Kinopoivre, les films critiqués par Jean-Pierre Marquet

Hiver 2002

Le cinéma britannique produit peu, mais souvent de bons films. L’année s’ouvre avec un bon, par conséquent : The navigators, de Ken Loach. Et il y a aussi un film chinois de Hong-Kong, Little Cheung, de Fruit Chan. Du côté français, seulement Huit femmes, de François Ozon, et Amen., de Costa-Gavras, et c’est nettement moins intéressant ! En prime, vous aurez un Entracte 8 consacré aux adaptations françaises ; plus précisément, aux sous-titres.

The navigators

Réalisateur : Ken Loach

Interprètes : Dean Andrews, Tom Craig, Joe Dittine, Steve Huison, Venn Tracey, Andy Swallow, Sean Glenn

Durée : 1 heure et 36 mn

Sortie à Paris : mercredi 2 janvier 2002

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Au cours d’une conférence internationale, Jacques Chirac, Premier ministre français, avait lancé à Margaret Thatcher, Premier ministre britannique, qu’elle lui « cassait les couilles ». Ainsi, notre futur bien-aimé Président faisait déjà preuve de cette lucidité qui devait lui valoir, par la suite, l’admiration de tous les vrais Français, lucidité doublée d’un sens politique on ne peut plus aigu, qu’on vit s’exprimer d’éblouissante façon en diverses occasions : célébration éclatante du cinquantième anniversaire d’Hiroshima via la reprise des essais nucléaires français, dissolution d’une Assemblée nationale qui lui était toute dévouée, soutien à éclipses au maire de Paris Jean Tiberi, course à la notoriété en vue de coiffer au poteau et en toutes occasions son Premier ministre Jospin, mise en avant de son épouse sainte Bernadette et de son acolyte David Douillet, etc.

Il faut dire pourtant que le propos visé plus haut n’était que de pure rhétorique : la baronne Maggie, en fait, échoua dans sa tentative de destruction des fonctions présidentielles, comme le prouva urbi et orbi une certaine exhibition sur la terrasse du fort de Brégançon. En revanche, elle et son pâle successeur John Major réussirent fort bien dans leur entreprise de démolition de l’économie britannique, et ce film de Ken Loach nous en administre un exemple, peut-être le plus frappant : la décadence des chemins de fer du Royaume-Uni.

British Railways, la société nationale des chemins de fer britanniques, équivalent de notre SNCF d’avant la réforme, ne fonctionnait pas si mal, naguère. Si vous êtes un familier des romans d’Agatha Christie ou d’Arthur Conan Doyle, vous avez pu le vérifier, le train y est souvent présenté comme un moyen de transport fiable, les trains sont fréquents et à l’heure, et les voyageurs, globalement, sont satisfaits. Tout allait donc trop bien, il urgeait de foutre la pagaille dans une si belle construction. Et cela, au nom d’une doctrine dont on commence à voir un peu partout les effets dévastateurs, le libéralisme économique. En gros, que dit cette doctrine ? Que seule l’entreprise privée peut faire fonctionner l’économie et même le social, puisque la recherche du moindre coût induit celle d’une meilleure organisation ; que l’État doit se mêler le moins possible d’économie ; que, donc, on doit privatiser chaque fois qu’on le peut, en vendant à qui en voudra les services publics : la Poste, les services de Santé, d’Éducation, de Sécurité, les radios et télés, la distribution d’électricité, d’eau et de gaz, etc. C’est ainsi que, chez nous, on fourgue peu à peu à des Messier, Lagardère, Bolloré, Bouygues et autres requins tout ce qui relevait naguère de la responsabilité de l’État.

Ken Loach montre comment British Railways a ainsi été vendue, non pas à une firme unique, mais à plusieurs. Dès lors mises en concurrence, celles-ci se battent au couteau pour conserver leurs clients ou détourner ceux de la voisine, et cela entraîne deux ou trois conséquences pas piquées des vers. D’abord, des économies sur tout, à commencer par le personnel : on licencie à tout va. Puis l’instauration de contrats ignorant superbement la protection sociale et les congés payés. Ensuite, l’instauration de règlements absurdes. C’est ainsi qu’un patron décrète que, désormais, sa société ne devra pas compter chaque année plus de deux morts par accident. Réaction rigolarde des gars auxquels on énonce cette géniale disposition : on n’a pas eu de morts depuis dix-huit mois, est-ce qu’il y a des volontaires ?

Autre aspect de l’éclatement du British Railways, deux membres d’une même équipe, vu les aléas de la « restructuration », peuvent désormais appartenir à deux firmes concurrentes ! Ainsi, un ouvrier détenteur – et seul utilisateur compétent – de tel équipement sur un chantier n’a plus le droit de s’en servir au profit des autres, et le travail s’arrête. Belle vision du rendement amélioré ! À la fin, il ne reste qu’un champ de ruines, puisque même la solidarité traditionnellement en vigueur chez ces aristocrates de la classe ouvrière aura volé en éclats.

Je vous passe les détails, tous plus instructifs les uns que les autres, et qui expliquent l’état de délabrement total que connaissent actuellement les chemins de fer britanniques. Le film en est bourré, Loach connaît son sujet. Tout cela est bâti comme une comédie amère, et on doit seulement regretter, à mon sens, que Ken Loach, selon son habitude, ait voulu pousser les choses au noir et terminer son récit sur l’épisode d’un accident mortel. À l’instar de Sartre dans son théâtre, il a toujours été un peu démonstratif – c’est du reste le seul reproche qu’on puisse trouver à l’encontre de ce cinéaste de conviction, et dont on ne trouve plus beaucoup d’équivalents ailleurs qu’en Grande-Bretagne.

Comme je vous sens un peu démoralisés, terminons sur une note optimiste : le gouvernement britannique, constatant le fiasco, a décidé cette année de renationaliser les chemins de fer. On lui souhaite bien du plaisir.

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Little Cheung

Réalisateur : Fruit Chan

Interprètes : Yiu Yuet-Ming, Mak Wai-Fan, Mak Yuet-Man, Gary Lai

Durée : 1 heure et 58 mn

Sortie à Paris : mercredi 9 janvier 2002

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Ce tout petit film, réalisé avec rien et sans acteur professionnel, ce qui souvent vaut mieux, restera dans nos mémoires pour une scène surtout : Little Cheung, garçon de neuf ans qui s’est ainsi surnommé en hommage à une vedette de variétés (décédée l’année où l’histoire se déroule) est le fils d’un restaurateur de Hong-Kong. Comme tout le monde autour de lui, il décide de faire fortune, tout en se vengeant des voyous du quartier qui rackettent les commerçants. Il leur vend donc du thé baptisé avec sa propre urine, et les voyous n’y voient que du feu et en redemandent (invraisemblance un peu dure à avaler, si j’ose dire !). Dénoncé, il est puni par son père, qui l’installe, avec interdiction de bouger, sur une borne, en pleine rue, pantalon et slip baissés. Le gosse, au lieu de se faire oublier – difficile dans cette position –, entonne alors une chanson improvisée où il exprime sa douleur, seulement connue des dieux, le caractère sacré des ancêtres et l’obéissance due aux parents tout-puissants. Puis, le cul à l’air et le zizi au vent, il pisse en direction de la caméra !

Il fallait être un peu gonflé pour tourner une telle scène, surtout en extérieurs, et d’une telle subversion, surtout pour un public asiatique. On aurait souhaité que le film s’arrête sur ce temps fort. Malheureusement, il n’en est rien, et il faut encore se taper un bon tiers, consacré essentiellement à un reportage sur la honteuse rétrocession de Hong-Kong à la Chine communiste (honteuse, parce qu’on savait par avance que la Chine communiste ne respecterait pas ses engagements, mais qu’on a fait semblant d’y croire), et les conséquences qu’elle entraîne sur les travailleurs immigrés clandestins que la colonie faisait vivre. On pardonnera au réalisateur, qui a un si joli nom. Son film n’est pas mauvais, il repose sur une bonne intention, mais il est mal construit.

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Huit femmes

Réalisateur : François Ozon

Scénario : François Ozon, d’après une pièce de Robert Thomas

Interprètes : Danielle Darrieux, Isabelle Huppert, Virginie Ledoyen, Firmine Richard, Ludivine Sagnier, Émmanuelle Béart, Catherine Deneuve, Fanny Ardant, Dominique Lamure

Durée : 1 heure et 43 mn

Sortie à Paris : mercredi 6 février 2002

Erreurs du film : http://www.erreursdefilms.com/com/erreurs.php?idf=HTFM

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C’est Volpone ! Pour éprouver sa famille, un homme d’affaires (Dominique Lamure, qui jouait le médecin dans Nationale 7, et dont on ne voit jamais le visage), avec la complicité de sa plus jeune fille, feint d’avoir été assassiné. Cette mystification lui en apprendra de belles sur son entourage exclusivement féminin. Si bien qu’à la fin, et contrairement à Volpone qui était un vrai cynique, il se flingue pour de bon !

On assiste à un vrai jeu de massacre contre l’institution familiale, comme dans le premier long métrage du même réalisateur, Sitcom. En moins sérieux, en même temps que plus gratuit, systématique, lourdingue et pas très inattendu. Bien sûr, on savait que François Ozon n’avait pas de l’univers une vision très optimiste (nous donnera-t-il un jour un film qui ne se termine pas par une mort violente ?), mais là, on n’a jamais atteint une telle noirceur, dissimulée sous les atours faussement attrayants d’une comédie agrémentée de chansons – mal chantées, seule Danielle Darrieux, qui va sur ses 85 ans, étant une véritable professionnelle. Et c’est franchement misogyne. Le public s’esclaffe, mais l’accumulation toute mécanique d’horreurs sexistes finit par devenir presque gênante. En fait, dès qu’on a compris le principe du jeu, on s’attend au pire, et le pire survient en effet. Donc il n’y a guère de surprise.

Et que vient faire ici cette chanson qui raconte absurdement que c’est « pour ne pas vivre seuls » que les filles aiment des filles et que des garçons épousent des garçons ? (Si seulement on en voyait, des garçons ! Même le plus endurci des hétéros finit par souhaiter en voir passer au moins un, serait-il moche et sans talent. Guillaume Canet, Jamel Debbouze, même Jean Reno...)

Un peu sommaire, tout ça.

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[Entracte 8]

Le mardi 8 janvier 2002, René Étiemble est mort, à l’âge de 92 ans. Il avait passé une partie de sa riche existence à combattre l’impérialisme linguistique des Étatsuniens, cache-sexe de leur impérialisme économique, et à pourfendre ce qu’il appelait le « sabir atlantique ». Son livre Parlez-vous franglais ? est resté dans toutes les mémoires. Ce n’était pas un grincheux, mais un homme conscient des enjeux de notre époque, et sa culture universelle était immense. Loin d’être rétrograde, il était amoureux des cultures étrangères et parlait de nombreuses langues.

Aimait-il le cinéma ? Je n’en sais rien. Si oui, je pense qu’il aurait regardé les films étrangers en version originale, sans lire les sous-titres, car il connaissait mieux que personne l’anglais et même les divers argots anglo-yankees – les slangs –, et n’avait pas besoin des traductions. Aurait-il lu les sous-titres que l’on devine sa réaction : il aurait fulminé.

Les sous-titres de cinéma sont la plupart du temps aussi mauvais que possible. Les distributeurs, c’est évident, se fient un peu trop aux traducteurs chargés de les rédiger, et ceux-ci paraissent fort peu préoccupés par le souci de faire honnêtement leur travail : traduire les dialogues originaux. Ce travail recèle pourtant beaucoup moins de contraintes que la tâche consistant à écrire les dialogues des versions doublées, puisqu’il n’y a pas lieu de se soucier ici de la synchronisation avec le mouvement des lèvres des acteurs. Mais cela les empêcherait sans doute de faire valoir à quel point ils sont modernes et suivent scrupuleusement la dernière mode langagière – faute de quoi, bien sûr, on passe pour un has been.

Et puis, peut-être existe-t-il une autre raison. Si l’on vous demandait quelle est la langue qu’un traducteur doit connaître le mieux, de la langue source ou de la langue but (en clair, s’il traduit de l’anglais vers le français, l’anglais sera la langue source, et le français la langue but), que répondriez-vous ? La langue source ? Vous auriez tort ! Celle qu’il doit maîtriser avant tout, c’est celle vers laquelle il traduit, les spécialistes vous le diront, et c’est Nabokov qui m’a fait prendre conscience de ce point. On peut donc raisonnablement estimer que les traducteurs des dialogues connaissent peut-être assez bien l’anglais, mais beaucoup moins bien la langue française ! Voici un exemple authentique, extrait du fameux film d’Alfred Hitchcock, North by Northwest (en français, La mort aux trousses), dans sa version originale sous-titrée en français : à quatre reprises, le personnage incarné par Cary Grant est qualifié, tantôt par lui-même et tantôt par quelqu’un d’autre, d’advertising man. Quiconque connaît un peu l’anglais comprend qu’il est dans la publicité, donc que c’est un publicitaire. Mais l’auteur des sous-titres, qui a parfaitement compris le sens de l’expression, la traduit néanmoins par le mot publiciste. Voilà donc un cas flagrant dans lequel le traducteur connaît bien la langue source, l’anglais, et mal la langue cible, le français. S’il avait mieux su le français, il n’aurait pas confondu un publicitaire (un homme qui travaille dans la publicité) et un publiciste (un juriste dont la spécialité est le droit public – et autrefois, un écrivain politique ou un journaliste). Il aurait ainsi évité une bévue... et une faute professionnelle.

Les griefs contre ces tâcherons ne s’arrêtent pas là. En voici d’autres. Quelques-uns seulement, car les recenser tous reviendrait à raboter les Pyramides avec une lime à ongles.

Vladimir Nabokov, cité plus haut, grand écrivain russe avant de devenir un grand écrivain de langue anglaise, traduisait en anglais les auteurs de son pays d’origine, notamment Pouchkine, qu’il aimait beaucoup. Et il disait qu’un traducteur doit restituer le texte littéralement, c’est-à-dire sans faire aucune adaptation, quand bien même le résultat ne serait pas très beau. Adapter, en effet, c’est imposer au lecteur une vision qui n’a jamais été celle de l’auteur, mais celle, forcément subjective et déformée, du traducteur. Même si celui-ci est honnête et ne tente pas de donner un petit coup de pouce au texte en vue de faire passer sa propre vision via celle d’autrui, le résultat n’est jamais celui que l’auteur avait prévu. Il y a ainsi cette préoccupation : tenter de « trouver des équivalences » pour communiquer au spectateur l’effet original plutôt que le mot-à-mot. Invariablement, la tentative est vouée à l’échec, et j’ajouterai : au ridicule. Ainsi, autrefois, lorsque le dialogue original d’un film hollywoodien mentionnait le 4 Juillet, qui est la Fête Nationale aux États-Unis, des rédacteurs de sous-titres un peu balourds, et qui prenaient les spectateurs pour des demeurés incapables de savoir ce détail, traduisaient par « 14-Juillet » ! On voyait donc sur les écrans des citoyens des États-Unis fêtant mystérieusement le 14-Juillet. Mais où donc étaient passés les bals musette ?

Cette bourde s’est raréfiée, à la longue, quoique, de temps à autre on trouve encore le nom d’Oprah Winfrey remplacé dans les sous-titres par celui de Christine Ockrent, mais on en rencontre d’autres, par exemple celle-ci : pourquoi traduire différemment un même mot selon l’époque de la traduction ? Il y a trente ou quarante ans, lorsque le dialogue d’un film d’outre-Atlantique comportait l’exclamation Great! (le mot signifie « grand » au sens moral), on la traduisait par « Formidable ! ». Il y a vingt ans, les traducteurs optaient pour « Super ! » – ce qui, de plus, est une faute de français. Aujourd’hui, il leur plaît de caser partout le mot « Génial ! », correct grammaticalement, mais inadapté car outrancier. De même, boyfriend, autrefois traduit par « petit ami », a été rétrogradé au rang de « copain ». Si les étrangers emploient toujours le même mot, pourquoi la traduction de ce mot changerait-elle tous les dix ans ? Mystère… Il y a aussi le cas où la même expression est traduite deux fois de manière différente à l’intérieur d’un seul film. Je me souviens d’un personnage qui disait « That’s it », et cette expression était traduite dans les sous-titres, d’abord par le très branché « Point barre » (qui fera ringard dans trois ans, Christine Bravo le rabâche sans arrêt, c’est dire !), puis, plus tard, par son équivalent correct « C’est tout ». Va comprendre, Charles !

Le souci de « faire jeune » n’est jamais absent des sous-titres, quand bien même les personnages ne seraient pas des teenagers. Associés à la paresse et à cette frénésie de faire vite, cela donne un déluge d’abréviations saugrenues. On ne dit plus jamais appartement, petit déjeuner ou anniversaire dans les sous-titres français, mais « p’tit déj’ », « appart » ou l’inepte « anni ». Pourtant, les auteurs des dialogues d’origine, ces nuls qui ne comprennent pas les jeunes, écrivent toujours flat, breakfast et birthday. Il est vrai que ces mots sont plus courts, mais l’excuse est légère…

Faire jeune, pour ces lourdauds, c’est souvent faire vulgaire. Passons sur cette manie de plus en plus répandue de traduire, par exemple, to work par bosser, au lieu de travailler – et cela, même si le personnage n’emploie ailleurs aucun autre terme argotique, voire familier. Mais il y a pire : l’année dernière, dans un film d’action, une fille demandait à un voleur de voitures ce qu’il préférait, « Having sex or stealing cars », en clair et sans la moindre fioriture argotique, faire l’amour ou voler des voitures. Or les sous-titres français lui faisaient dire « Tirer un coup ou tirer une caisse ». Ce jeu de mots sur tirer était totalement absent du dialogue d’origine, et se triplait d’un terme argotique et d’une grossièreté qui n’y figuraient pas non plus. Bref, au lieu de chercher l’équivalent exact des phrases originelles, le traducteur, s’estimant sans doute génial, se faisait plaisir et prêtait son propre langage aux personnages. Abus de confiance à l’égard des spectateurs qui ne comprennent pas l’anglais. Ni plus ni moins.

Et cela fait penser à ces metteurs en scène de théâtre qui ont la prétention de comprendre le sens d’une pièce bien mieux que son auteur, et en imposent leur « relecture ». Eh oui, mes amis, le ridicule a cessé de tuer. Comme on dit à la Poste, ça c’est une bonne nouvelle !

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Amen.

Réalisateur : Costa-Gavras

Scénario : Costa-Gavras et Jean-Claude Grumberg

Interprètes : Ulrich Tukur, Mathieu Kassovitz, Ulrich Mühe, Michel Duchaussoy, Ion Caramitru, Marcel Iures, Friedrich von Thun

Durée : 2 heures et 10 mn

Sortie à Paris : mercredi 27 février 2002

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Le titre de ce film s’écrit avec un point final, singularité rappelle le Aimez-vous Brahms.. de Françoise Sagan, mais si je respecte cette notation, mes phrases vont devenir incompréhensibles, or elles n’ont pas besoin de cela. Le réalisateur, un Grec vivant à Paris, se fait maintenant appeler « Constantin Costa-Gavras », alors que Costa est déjà le diminutif de son prénom. Gageons que cela ne va pas durer tant c’est ridicule. Mais passons. Le premier film de Costa-Gavras ayant connu un grand succès était Z, en 1969. Produit par une firme française, tourné en Algérie, se passant en Grèce, et parlant français (normal, les acteurs étaient presque tous français), il annonçait Amen par ce côté méli-mélo international : Amen est également produit en France, il se passe en Allemagne et en Italie, porte un titre en hébreu, les acteurs sont roumains et français (aucun n’est anglais ni étatsunien)... mais tout le monde parle l’anglais. Précisons tout de suite que je n’entends pas entrer dans la polémique au sujet de l’affiche du film – conçue, dit-on, par ce photographe qui faisait les campagnes publicitaires de Benetton –, car je ne veux pas faire le jeu de cette association d’extrême droite qui assigne les artistes en justice au moindre prétexte, au moins une fois par an.

Commercial au-delà du raisonnable et lourdingue comme trois Besson (ah ! Ces plans de trains de marchandises qui ne cessent de parcourir la campagne, histoire de rappeler la déportation des victimes ! J’ai compté : le truc revient onze fois dans le film), Costa-Gavras s’est adjoint les services d’un scénariste, Grumberg, qui a collaboré à de meilleurs films, comme Le dernier métro ou Les années-sandwiches. Ces films traitaient aussi de l’époque où le nazisme triomphait en Europe. Gavras, lui, rate magistralement son projet, car, depuis le début de sa carrière, jamais il n’a compris que les bonnes intentions ne suffisaient pas. Si vous connaissez l’histoire des relations de Pie XII avec les nazis, le récit ne vous apprendra rien ; si vous en ignorez tout, vous ne verrez qu’un film sur l’hypocrisie des relations diplomatiques, dont le sommet – et le meilleur – se résume en une scène de dîner mondain sur une terrasse, entre diplomates et pontes du Vatican, avec la basilique Saint-Pierre en arrière-plan, dîner où l’on vous sert, outre une bouffe de bourgeois repus, tous les arguments hypocrites justifiant l’urgence de ne rien faire en cas de génocide. Comme si c’était une révélation !

Au bout du compte, le film innocente en partie le pape, notamment en faisant l’impasse sur cette histoire : avant d’accéder au trône prétendu « de saint Pierre » – qui n’a jamais été pape –, Pie XII, alors le cardinal Eugenio Pacelli, avait été nonce apostolique, c’est-à-dire ambassadeur du Vatican, à Berlin. Hitler n’avait pas encore accédé au poste de Chancelier. Pacelli connaissait personnellement et même très bien le futur Führer, et, à deux reprises au moins, lui a remis de l’argent destiné à l’aider dans son travail de propagande. Cela ne signifiait pas forcément que le Vatican ou lui-même, Pacelli, avaient des sympathies pour le nazisme, mais il ne pouvait ignorer les intentions d’Hitler à l’égard des Juifs, déjà publiées dans son livre Mein Kampf. Cette subvention pas du tout déguisée était sans doute une assurance contre le communisme prise pour un avenir qu’on prévoyait proche. Eh oui, la diplomatie, c’est dégueulasse, et c’est souvent inefficace.

En bref : à voir à la rigueur.Haut de la page

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Dernière mise à jour de cette page le mardi 8 septembre 2020.