Kinopoivre, les films critiqués par Jean-Pierre Marquet

Second semestre 2006

Début de semestre : Echo Park, L.A., pas très bon, La tourneuse de pages, bon film français, le documentaire militant Une vérité qui dérange, le merveilleux dessin animé français Azur et Asmar, de Michel Ocelot, le dernier film de Brian De Palma, Le Dahlia Noir, et le très à part Shortbus.

Echo Park, L.A.

Titre original : Quinceañera

Réalisateurs : Richard Glatzer et Wash Westmoreland

Scénario : Richard Glatzer et Wash Westmoreland

Interprètes : Emily Rios (Magdalena), Jesse Garcia (Carlos), Chalo González (l’oncle Tomas), David W. Ross (Gary), Ramiro Iniguez (Herman), Araceli Guzman-Rico (Maria), Jesus Castanos (Ernesto), Johnny Chavez (Walter), Alicia Sixtos (Eileen), Aris Mendoza (Jasmine), Dane Rosselli (Simon), Terah Gisolo (la fille « punk »), Ingrid Eggertsen (la femme bohème), Franco Delgado (l’homme qui ressemble à un taureau), Veronica Sixtos (la jeune cousine), Andrea Sixtos (invitée à la quinceanera), Carmen Aguirre (la tante Sylvia), Art Aroustamian (le patron de Carlos), James Claude (Stephen), Laura Ann Masura (autre fille), Joanie Tomsky (le docteur)

Musique : Victor Bock, J. Peter Robinson et Micko Westmoreland

Durée : 1 heure et 30 minutes

Sortie à Paris : mercredi 5 juillet 2006

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Réjouissons-nous, mes frères, enfin le retour des Titres À La Con. Le titre original désigne en réalité la fête de quinzième anniversaire des jeunes filles hispaniques aux États-Unis, censée marquer leur entrée dans la vie adulte – un peu l’équivalent de la bar-mitzva pour les garçons juifs de treize ans. Mais pour ce qui est de cette entrée, Madgalena rate la sienne, puisqu’elle se retrouve enceinte... sans avoir couché avec son petit ami Herman ! Un miracle ! On n’avait pas vu cela depuis plus de deux mille ans, paraît-il...

Le père de Magdalena la renie, comme le ferait tout père aimant et qui se respecte, si bien qu’elle quitte le domicile parental pour aller se réfugier chez un homme de 84 ans, que chacun appelle « oncle Tomas », et qui est un saint lui aussi, puisqu’il recueille les oiseaux tombés du nid : déjà il héberge Carlos, également renié par son père qui l’a surpris sur un site Internet homo. Ce Carlos fait la connaissance des voisins et propriétaires d’oncle Tomas, un couple de gays du genre gauche caviar, installé dans le quartier pour profiter de l’augmentation attendue du prix des logements, et qui ne tardent pas à se partager Carlos. On apprend un peu plus tard que ce dernier prétend n’avoir jamais couché auparavant, ce qui est hautement vraisemblable, sachant qu’il a au moins vingt-cinq ans, qu’il est bagarreur, voleur, un peu drogué et perpétuel chômeur – le portrait-robot classique des jeunes garçons vierges en milieu populaire... Les deux méchants homos ne tardent pas non plus à exiger l’expulsion de l’oncle Tomas pour mettre la main sur sa maison et son jardin, de sorte que Tomas meurt de chagrin, permettant à Carlos de prononcer son oraison funèbre, où il déclare que le vieillard « irradiait » de bonté – là encore, un vocabulaire tout à fait courant dans la bouche d’un personnage de ce style.

Puis le père de Magdalena demande pardon à sa fille, déclarée vierge et enceinte par la Faculté, et le jeune homo l’épouse à l’église, promettant de chercher un boulot stable.

Ce scénario d’une crédibilité sans faille a valu deux récompenses au film, lors du festival de Sundance, la Mecque du politiquement correct. Rappelons que, trois semaines auparavant, nos critiques avaient hurlé à l’invraisemblance et à la naïveté pour la sortie d’Avril. Cette fois, ils devaient être occupés à regarder la Coupe de Monde de foot à la télé.

En bref : inutile de se déranger.Haut de la page

La tourneuse de pages

Réalisateur : Denis Dercourt

Scénario : Denis Dercourt et Jacques Sotty

Interprètes : Catherine Frot (Ariane Fouchécourt), Déborah François (Mélanie Prouvost), Pascal Greggory (monsieur Fouchécourt), Xavier De Guillebon (Laurent), Christine Citti (madame Prouvost), Clotilde Mollet (Virginie), Jacques Bonnaffé (monsieur Prouvost), Antoine Martynciow (Tristan), Julie Richalet (Mélanie enfant), Martine Chevallier (madame Onfray), André Marcon (Werker), Arièle Buteaux (la présentatrice radio)

Musique : Jérôme Lemonnier

Durée : 1 heure et 25 minutes

Sortie à Paris : mercredi 9 août 2006

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On a tort de se laisser influencer par ses propres sentiments. Mal inspiré par mon goût de la musique en général et du piano en particulier, j’avais d’abord écrit sur ce film une critique favorable. Néanmoins, l’ayant revu en salle puis à la télévision, je dois convenir que cette histoire s’effondre et ne laisse pas subsister grand-chose.

Il s’agit d’une vengeance, genre fécond au cinéma. L’originalité, assez mince, c’est que cette vengeance n’est guère justifiée, car la victime, excellemment incarnée par Catherine Frot, n’avait pas grand-chose à se reprocher !

Pianiste concertiste, Ariane, lors d’une audition au conservatoire, a coupé involontairement, et sans en être consciente, les ailes d’une petite jeune fille, Mélanie, qui voulait aussi devenir virtuose. Dès cet instant, on pressent que cet incident va avoir de lourdes conséquences, car la jeune fille, avant de quitter le lieu de son humiliation, claque volontairement le couvercle du piano sur lequel s’exerçait une autre fille, manquant de lui écraser les doigts ! Vindicative et injuste, donc. Cet incident trouvera d’ailleurs son écho dix ans plus tard, lorsque la même transperce volontairement, avec son propre violoncelle, le pied du musicien qui la tripotait. Bref, quittant pour toujours le Conservatoire qui n’a pas voulu d’elle, la jeune Mélanie rentre chez elle en larmes, ferme à clé son piano, remet le buste de Beethoven dans sa boîte, et abandonne la musique. Devenue adulte et apprentie-secrétaire, elle est prise en stage dans un cabinet d’avocats, puis engagée par son patron pour garder son fils Tristan durant son absence, et découvre que la femme de l’avocat est la pianiste qu’elle hait depuis des années. Elle va donc saisir cette occasion pour lui faire payer son avanie, sans que sa cible comprenne jamais ce qui va lui arriver, puisqu’elle n’a pas reconnu la gosse – bien changée, blonde austère, à la peau laiteuse, et qui parle peu – dont elle avait naguère interrompu les élans.

Il faut avouer que la nature de cette revanche, assez plate et convenue, n’est pas une surprise pour le spectateur, qui aurait espéré plus original et plus corsé, tant qu’à faire ; par exemple, une vengeance s’exerçant aux dépens du fils d’Ariane (gare aux fautes de frappe, ce n’est pas le « fil d’Ariane », mais bien le fruit de ses entrailles) – comme on peut le supposer un instant lorsqu’elle lui enfonce la tête sous l’eau dans la piscine, or c’était une fausse piste. En fait, tant de détails ont montré que Mélanie faisait tout pour séduire sa future victime, qu’on n’est absolument pas étonné que tout cela aboutisse à faire passer la malheureuse femme, aux yeux de son époux horrifié, pour une lesbienne. Remarquons pourtant que, victime à l’origine d’un incident à propos d’un autographe, Mélanie utilise un autre autographe pour se venger, et cette subtilité de scénario n’est pas si mal trouvée. Autre subtilité, la vengeance a lieu en deux temps, et la « pré-vengeance » dans le studio de Radio-France reprend symétriquement la séquence du début, quoique en inversant les personnages, puisque cette fois c’est Ariane qui multiplie involontairement les fausses notes et se fait blackbouler par un producteur. Mais enfin, tout cela ne compense pas les invraisemblances criantes du scénario, dont je vais parler maintenant.

D’abord, observons que les pianistes en concert, y compris les plus célèbres, font tous des fausses notes, et que ce n’est pas pour autant que les critiques ou le public, encore moins les producteurs de musique, prennent la porte de la salle de concert d’un air dégoûté ! Mais passons. Il faut avouer que la virtuose du film fait vraiment beaucoup de fausses notes, or la cause de sa défaillance est absurde : elle est troublée parce que sa tourneuse de pages habituelle est absente. Ce n’est guère vraisemblable. Il y a aussi la faiblesse de l’incident initial, au Conservatoire, qui a tout causé : une admiratrice réclame un autographe à sa pianiste préférée, qui refuse en argüant que « ce n’est vraiment pas le moment », alors qu’elle n’avait rien à faire, justement, à ce moment précis ; or, quelques instants plus tard, la même admiratrice s’introduit dans la salle où a lieu l’examen des candidats au Conservatoire, ce qui déjà est un peu fort, réclame derechef son autographe, et cette fois, son idole signe sans protester qu’on la dérange, alors qu’on la dérange bel et bien en plein travail ! C’est incohérent, pas crédible, artificiel. Ainsi, dès les premières minutes, on n’y croit plus. Dommage, car ce genre d’histoire cruelle aurait pu donner lieu à un film comme ceux que fait Chabrol, voire meilleur que ceux de Chabrol, qui rate systématiquement toutes ses fins. Or la fin de La tourneuse de pages n’est pas moins ratée !

Le réalisateur, Denis Dercourt, avait réalisé en 2003 un film, tout aussi raté, également sur fond de musique, Mes enfants ne sont pas comme les autres, dont j’avais parlé dans une notule du 23 juillet 2003. Il perd donc l’occasion de se rattraper. Soit dit en passant, le détail des doigts écrasés par un couvercle de piano figurait déjà dans ce précédent opus. Une obsession ?

Catherine Frot a pris la peine de travailler les passages où elle joue du piano, conformément aux exigences du metteur en scène, qui dit tenir fermement à l’authenticité des scènes musicales (il a été professeur au Conservatoire de Strasbourg), mais la scène où Mélanie la voit jouer du piano pour la première fois chez elle est mal mixée, et ce qu’on entend ne correspond nullement aux mouvements de ses doigts ; surprenant, que le réalisateur n’ait rien remarqué ! En revanche, le jeune garçon qui interprète son fils, Antoine Martynciow, joue réellement et avec beaucoup de sûreté, même si ce n’est pas lui qu’on entend sur la bande sonore.

Dans le rôle de Mélanie, Déborah François est parfaite et fait froid dans le dos. La musique n’adoucit pas forcément les mœurs. Par conséquent, méfiez-vous des petites jeunes filles qui aiment trop Beethoven !

En bref : à voir à la rigueur.Haut de la page

Une vérité qui dérange

Titre original : An inconvenient truth

Réalisateur : Davis Guggenheim

Conférencier : Al Gore

Musique : Michael Brook

Durée : 1 heure et 40 minutes

Sortie à Paris : mercredi 11 octobre 2006

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On vous épargnera la plaisanterie très fine sur « film gore » et « film AVEC Gore », pour évoquer surtout ici les films militants. Depuis quelques années, ils fleurissent, principalement aux États-Unis, lesquels, il faut bien le reconnaître, ont beaucoup à se faire pardonner. On a donc eu les films de Michael Moore, ceux de William Karel (Le monde selon Bush), bien que lui soit français, celui sur les fast foods (le légèrement suspect Supersize me), un très contesté documentaire soupçonné de bidonnage (Le cauchemar de Darwin), et quelques autres, dont The take, film commenté par Naomi Klein. Curieusement, chez nous, mis à part les films de Karl Zéro et Michel Royer, rien ! Il faut croire que les réalisateurs français sont contents de notre sort et n’ont rien à dire...

En fait, ce film ne relève pas du cinéma, car c’est une conférence filmée, que l’ancien vice-président Al Gore a promenée un peu partout dans son pays. Thème vedette de la conférence : nous saccageons notre environnement, notamment par la production de gaz carbonique, lequel entraîne un effet de serre, dit-il ; or cet effet de serre et l’élévation de la température qu’il induit vont faire fondre les glaces et entraîner une énorme élévation du niveau des océans. Entre autres...

Admettons que Gore soit sincère, c’est d’ailleurs l’impression qu’il donne à l’écran, et reconnaissons que son spectacle, car c’en est un, est très pédagogique et admirablement conçu ; mais alors, on regrette que Gore soit la voix tardive et probablement opportuniste de celui qui prêche dans le désert : que n’a-t-il dit tout cela lorsqu’il était au pouvoir ! Aujourd’hui, trop tard, c’est peine perdue, et il ne convainc que des convaincus. C’est d’ailleurs le sort de tous les films militants, bien ou mal faits.

On doit pourtant reconnaître que Gore a beaucoup de présence, qu’il s’exprime fort bien, et qu’il sait choisir ses documents, c’est-à-dire... laisser de côté ceux qui le gênent ! Face à un auditoire persuadé d’avance, il faut le noter, ceux présentés ne semblent pas moins convaincants que les arguments qu’il expose, notamment les photographies montrant la disparition des neiges du Kilimandjaro, ou celle de la mer d’Aral, même si ces faits ont peut-être d’autres causes que Gore passe sous silence. Tous ces détails sont connus, mais, réunis, ils n’en sont que plus frappants.

Ce qui manque, c’est, d’une part, une explication plus complète, et d’autre part, une attitude plus scientifique, n’attribuant pas systématiquement tous les phénomènes à la même origine, justifiant en somme le lien que l’on fait entre ces images ravageuses et la cause que, sans preuve, on nous désigne, encore une fois, d’un doigt accusateur : l’augmentation du taux de gaz carbonique dans l’atmosphère.

D’autres arguments convainquent encore moins, surtout ceux employés le plus fréquemment. Ainsi est reprise l’éternelle menace de la montée du niveau des mers : si les glaces qui recouvrent le Groenland et surtout l’Antarctique venaient à fondre, ressasse le conférencier, ce niveau risque de s’élever de six mètres sur toute la surface du globe, et cela en un siècle. Diable ! Va-t-il désormais falloir se rendre au cinéma avec sa calculatrice ? Gore sait bien que ses spectateurs, fascinés, ne sont pour la plupart pas en mesure de faire en temps réel un peu de calcul mental. Faisons-le ici : la plupart des sites scientifiques consultés mentionnent une élévation du niveau des mers comprise entre 2,5 et 3,2 millimètres par an. Ce qui donne, au bout d’un siècle, 25 à 32 centimètres. Est-il honnête de nous assener ces « six mètres », soit de 18 à 24 fois plus ? Et n’est-ce pas déconsidérer une bonne cause, que de la défendre avec une exagération aussi grossière ? Réfléchissons, plutôt : pour élever de six mètres la surface des océans, et compte tenu des superficies respectives des glaces et des océans, il faudrait faire fondre une couche de glace épaisse de 147 mètres sur la totalité de la surface des terres glacées, en Antarctique principalement, puisque s’y trouvent plus des neuf dixièmes des glaces terrestres. Le réchauffement présumé de l’atmosphère, de deux ou trois degrés, voire cinq, qui est annoncé, produit-il assez de calories pour faire fondre tout cela ? On peut se poser la question, plutôt que de croire passivement et sans discussion tout ce qui est dit. Car enfin, la température aux pôles est comprise entre -30 et -60°C ; une élévation de 5°C l’amènerait entre -25 et -55°C. Comment imaginer que les glaces vont fondre massivement à cette température ?

Bien entendu, nous voilà loin du cinéma. Mais c’est ce que je disais au début : ce film n’a rien à voir avec le cinéma...

*

L’actualité impose de « rafraîchir » la critique ci-dessus. Précisons tout de même que le film a reçu une pluie de récompenses internationales, dont un Oscar du Meilleur Documentaire (et un autre... pour la chanson qui l’accompagne) en 2007. Sans compter un très saugrenu prix Nobel de la Paix attribué conjointement à Gore et au GIEC... qui ne disent pas la même chose sur cette question !

Les questions climatiques sont étudiées par un organisme mondial de nature politique, le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), dont tous les pays sont membres sauf le Vatican et Taïwan, créé en 1988 par l’ONU, et qui publie de temps en temps un rapport longuement préparé. Lors de la sortie du film Une vérité qui dérange, on en était encore au troisième rapport du GIEC, daté de 2001. Début 2007, le 1er février et le 5 avril, il a publié deux pré-rapports qui annoncent le quatrième rapport, dévoilé à Bali en novembre 2007, lequel a bouleversé pas mal d’idées reçues.

Tout d’abord, le GIEC prend ses distances avec le lien entre le gaz carbonique et l’augmentation de la température, le fameux « effet de serre » : le CO2 n’est plus le principal accusé. Le bon sens aurait pu nous mettre plus tôt sur la voie : l’atmosphère est complexe, et comprend une importante quantité d’eau, soit sous forme de vapeur, soit sous forme de gouttelettes microscopiques (dans les nuages) ; or l’eau a AUSSI un effet de serre ! En fait, voici les proportions dans la responsabilité de l’effet de serre : les gaz produisant un effet de serre sont la vapeur d’eau, le gaz carbonique, l’ozone, le méthane et l’oxyde nitreux. En volume, la vapeur d’eau représente 99 % de ces gaz. Sa responsabilité dans cet effet est évaluée à 55 %. Responsabilité des autres gaz : gaz carbonique, 39 % ; ozone, 2 % ; méthane, 2 % ; oxyde nitreux, 2 %. Or le gaz carbonique est présent dans l’atmosphère en quantités infimes : 0,054 % ! On se trompe de coupable, par conséquent.

Conclusion de ce point : comment éviter l’effet de serre ? En éliminant la production de vapeur d’eau et de nuages ? C’est-à-dire en éteignant le Soleil, le seul responsable ?

Autre point, que j’avais soulevé, et qui se trouve désormais confirmé : n’y allons pas par quatre chemins, Al Gore exagère ! Le troisième rapport du GIEC faisait état d’une élévation possible du niveau des températures comprise entre 1,5 et 6°C, sur un siècle ; possible, mais pas certaine, car prévue seulement par des modèles – mathématiques et informatiques – loin d’être infaillibles, puisque tous les paramètres ne sauraient être pris en compte. Si cette hausse des températures se produit dans les proportions dont on nous parle, elle induira une élévation des océans comprise entre 9 et 88 centimètres (on était déjà très loin des six mètres avancés par le conférencier). Or le quatrième rapport réduit ces prévisions : entre 2 et 4,5°C pour l’élévation de la température, entre 28 et 48 centimètres pour le niveau des océans. Avec cela, essayez donc de noyer sous les eaux le Bangla-Desh (ou mieux, Manhattan, comme Gore le prétend)...

Terminons-en avec Al Gore lui-même : les militants écologistes fustigent volontiers les États-Unis pour n’avoir pas signé le protocole de Kyôtô, qui entendait réglementer la pollution au niveau mondial (et qui a instauré le tristement célèbre « droit de polluer »). Or, sous quel président a-t-on refusé de signer cet accord international ? Sous George Bush ? Pas du tout, c’était sous Bill Clinton, et ce refus émanait du Sénat, à majorité démocrate. Et le vice-président du moment s’appelait Al Gore ! Rions... Et rions d’autant plus fort que Gore s’est fait aligner par la presse de son pays, pour le budget annuel d’électricité, se montant à 25 000 dollars, de sa propre maison ! Sa seule piscine consommant autant que la moyenne des maisons normales de ses compatriotes...

Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais !

En bref : à voir à la rigueur.Haut de la page

Azur et Asmar

Réalisateur : Michel Ocelot

Scénario : Michel Ocelot

Décors : Anne Lise Lourdelet

Directeur de l’animation : Kyle Badla

Musique : Gabriel Yared

Interprètes des voix : Cyril Mourali (Azur adulte), Karim M’Riba (Asmar adulte), Hiam Abbass (Jenane), Patrick Timsit (Crapoux), Fatma Ben Khell (la princesse Chamsous Sabah), Rayan Mahjoub (Azur enfant), Abdelsselem Ben Amar (Asmar enfant), Thissa d’Avila Bensalah (la Fée des Djins), Olivier Claverie (le sage)

Durée : 1 heure et 39 minutes

Sortie à Paris : mercredi 25 octobre 2006

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Il n’est pas impossible que, face à l’offensive des images de synthèse en trois dimensions fabriquées par ordinateur, vous vous soyez lassé du dessin animé classique. Il n’est pas impossible non plus que vous boudiez les messages pseudo-humanistes ou bien-pensants que le cinéma nous impose de plus en plus fréquemment, histoire sans doute de se dédouaner de la débilité habituelle de ses scénarios, qui justement illustrent le contraire ! Dans ce cas, vous aurez peut-être l’idée de bouder Azur et Asmar, film français d’animation on ne peut plus traditionnel.

Eh bien vous auriez tort, car ce film de Michel Ocelot, œuvre belle, généreuse et intelligente comme ses personnages principaux, n’est pas réservé au seul public enfantin. Mis à part le fait qu’on observe un léger passage à vide vers le milieu du récit, que le personnage d’Asmar disparaît durant un temps assez long, à notre grand regret, après l’expulsion de la nourrice et de lui-même, son fils, et que la conclusion n’est pas très inattendue dans son éloge implicite du métissage, tout est réussi dans ce film, visuellement magnifique, très inspiré des décors et des images, somptueux, du monde arabo-musulman tel qu’il est évoqué dans Les mille et une nuits. Mais la vision humaniste, elle, est tout à fait actuelle.

Un détail supplémentaire : à propos d’Indigènes, on s’est beaucoup extasié sur l’importance des dialogues en arabe de ce film français ; beaucoup ont écrit qu’il était audacieux de réaliser un grand film populaire, avec l’aide financière des télévisions, et qui comporte néanmoins autant de scènes dans une langue que peu de Français comprennent. Or Azur et Asmar va beaucoup plus loin, puisque une bonne moitié du dialogue de ce film pour enfants est en arabe... non sous-titré ! Et cela ne gêne nullement la compréhension du récit. Bref, le spectateur n’est pas pris pour un débile mental.

Et du coup, Azur et Asmar est le meilleur film français de l’année.

En bref : à voir absolument.Haut de la page

Le Dahlia Noir

Titre original : The Black Dahlia

Réalisateur : Brian De Palma

Scénario : Josh Friedman, d’après le roman de James Ellroy

Interprètes : Josh Hartnett (Dwight « Bucky » Bleichert), Aaron Eckhart (Leland « Lee » Blanchard), Scarlett Johansson (Kay Lake), Mia Kirshner (Elizabeth Short), Fiona Shaw (Ramona Linscott), Hilary Swank (Madeleine Linscott), John Kavanagh (Emmet Linscott), Rachel Miner (Martha Linscott), Mike Starr (Russ Millard), Patrick Fischler (Ellis Loew), James Otis (Dolph Bleichert, père de Bucky), Anthony Russell (Morrie Friedman), Troy Evans (le chef T. Green), Pepe Serna (Dos Santos), Angus MacInnes (le capitaine John Tierney), Victor McGuire (Bill Koenig), Gregg Henry (Pete Lukins), Jemima Rooper (Lorna Mertz), Rose McGowan (Sheryl Saddon), Graham Norris (un policier), John Solari (Baxter Fitch), Stephanie L. Moore (la petite amie de Baxter Fitch), Noel Arthur (homme armé), Claudia Katz (la barmaid), Richard Brake (Bobby DeWitt), William Finley (George Tilden), Joost Scholte (le G.I. de Madeleine au motel ), Petar Milchev (Perp), Kevin Dunn (le père d’Elizabeth Short), Ian McNeice (le coroner), David Raibon (homme noir), Brian De Palma (voix du réalisateur du test filmé d’Elizabeth)

Musique : Mark Isham

Durée : 2 heures et 1 minute

Sortie à Paris : mercredi 8 novembre 2006 (vu le mardi 29 août 2006)

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Les majuscules du titre ne sont pas là pour sacrifier à la mode hollywoodienne, qui en sème partout, mais pour indiquer qu’il ne s’agit pas d’une fleur : le Dahlia Noir est une jeune femme de vingt-deux ans, surnommée ainsi par un journaliste qui écrivait sur son assassinat.

Le film, lui, est fait « à l’ancienne », un peu dans le même style visuel que Les incorruptibles, film de 1987, également dû à Brian De Palma – et ce n’est pas une remarque péjorative. Alors que le cinéma d’outre-Atlantique se vautre dans la nouvelle convention, utiliser des histoires mille fois ressassées, notamment à la télévision, en vue d’illustrer le savoir-faire du metteur en scène (montage ultra-rapide hérité de la publicité, dialogues succincts et orduriers, trucages numériques envahissants, bande sonore tonitruante), De Palma, vieux routier qui a toujours privilégié les histoires sulfureuses, fait le contraire, et se sert de sa longue expérience pour raconter une histoire passionnante – et très compliquée ! Soit dit en passant, la lecture du roman de James Ellroy, inspiré par la mort tragique de sa mère à l’âge de 43 ans et basé sur un autre fait divers authentique et resté très longtemps non élucidé, n’est pas superflue si l’on veut suivre. Ne serait-ce que pour inspirer quelques réflexions sur l’impossibilité au cinéma d’être fidèle aux livres qu’il tente d’adapter, ce qui est ici évident. C’est d’ailleurs pour cette raison principalement, plus que pour sa valeur en tant qu’œuvre de cinéma – en fait, je n’admire pas beaucoup De Palma, n’apprécie guère que son Phantom of the Paradise, et trouve ridicule son Carrie –, que je classe le film parmi ceux à voir.

Mais d’abord, un rappel.

*
Le Dahlia Noir

Deux faits divers authentiques, donc. Le premier, en 1947, est le meurtre d’Elizabeth Short, aspirante-starlette venue de la région de Boston pour devenir vedette, croit-elle, à Hollywood, et qui ne refusait point, à l’occasion, de vendre son corps. C’est l’époque mythique où la fameuse enseigne qui domine la capitale du cinéma proclame, non pas « Hollywood », mais « Hollywoodland », occasion pour Ellroy de parler longuement, dans son livre, de la spéculation immobilière et de la corruption généralisée qui sévit dans sa ville natale – lui-même est un enfant du quartier pauvre d’El Monte. Le 15 janvier, Elizabeth est trouvée morte dans un terrain vague, mais en pleine ville : son corps a été vidé de ses viscères et de son sang, coupé en deux au niveau de la taille, on lui a fait avaler des excréments, et les commissures de ses lèvres ont été étendues, au scalpel, jusqu’aux oreilles, plaquant sur son visage un sourire monstrueux. Travail de chirurgien expérimenté, cela saute aux yeux, or ce détail ne va nullement orienter l’enquête, qui durera des mois et ne donnera aucun résultat. Il est aujourd’hui avéré que le dossier a ensuite été escamoté par la police de Los Angeles, pas très fière de son comportement et de celui de ses dirigeants, qui ont tout fait pour ralentir les investigations. Bien des années plus tard, en 1999, un ancien inspecteur de ladite police, Steve Hodel, à la retraite depuis 1986, et qui possède à son actif plus de deux cents crimes résolus, tombe par hasard sur un document relatif à la mort d’Elizabeth, refait l’enquête pendant trois ans, et en tire en 2004 un livre, intitulé en français L’affaire du Dahlia Noir, démontrant que le véritable assassin est... son propre père, à lui, Steve ! Un romancier imaginerait une histoire pareille, on le traiterait de fou.

Mais, plutôt que de faire de la paraphrase, je vous conseille de lire son livre et celui d’Ellroy. Car James Ellroy, écrivain célébrissime, s’était emparé bien plus tôt de l’affaire. En effet, traumatisé par l’assassinat de sa propre mère, découverte étranglée en 1958 alors qu’il n’avait que dix ans, il avait trouvé dans la rédaction de son roman Le Dahlia Noir, écrit quarante ans après l’affaire, une façon d’exorciser ses obsessions. Naturellement, il ignorait tout du véritable assassin d’Elizabeth Short, mais la solution qu’il imaginait visait bien la classe sociale à laquelle appartenait l’auteur du crime ! Disons tout de suite que ce second assassinat, onze ans après celui d’Elizabeth, n’a pas, lui, été élucidé, même si les soupçons se sont portés, sans trop de preuves, sur un complice du premier meurtrier. Mais je vous recommande la personnalité de cet homme, resté impuni, le docteur George Hodel, pianiste virtuose dès l’enfance, possédant un quotient intellectuel de 186, ami de John Huston (il avait épousé l’ex-femme du réalisateur) et de Man Ray, lecteur de Sade et de Baudelaire, évidemment francophone, poète comme Lacenaire, chauffeur de taxi comme Alexandre Breffort, médecin comme Céline, psychiatre, chirurgien, lieutenant général dans l’armée, avorteur clandestin, homme d’affaires prospère en Asie... et tueur en série ! Et comme Jack l’Éventreur, autre tueur en série et artiste-peintre célèbre, il provoquait la police en lui envoyant des billets narquois. Nous avons l’air minable, chez nous, avec notre Émile Louis...

Mais revenons au film.

*

En gros, deux policiers de Los Angeles, anciens boxeurs, rivaux sur le ring mais amis dans la vie, enquêtent sur un crime horrible. Comme toujours au cinéma, cette enquête, qui les conduit très loin du point de départ, aura des répercussions sur leur vie privée, mais on ne tombe pas dans le cliché habituel du flic séparé de sa femme et qui a des ennuis avec ses enfants en train de grandir ! C’est autrement plus sérieux, et assez inhabituel, ce qui explique sans doute et en partie l’insuccès du film aux États-Unis, en dépit du fait que l’affaire qui l’inspire est le fait-divers le plus célèbre de l’histoire policière du pays.

On ne glosera pas davantage sur le plus ou moins de fidélité du film par rapport à l’atmosphère du livre, très trouble, lui, comme tous les romans d’Ellroy : c’est affaire d’appréciation personnelle. Et certains, non sans raison, regrettent que De Palma, édulcorant sensiblement le roman, n’ait pas insisté sur les détails épouvantables du crime et des mutilations faites au cadavre par les deux cinglés qu’Ellroy a imaginés – sans savoir que la réalité était pire. Le spectateur échappe ainsi au film gore, tarte à la crème du cinéma d’aujourd’hui, au prix d’une curieuse relégation au second plan du cadavre et de ce qu’on a fait subir à la victime. De sorte que le film est froid, ce que le roman, glacé aussi, mais rageur, n’était pas, loin de là.

Estompé aussi, ce détail qui rapproche Le Dahlia Noir de Vertigo, quoique en moins subtil : Bucky, le policier ex-boxeur, est tombé amoureux d’une morte (qu’il n’a jamais vue vivante que sur des extraits de films), et couche avec une autre fille, prénommée Madeleine (comme la morte dans Vertigo !) qui a pris l’apparence de la fille assassinée ; ce que sa femme, Kay, dans le livre, lui fera comprendre en le traitant de « nécrophile », avant de le quitter. Or l’un des deux assassins imaginés par Ellroy n’a de goût que pour les cadavres – entiers ou pas. Ainsi, on a l’histoire d’un nécrophile recherchant sans le savoir un autre nécrophile ! Évidemment, filmer un récit pareil est quasi-impossible. Et, au bout du compte, si le film n’inspire pas la même horreur que le roman ou le récit du véritable assassinat, qui dépasse de loin la fiction, c’est un film de genre, et fort bien fait en dépit du fait qu’il s’éloigne consciemment du livre.

Ramona Sprague

On notera la qualité des acteurs. Josh Hartnett, en particulier, en acquérant de la maturité, semble devenu un comédien de bon niveau ; il possède en tout cas un regard, ce n’est pas si courant, et l’on ne peut que se féliciter que le rôle n’ait pas été dévolu au fade Mark Wahlberg, comme il était prévu. Aaron Eckhart est en passe de devenir l’un des comédiens les plus solides d’Hollywood. Quant à Scarlett Johansson, ici très sophistiquée (on le lui a bêtement reproché), elle est aux antipodes de son personnage dans Match point, mais toujours aussi belle. Mention spéciale pour Fiona Shaw, qui incarne Ramona, la mère criminelle et zinzin. Son numéro d’alcoolique apporte d’abord une touche de comique saugrenu, bienvenue dans tous ces drames, avant que se révèle, coup de théâtre, toute l’abomination du personnage.

La musique est excellente, et le compositeur Mark Isham interprète lui-même les solos de trompette.

Mais pourquoi diable la famille Sprague est-elle rebaptisée Linscott ?

*

J’ai vu le film une première fois et rédigé la critique ci-dessus avant d’avoir lu le livre d’Ellroy. Je l’ai revu après cette lecture, dans la semaine qui a suivi sa sortie officielle. Mon opinion a-t-elle changé ? Pas vraiment ! Il faudrait être naïf, ou lecteur d’Harry Potter, pour croire qu’un livre peut être adapté intégralement pour le cinéma, qu’on peut en garder à la fois l’esprit et la totalité des péripéties, et qu’on en retirera les mêmes impressions. Connaissant Ellroy, la multiplicité de ses personnages, l’extrême complexité de ses intrigues, de celles dont on dit qu’« on n’y comprend rien », vous savez d’avance que le film, en quelque sorte, trahira le roman, comme on dit abusivement.

Dans le cas présent, le scénariste en a fait une histoire d’amour très inhabituelle entre une femme et deux hommes qui ne sont pas et ne veulent pas être ses amants : Lee, le plus âgé et le plus riche, parce qu’il la protège, et l’autre, Buck, par loyauté envers le premier – du moins jusqu’à la révélation que son ami était indigne et s’est servi de lui avant d’être abattu. De toute évidence, c’est cette situation inédite et ce côté trouble qui ont attiré de Palma, pas l’enquête policière, qu’il délaisse parce qu’elle relève assez peu du cinéma.

C’est sans doute ce que les critiques professionnels n’ont pas pardonné à Brian De Palma, et son film a été proprement lynché. Il ne méritait pas cette indignité.

En bref : à voir.Haut de la page

Shortbus

Réalisateur : John Cameron Mitchell

Scénario : John Cameron Mitchell

Interprètes : Paul Dawson (James), PJ DeBoy (Jamie), Jay Brannan (Ceth), Sook-Yin Lee (Sofia, la conseillère conjugale), Raphael Barker (Rob, le mari de Sofia), Lindsay Beamish (Severin), Peter Stickles (Caleb), Alan Mandell (Tobias, l’ancien maire de New York), Adam Hardman (Jesse), Jesse Hardman (Jesse, le John), Ray Rivas (Shabbos Goy), Shanti Carson (Leah), Jan Hilmer (Nick), Justin Hagan (Brad), Stephen Kent Jusick (Creamy), Yolonda Ross (Faustus), Daniela Sea (Little Prince), Miriam Shor (Cheryl), Rachael C. Smith (Zoey), Paul Oakley Stovall (Magnus), Lex Vaughn (Bucky), Bradford Scobie (docteur Donut), Jonathan Caouette (Blondie-Grabber), Fast Ali (Party Girl), Reg Vermue (l’albinos), et, dans leur propre rôle : The World Famous BoB, Dirty Martini, The Wau Wau Sisters, Murray Hill, Justin Bond, Eric Gilliland, Bitch, The Hungry March Band

Musique : Yo La Tengo

Durée : 1 heure et 41 minutes

Sortie à Paris : mercredi 8 novembre 2006

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Une révolution ? Jusqu’à ce film, le sexe à l’écran relevait de deux catégories distinctes, et qu’on avait pris soin de maintenir telles.

D’une part, le cinéma pornographique. Signe particulier, l’absence de scénario, voire de tout prétexte introduisant (pardon !) les séquences sexuelles. Ce n’est en rien un jugement moral, ces films ayant une utilité sociale, voire médicale, tout à fait avérée. Mais le puritanisme judéo-chrétien, dont rien ne nous débarrassera jamais, qui va jusqu’à polluer la loi pour mieux polluer les esprits, fait que ces films sont quasiment proscrits. Sans excès de logique, puisque, par exemple en France où la majorité sexuelle est à quinze ans, il est théoriquement interdit d’en autoriser la vision aux moins de dix-huit ans ! Lesquels peuvent donc légalement faire ce qu’on leur interdit de voir...

D’autre part, le cinéma dit « normal », mais où sont incluses des scènes de sexe, avec toutefois un alibi culturel quasi-automatique. Cette catégorie se subdivise en deux sous-catégories, l’une étant le cinéma militant, médiatiquement dominé par la sinistre Catherine Breillat (qui insère dans ses films des scènes de sexe, mais simulées, comme elle-même l’a montré dans Sex is comedy, reportage de fiction sur un autre film d’elle, À ma sœur !), et par le seul film de l’écrivain Virginie Despentes, Baise-moi, qui s’est vu interdire de projection dans la semaine de sa sortie ; catégorie qu’on peut définir sobrement par cette seule maxime : tous les individus de sexe masculin sont des salauds. L’autre sous-catégorie, le cinéma romanesque, utilise le sexe de manière dialectique. Le meilleur exemple est Le pornographe, de Bertrand Bonello, dont la distribution compte Jean-Pierre Léaud, mais aussi deux acteurs du cinéma porno, K. Sandra et Hervé P. Gustave (lui-même auteur d’un film non pornographique présenté cette année au festival de Cannes) : ce film racontait la triste obligation, pour un réalisateur de cinéma, de faire vivre sa famille en tournant des films pornos, au grand dam de son fils de dix-sept ans. L’histoire contenait une séquence insérée qui montrait le tournage d’une scène – non simulée – de pornographie, d’où la présence des deux acteurs de porno, qui n’étaient vus que dans cette scène. Or il est difficile de croire que cette courte séquence était indispensable... Mais l’alibi culturel était apporté par Romane Bohringer, qui était, ne riez pas, la costumière du film ! Il y a eu également, entre autres et du même genre, La vie de Jésus (si-si !), qui comportait un plan très court de pénétration, fourni par des professionnels du porno qui n’avaient été engagés que pour cela ; et 9 songs, réalisation de Michael Winterbottom, dépourvu de voyeurisme, mais inexistant sur le plan narratif.

Mentionnons aussi, comme une pure curiosité, le Caligula de Tinto Brass, film italien mais dont toutes les vedettes étaient britanniques, et pas des moindres : le Peter O’Toole de Lawrence d’Arabie, le Malcolm McDowell d’Orange mécanique, le grand comédien shakespearien sir John Gielgud (interprète d’Alfred Hitchcock, d’Alain Resnais et d’Orson Welles, entre autres), sans oublier Helen Mirren – si-si ! The queen en personne. Or ce film ultra-commercial, connu comme scandaleux, eut cinq versions, dont celle présentée à Cannes, la plus longue – trois heures et demie –, était entrelardée de plans pornographiques, comprenant une séquence orgiaque d’une douzaine de minutes ! La curiosité annoncée plus haut résidait en ce que les scénaristes étaient Gore Vidal, un célèbre écrivain digne de considération, et... Roberto Rossellini pour une première version du scénario (non mentionné au générique).

Shortbus rompt avec la tradition, en n’appartenant à aucune catégorie. C’est une comédie, puisque le film se termine bien, reposant sur un drame, dont la cause est d’ordre sexuel. Je précise tout de suite que, d’une part, les scènes de sexe n’envahissent pas le récit et ne sont pas là de façon arbitraire, et, d’autre part, que le réalisateur est visiblement plus préoccupé par les difficultés des homos que par celles des hétéros, même si ces derniers ne sont pas laissés de côté. Au centre du récit, deux garçons trentenaires de New York, James et Jamie. Jamie fut un comédien enfant, devenu temporairement vedette dans une série du genre Arnold et Willy, mais en négatif (un jeune garçon blanc adopté par une famille de Noirs), et qui travaille toujours, mais avec moins de succès ; James, qui avait commencé à se prostituer très jeune après avoir vu My own private Idaho (film de Gus Van Sant avec River Phoenix et Keanu Reeves), et qui avait trouvé l’expérience enthousiasmante, est à présent passionné de vidéo, et filme tout avec un camescope, tout comme Jonathan Caouette, qui figure dans le film et réalisa un documentaire sur lui et sa mère, Tarnation, dont on a beaucoup parlé l’année dernière (je m’étais permis de le trouver un tantinet lugubre et passablement loupé, mais c’est personnel). James et Jamie s’aiment et seraient heureux ensemble, mais James a un problème, qu’il dissimule à son ami : il refuse absolument, car il en a peur, de se laisser sodomiser. Énoncé ainsi, cela peut sembler anodin, ridicule, trivial, mais, dans la réalité, ça ne l’est pas, et c’est un problème conjugal réel, indice d’un autre plus caché, la peur de se laisser envahir par l’amour d’autrui – dans le cas présent du moins. Si bien que James, après avoir tenté de fournir à son ami un compagnon de remplacement, le beau et lumineux Ceth (un ange, vraiment, et dont le rêve est d’aimer tout le monde !), envisage de se suicider, et de filmer son suicide, bien entendu. Il est sauvé in extremis par un quatrième garçon, Caleb, qui observait leur couple de sa fenêtre et les photographiait au téléobjectif depuis deux ans, et qui parvient enfin à le guérir de sa peur. Si bien que James retourne auprès de Jamie, et Ceth se met en ménage avec Caleb. Auparavant, Jamie et James auront consulté une sexologue, Sofia, qui préfère se dire « conseillère conjugale », et qui a la particularité de n’avoir... jamais connu d’orgasme, sans doute parce que son mari, Rob, est en fait un homo refoulé, qui aime se sentir dominé. Tous ces personnages et bien d’autres se retrouvent dans un club du genre échangiste et plus si affinités, le Shortbus, très bien fréquenté, puisqu’on y trouve même un ancien maire de New York (ne me demandez pas lequel !), qui parle très bien de sa ville, « où tout le monde vient pour se faire pardonner ».

En somme, le film est celui que nul n’avait réussi à faire jusqu’à présent, et qui montre, si c’était nécessaire, que le sexe, c’est dans la tête avant tout. Les acteurs principaux sont très bien, surtout Paul Dawson, qui joue James et en est à son huitième rôle, et Jay Brannan, qui débute et interprète Ceth. Ils sont bons comédiens, beaux garçons, et se livrent sans complexe aux jeux sexuels que leur rôle impose. Les autres interprètes ont été, dit-on, recrutés par annonces, et ont collaboré au scénario.

La fin est euphorique, les problèmes s’arrangent, ce qui rompt avec le cliché du sexe maudit, tout le monde à la fin chante comme dans Hair (cette fameuse comédie musicale de l’ère hippie, lorsque la troupe... et les spectateurs entonnaient en chœur Let the sunshine in), et vous sortez de là optimiste, comme si vous aviez vu Fred Astaire et Ginger Rogers, sans avoir eu à aucun moment le sentiment coupable d’avoir visionné un film porno. Pourtant des scènes de sexe, vous en aurez vu quelques-unes ! Oui, mais filmées différemment : ni en gros plan comme dans le porno franc, celui qu’on dit « hard », ni dissimulées par une plante verte au premier plan ou vues de derrière un feu de cheminée, comme dans le porno hypocrite, celui qu’on dit « soft ».

En bref : à voir absolument.Haut de la page

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Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.