traitement qu’il lui appliquait ! Pour simplifier, disons qu’il a repris un thème voisin de celui de Memento, où le héros amnésique tentait de recouvrer des bribes de sa mémoire – laquelle s’effaçait sans cesse au bout de quelques minutes. Il a pu aussi s’inspirer de l’épisode 3, intitulé A, B ou C, de la série britannique Le prisonnier, datant de 1967, où cette idée existait déjà . Ici, Cobb, le personnage central qu’on ne qualifiera pas de « héros » (et dont le nom figure aussi dans le premier épisode de la même série britannique), est capable de s’introduire dans les rêves de n’importe qui, et il exploite ce talent pour voler les secrets d’hommes importants, pratiquant ainsi une forme nouvelle d’espionnage industriel. Or, défi nouveau pour lui, un grossium japonais, Saito, lui demande de faire l’inverse ; introduire, toujours au cours d’un rêve, une idée dans l’inconscient de sa cible, Robert Fischer, héritier d’un empire industriel dont le père va bientôt mourir, cette idée étant de démanteler l’empire en question, puique Saito projette bien sûr de récupérer la partie qui l’intéresse. Sur ce thème central se greffent les ennuis de Cobb, dont la femme s’est suicidée en laissant, la garce, une lettre l’accusant de lui avoir insufflé cette idée par les mêmes moyens ! Bref, après Shutter Island traité plus haut, encore un film qui se passe dans les esprits des personnages. Ce doit être une mode, pardon... une « tendance »... En tout cas, elle est fumeuse, et le postulat que le spectateur doit accepter est terriblement tiré par les cheveux. Mais on évite audit spectateur toute occasion de réfléchir en l’écrasant littéralement sous les scènes d’action à base de trucages spectaculaire (dont une illustration d’un célèbre dessin d’Escher, trop peu vue), et trucages dont, hélas, on a inclus la quasi-totalité dans la bande-annonce, de sorte qu’il ne reste plus grand-chose à découvrir ! Bravo aux chargés de la publicité...
Certes, on va beaucoup parler de « profondeur » à propos de ce festival de masturbation intellectuelle, mais il évoque la profondeur comme le ferait un tire-bouchon. Et, de Memento à Inception, on est passé d’une histoire mystérieuse et sophistiquée, peuplée de personnages intéressants, à un film d’action fondé sur la castagne, les explosions, les coups de feu, les incendies, les éboulements, écroulements, effondrements de toutes sortes, digne des exploits de James Bond les plus primaires... mais sans le moindre humour ni la moindre émotion. Tout cela, naturellement, filmé aux quatre coins du monde, car il y a de l’argent à dépenser, et il faut que le public le voit ; on vole donc de Paris à Los Angeles, de Tokyo à Mombasa – le Maroc, en fait –, sans oublier l’Himalaya (tournage au Canada, toutefois), sans aucune nécessité. Mais ce qui était admissible pour un personnage comme Batman ne l’est plus pour un espion industriel, et on en est à se demander pourquoi il est allé à Paris recruter une étudiante en architecture (!) pour l’intégrer à son gang. Concevoir les décors des rêves à venir ? Mais comment donc, c’est tout naturel !
On est surpris, alors que la musique est du même compositeur, de constater combien elle est inférieure à celle, très inventive, de The dark knight. Là encore, voilà un artiste qui régresse. Le résultat est une soupe effroyable, ne générant aucune émotion, digne des pires productions hollywoodiennes, et qui ne suit que cette ligne : la musique ne doit JAMAIS s’arrêter, et le vacarme doit être maximal. On a donc, sur 2 heures et 28 minutes de film, environ deux heures vingt de tapage sans imagination et sans âme. Ce trait aboutit à rendre le film assez pénible, comme si, avec des personnages aussi vides et une histoire aussi absconse, il avait besoin de cela.
La chose est aggravée dans les salles où le film passe dans le procédé Imax. Il faut savoir que les deux films de Nolan sur Batman, ainsi que celui-ci, utilisent ce procédé pour écran large – ce qui n’a rien d’original –, censé posséder une définition d’image supérieure et réclamer une sonorisation spéciale. Savoir aussi que les salles équipées en Imax sont rarissimes en France, puisque, dans la région parisienne, il n’en existe que deux, une à Ivry-sur-Seine, qui a ouvert ce 30 juin, et une à Eurodisney (aucune à Paris). Deux autres ouvriront lorsque le présent film sortira le 21 juillet, dans les banlieues de Lyon et de Rouen, et une dernière en novembre 2010, avec l’inauguration de celle de Toulouse. J’ai donc vu Inception en avant-première le 16 juillet dans la salle d’Ivry, et je puis témoigner que ce procédé... n’a aucun intérêt. L’image n’est pas meilleure que dans une salle ordinaire équipée pour la projection numérique, comme l’excellent Max-Linder, et le son n’est jamais qu’une remise au goût du jour d’un gadget inauguré en 1975, le Sensurround, qu’on avait tenté d’imposer avec des films comme Tremblement de terre ou La tour infernale : cela consistait à renforcer les fréquences basses de la bande sonore, et à les envoyer vers de puissants caissons de basses disposés un peu partout autour des spectateurs. Le résultat, très désagréable, faisait vibrer les murs, le sol et les fauteuils, et ne pouvait être utilisé que durant certaines scènes (tournées à cette fin), donc essentiellement dans des films-catastrophes. Mais le public avait boudé le truc de foire, et les exploitants avaient renoncé au bout de quelques semaines. L’Imax reprend donc ce système, un peu amélioré, moins outré, mais qui, là encore, ne convient qu’à de rares scènes, ce qui incite les réalisateurs à en inclure dans leurs productions, sans trop de nécessité. Et c’est le cas pour Inception.
Pour finir, quelques traits concernant les acteurs.
Marion Cotillard, oscarisée pour La môme (c’est sans doute pour souligner finement ce détail que le film utilise une demi-douzaine de fois la chanson d’Édith Piaf Non, je ne regrette rien), joue la femme de Cobb, et passe le plus clair de son temps, avec les flashbacks, à se suicider en se jetant du haut d’un immeuble. Comme elle n’est pas très bonne actrice et que son rôle exige qu’elle pleure, on lui a appliqué sur les joues des larmes à la glycérine. Hélas, le maquilleur devait être un débutant, les « larmes » sont visiblement trop visqueuses et ne coulent pas. Et Marion semble s’être badigeonnée le visage à l’aide d’une bougie.
Cillian Murphy, qui interprétait l’Épouvantail (le Scarecrow) dans les deux films sur Batman, a une fois de plus – la troisième – la tête dans un sac. Ce doit être un gag pour initiés entre lui et Christophe Nolan. On attend avec impatience leur quatrième collaboration et le quatrième sac.
Leonardo DiCaprio est mauvais. Il crispe les mâchoires, offre un regard vide, ne se rase plus, et donc figure le mauvais garçon tel que Scorsese lui a enseigné à le faire sur les quatre films qu’ils ont tournés ensemble. On en annonce un cinquième, pour tout arranger. En outre, il a terriblement vieilli : en 2002, dans Attrape-moi si tu peux, il avait une scène où il semblait avoir seize ans, alors qu’il en avait vingt-six ; aujourd’hui, soit huit ans plus tard, il paraît en avoir quarante-cinq ! Leo a été un bon acteur, voire un grand acteur, lorsqu’il était très jeune, autour de ses dix-neuf ans. Aujourd’hui, il n’est plus un acteur du tout. La carrière qu’il a en vue, c’est celle de Gabin ? Il la fera, et ce sera bien fait pour lui.
Réalisateur : Marco Berger
Scénario : Marco Berger
Interprètes : Manuel Vignau (Bruno), Lucas Ferraro (Pablo), Mercedes Quinteros (Laura), Ana Lucia Antony (Ana), Carolina Stegmayer (VerĂłnica), Antonia De Michelis (Madre Victor), Ariel Nuñez Di Croce (Javier)
Musique : Pedro Irusta
Directeur de la photo : Tomas Perez Silva
Montage : Marco Berger
Durée : 1 heure et 43 minutes
Sortie à Paris : mercredi 28 juillet 2010
Marco Berger, 30 ans, mère argentine, père norvégien, diplômé en Norvège, travaille en Argentine, et a réalisé en 2008 deux courts-métrages avant ce long-métrage, son premier. Dans El reloj, qui durait 15 minutes, Juan Pablo, à la sortie d’un cinéma, offrait à Javier de l’inviter chez lui en taxi, et là , l’invitait à rester. Après avoir regardé la télévision en compagnie de son cousin, il lui proposait de dormir sur place. Dans Una última voluntad, qui ne durait que 10 minutes, un condamné à mort devait être fusillé ; avant de mourir, il demandait à être embrassé, or il n’y avait que des hommes présents.
Ces deux thèmes se retrouvent dans Plan B., qui s’offre comme une bouffĂ©e d’air pur dans une atmosphère empuantie de cinĂ©ma bidon : ici, aucun escroc s’introduisant dans vos rêves pour y voler vos secrets qu’il va vendre ensuite ; aucune poursuite de voiture, aucune explosion d’un gratte-ciel ou d’un hélicopère en vol ; aucun journaliste aux dents longues prĂŞt Ă faire tomber la CIA et qui a cent espions Ă ses trousses ; personne n’y tue personne ; pas de scènes de nus ; on n’y entend pas de rap ; aucune trace de gore ; pas un seul gros mot ; et, quand deux personnages s’embrassent, on n’a pas droit à un gros plan sur leur langue ou sur leurs amygdales. À la place, un marivaudage moderne, où, à l’instar de chez Rohmer, cinĂ©aste auquel on pense souvent, seuls les sentiments, qui évoluent comme dans la vie, font avancer l’action, au rebours de ces films où l’auteur invente des évènements pour pallier le vide de son scénario.
On doit dire que Berger a réinséré dans son long métrage beaucoup d’éléments de ses deux courts-métrages : de El reloj, il a réutilisé le fait que les deux garçons partagent le même lit, mais sans rien y faire que parler et dormir ; et de Una última voluntad, le désir d’un homme d’être embrassé par un autre, mais uniquement « pour voir ». Or il faut insister sur le fait que, tout comme le réalisateur lui-même, aucun des personnages ne se revendique, du moins au début, comme homosexuel ; et qu’aucun acte homosexuel n’est accompli sur toute la durée du film, bien que l’épilogue laisse prévoir que cela ne va pas tarder ! Du reste, cette aventure démarre comme une revanche hétérosexuelle : Laura vient de quitter Bruno pour aller vivre avec Pablo, et Bruno, qui aimerait bien récupérer son ex-petite amie, voudrait casser le nouveau couple... en séduisant le garçon, méthode originale. Il s’arrange donc pour rencontrer Pablo, s’en faire un ami, et, malheureusement pour son beau projet, il en tombe amoureux. De son côté, Pablo n’est pas emballé par Laura, qu’il trouve commune, et il songe à la quitter. Bruno arrive donc à point nommé, et, de copain, il vire amoureux. Marivaux n’y avait pas pensé.
Le film est réalisé avec beaucoup de soin et revêt une forme très classique, même si l’on peut regretter que la photographie ne soit pas meilleure. La succession des scènes est ponctuée par des vues sur les toits de Buenos Ayres, mais la ville elle-même est très peu montrée. On doit surtout déplorer que les interprètes des deux garçons, surtout celui de Bruno, ne soient pas un peu plus attrayants. Mais c’est très mineur, car leur comportement est plein de retenue, et c’est une qualité qui se fait rare.
Réalisateur : Rodrigo CortĂ©s
Scénario : Chris Sparling
Interprètes : Ryan Reynolds (Paul Conroy), Ivana Miño (Pamela Lutti, sur la vidĂ©o), et les voix de JosĂ© Luis GarcĂa PĂ©rez (Jabir), Robert Paterson (Dan Brenner), Stephen Tobolowsky (Alan Davenport), Samantha Mathis (Linda Conroy), Warner Loughlin (Maryanne Conroy / Donna Mitchell / Rebecca Browning), Erik Palladino (agent spĂ©cial Harris), Kali Rocha (opĂ©ratrice du 911), Chris William Martin (reprĂ©sentant du ministère des Affaires Étrangères), Cade Dundish (Shane Conroy), Mary Songbird (opĂ©ratrice du 411), Kirk Baily (opĂ©rateur du 411), Anne Lockhart (opĂ©ratrice de la CRT), Robert Clotworthy (interlocuteur de la CRT), Michalla Petersen (infirmière du foyer), Juan Hidalgo, Abdelilah Ben Massou (ravisseurs), Joe Guarneri, Heath Centazzo (voix additionnelles), Tess Harper (autre voix de Maryanne)
Musique : VĂctor Reyes
Directeur de la photo : Eduard Grau
Montage :Rodrigo Cortés
Durée : 1 heure et 35 minutes
Budget : environ 3 millions de dollars
Sortie à Paris : mercredi 3 novembre 2010
Film espagnol (tourné à Barcelone), mais parlant anglais.
Des huis-clos, des histoires se déroulant entièrement dans un lieu unique, au cinéma, on en a vu beaucoup. Chez Alfred Hitchcock (dans un appartement, avec La corde, Fenêtre sur cour et Le crime était presque parfait ; dans un canot de sauvetage, avec Lifeboat) ; chez Joel Schumacher (avec Phone booth, autour d’une cabine téléphonique de New York) ; chez Mankiewicz (avec Le limier) ; avec je ne sais plus qui (dans un ascenseur). Mais l’extrême est atteint ici, puisque nous ne sortons jamais... d’une caisse faisant office de cercueil, enterrée quelque part en Irak par des preneurs d’otages qui veulent recevoir une rançon – de cinq millions de dollars au dĂ©but, puis, après marchandage tĂ©lĂ©phonique, d’un million seulement.
Bref, en octobre 2006, Paul Conroy, simple camionneur au service depuis janvier d’une entreprise privée travaillant là-bas pour le ravitaillement, mais indĂ©pendamment de l’armée, est pris en otage et enterré vivant. On lui a laissé de l’éclairage et un téléphone mobile, dont la batterie va tenir un peu plus de deux heures (le film est plus court, car il y a des ellipses marquĂ©es par un noir Ă l’écran), et son oxygène est rare, bien que la caisse ne soit pas vraiment Ă©tanche, puisque du sable s’y infiltre et qu’un serpent a pu s’y introduire. Le représentant de ses ravisseurs l’appelle pour exiger une rançon en billets de banque avant 21 heures, sinon, on le laissera dans sa caisse, et il mourra. Évidemment, Paul cherche par tous les moyens à obtenir du secours de la part de ses compatriotes qu’il peut appeler, non sans difficultĂ©s et malentendus, mais, peu à peu, le sable envahit son cercueil. Ses ravisseurs ont par ailleurs exigĂ© qu’il enregistre, sur son tĂ©lĂ©phone mobile, une vidĂ©o expliquant la situation, et, pour le convaincre, lui en font parvenir une autre, sur laquelle ils montrent l’exĂ©cution d’une serveuse travaillant pour la mĂŞme entreprise que lui. Plus tard, ils exigent qu’il se coupe un doigt s’il ne veut pas que sa famille soit l’objet de reprĂ©sailles. Pendant ce temps, ses compatriotes le cherchent, mais les ravisseurs les ont aiguillĂ©s sur une fausse piste – l’endroit oĂą gĂ®t un prĂ©cĂ©dent otage, qui a connu le mĂŞme sort et en est mort. Et la dernière voix qu’il entendra de son interlocuteur qui, aux États-Unis, tente de le retrouver, lui soufflera « Je regrette, Paul, je regrette énormément ». Fin du film.
C’est un exploit, évidemment, mais mieux vaut ne pas voir le film si l’on est claustrophobe, car les premières minutes, dans l’obscurité complète (on se croirait chez Marguerite Duras, qui, elle, avec Son nom de Venise dans Calcutta désert, avait tenu vingt minutes dans le noir), sont éprouvantes. Ensuite, le scénariste Chris Sparling a su trouver suffisamment de rebondissements pour faire avancer l’histoire, avec cette ultime trouvaille : l’entreprise pour laquelle travaille Paul utilise une argutie juridique pour le dĂ©clarer licenciĂ© avant l’heure de sa capture, et ainsi, se dĂ©sintĂ©resser de son sort afin de ne pas indemniser sa famille après sa mort ! Vivent les États-Unis et l’ultralibĂ©ralisme.
On raconte que le scĂ©nariste a écrit cette histoire car ses précédentes tentatives, avec d’autres histoires, avaient été refusées, parce que trop chères à réaliser. Ici, ce n’est certes pas le cas : un seul acteur (on voit aussi un personnage féminin, sur une photo puis sur une vidéo diffusées sur le téléphone), pas de décor, pas de tournage en extérieur, pas de figurants, pas de cascades, c’est presque reposant. Et cela démontre que point n’est besoin de faire les pieds au mur avec sa caméra pour faire du vrai et bon cinĂ©ma.
L’acteur est bon, et ce film va lui valoir un statut de vedette. Aucun autre interprète n’apparaît à l’écran, sauf, comme mentioné plus haut et très fugitivement, une femme, vue en vidéo sur l’écran du téléphone portable, et qui est imméditement exécutée par les ravisseurs. À part cela, une ou deux photos fixes, et rien d’autre. C’est le côté acrobatique de la mise en scène, plus savante qu’il y paraît. On évite aussi le happy end, qui serait de rigueur dans un film hollywoodien. Bref, un film en même temps austère et palpitant, qu’il serait stupide de rater parce que des journaux comme « Le Canard enchaîné » ont fait une mauvaise critique.
Sites associés : Yves-André Samère a son bloc-notes films racontés
Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.