Kinopoivre, les films critiqués par Jean-Pierre Marquet

Année 2015

L’année 2015 commence très lentement, et les médiocrités abondent. Cependant, un film iranien retient l’attention, c’est Taxi Téhéran. Mais ne boudons pas notre plaisir, et disons quelques mots de Jurassic world, avant de passer à ces excellents films que son Marguerite et Le fils de Saul, et à cette curieuse et inattendue réussite, Youth.

Taxi Téhéran

Titre original : Taxi

Réalisateur : Jafar Pahani

Scénario : Jafar Pahani

Interprète : Jafar Pahani

Durée : 1 heure et 22 minutes

Sortie à Paris : mercredi 15 avril 2015

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Ce film, sorti au festival de Berlin le 6 fĂ©vrier 2015, est interdit dans son pays, l’Iran, et son rĂ©alisateur, non seulement ne peut sortir du pays, mais on lui a interdit de filmer pendant vingt ans, outre les six ans de prison qu’on lui a infligĂ©s – et qu’il n’a du reste pas faits. Taxi a donc Ă©tĂ© tournĂ© clandestinement, en utilisant exactement la mĂ©thode utilisĂ©e par Abbas Kiarostami, dont il a Ă©tĂ© l’assistant, pour son Ten, avec toutefois quelques diffĂ©rences : on n’a pas employĂ© une camĂ©ra fixe installĂ©e dans le taxi, mais trois, que le rĂ©alisateur pouvait d’ailleurs orienter diffĂ©remment et Ă  la main, selon les circonstances. L’une le filme au volant de son taxi, l’autre filme ses passagers, la troisième regarde la rue dans la direction oĂą roule la voiture. En outre, dans certaines scènes, un petit camĂ©scope est utilisĂ© par sa nièce Hana, produisant des images floues et tremblotantes. Mais le principe reste identique : jamais le spectateur ne sortira de la voiture, qui parcourt la capitale de l’Iran pendant une heure et 22 minutes – le temps Ă©tant compressĂ© par des coupures, naturellement.

Ajoutons que le film n’a Ă©videmment pas Ă©tĂ© produit par l’Iran, puisqu’il est clandestin, mais par la propre compagnie du rĂ©alisateur, Jafar Panahi Film Productions, puis distribuĂ© par cinq firmes Ă©trangères, de Hong Kong, des États-Unis, de Suisse et de France ; et que son titre est simplement Taxi, mot qui n’apparaĂ®t qu’à la fin et en caractères arabes. Enfin, Ă©vacuons ce qu’en dit la publicitĂ© : si Panahi fait effectivement un portrait Ă  charge du rĂ©gime politique iranien, ce portrait n’est pas « entre rires et Ă©motion Â», car il ne recèle aucune trace d’émotion. En fait, sans cesse il balance entre comique, ironie et sarcasme, et le personnage de Panahi lui-mĂŞme sourit constamment, conscient de faire une bonne farce, jamais virulente, au gouvernement des ayatollahs. Mais, au contraire du film de Kiarostami, il ne s’agit plus ici exclusivement de la condition fĂ©minine. Il est donc plus percutant, et plus compromettant pour son auteur.

Donc, dans le film visiblement très scĂ©narisĂ©, Panahi, privĂ© de travail, gagne sa vie en faisant le taxi Ă  TĂ©hĂ©ran – c’est une fiction. On le voit tour Ă  tour transporter un passager un peu irascible, partisan de la peine de mort pour quiconque vole... des roues de voitures, « juste pour envoyer un message Â» aux futurs Ă©ventuels voleurs (sic), un vendeur Ă  la sauvette de DVD importĂ©s clandestinement (c’est le cas des propres films de Panahi !), un homme blessĂ© dans un accident, deux dames âgĂ©es excentriques qui veulent arriver « avant midi Â» Ă  une fontaine publique pour y rejeter un couple de poissons rouges qu’elles transportent dans un aquarium (lequel se brisera en chemin), sa jeune nièce, prĂ©tentieuse, raisonneuse et moralisatrice, qui est comme un Ă©cho du jeune Amin dans Ten, et une avocate de ses amies, qui a eu aussi des ennuis avec la justice islamique, dit pis que pendre du rĂ©gime, et lui recommande de ne pas garder ses propos dans son film – il fera le contraire, on s’en doute. Le film s’achève par une scène Ă©trange : Panahi sort de la voiture pour aller rendre son portefeuille Ă  l’une des deux dames âgĂ©es qui a oubliĂ© cet objet dans son taxi, et deux jeunes motards viennent vandaliser son vĂ©hicule, cherchant apparemment la carte-mĂ©moire sur laquelle il a enregistrĂ© ses prises de vue, et ne la trouvent pas. Or, puisqu’ils s’en sont pris Ă  la camĂ©ra, il n’y a plus d’image ! Fin du film.

Les personnages chargĂ©s dans le taxi, tous jouĂ©s par des amateurs, parlent beaucoup et rĂ©vèlent pas mal de dĂ©tails sur la vie en Iran, en n’omettant pas celui-ci, mentionnĂ© par une femme : l’Iran vient en deuxième position, après la Chine, pour le nombre d’exĂ©cutions capitales (750 en 2014, selon le « Times Â»). NĂ©anmoins, le maĂ®tre-mot semble ĂŞtre : dis et fais ce que tu veux, mais ne te fais pas prendre. PrĂ©cepte que Panahi suit lui-mĂŞme afin de pouvoir continuer Ă  tourner, et il tourne beaucoup ; en gĂ©nĂ©ral, il emploie deux Ă©quipes, l’une pour la frime, l’autre qui travaille rĂ©ellement. Et si la police pointe son nez, elles Ă©changent leurs occupations ! Cela ne va pas sans un attachement certain de la part de ses collaborateurs, encouragĂ©s qu’ils sont par le fait que Panahi est souvent rĂ©compensĂ© dans les festivals Ă©trangers, notamment Ă  Cannes, Ă  Venise, Ă  Berlin. Et la plupart des Iraniens ont vu ces films grâce Ă  la contrebande de DVD dont je parlais plus haut. On ne dira jamais assez les bienfaits du piratage !

Le prĂ©cĂ©dent film de Panahi (avec Mojtaba Mirtahmasb, en 2011), tournĂ© avec une camĂ©ra numĂ©rique et avec un tĂ©lĂ©phone, s’intitulait Ceci n’est pas un film, et montrait la situation d’un cinĂ©aste privĂ© par la justice islamique de faire son mĂ©tier. Et justement, la sĂ©quence avec la jeune nièce de Panahi traite de ce que doit ĂŞtre, selon le gouvernement, un film « justifiable Â» : on ne doit pas montrer un homme et une femme ensemble, et surtout pas leur permettre de se toucher ; les personnages positifs masculins ne doivent pas porter de cravate, et doivent ĂŞtre « un peu barbus Â» ; on ne doit jamais aborder les sujets Ă©conomiques ou politiques, etc. Or le film dont je parle ici s’achève par une mention sarcastique, inscrite sur un carton, mentionnant qu’il n’a pas Ă©tĂ© jugĂ© « justifiable Â» par le ministère de la Culture islamique, et que, en consĂ©quence, il ne peut pas avoir... de gĂ©nĂ©rique ! On ignore donc les noms des acteurs et des techniciens. Le seul nom qui apparaĂ®t, c’est celui du rĂ©alisateur. On Ă©chappe ainsi, pour une fois et c’est heureux, Ă  ces interminables gĂ©nĂ©riques de fin, qui durent habituellement au moins six minutes et font fuir le public. Il devrait y avoir davantage de censure.

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Jurassic world

Réalisateur : Colin Trevorrow

Scénario : Rick Jaffa, Amanda Silver, Colin Trevorrow et Derek Connolly, d’après une histoire de Rick Jaffa et Amanda Silver et les idĂ©es de Michael Crichton

Interprètes : Chris Pratt (Owen), Bryce Dallas Howard (tante Claire), Irrfan Khan (Masrani), Vincent D’Onofrio (Hoskins), Ty Simpkins (Gray), Nick Robinson Zach), Jake Johnson (Lowery), Omar Sy (Barry), BD Wong (docteur Henry Wu), Judy Greer (Karen), Lauren Lapkus (Vivian), Brian Tee (Hamada), Katie McGrath (Zara), Andy Buckley (Scott), Eric Edelstein (superviseur), Courtney James Clark (annonceur du Mosasaurus), Colby Boothman-Shepard (gestionnaire du jeune raptor), Jimmy Fallon (lui-mĂŞme), James DuMont (Hal Osterly), Matthew Burke (Jim Drucker), Anna Talakkottur (Erica Brand), Matty Cardarople (opĂ©rateur de la gyrosphère), Michael Papajohn (entrepreneur InGen), William Gary Smith (ranger du parc), Kelly Washington (petite amie de Zach), Isaac Keys (garde du poste de contrĂ´le), Patrick Crowley (instructeur de vol), Chad Randall (soldat), Gary Weeks (père des trois), Yvonne Angulo (Gabriella), Colin Trevorrow (M. ADN), HĂ©lène Cardona (hĂ´tesse française au centre d’innovation), Robert Deon (soldat dissident)

Durée : 2  heures et 4 minutes

Sortie à Paris : mercredi 10 juin 2015

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Tout d’abord, une petite mise au point : j’ai entendu un journaliste mal renseignĂ©, ou se contentant de peu, affirmer que Spielberg avait « imaginĂ© Jurassic Park Â». Non, c’est Michael Crichton. Cet Ă©crivain cĂ©lĂ©brissime, mort en 2008, avait commencĂ© des Ă©tudes de mĂ©decine, et il Ă©crivait des romans pour les financer. Il a fini par ne plus faire que cela, se spĂ©cialisant dans la science-fiction et l’anticipation, et il est l’auteur, entre autres, de Jurassic Park et de sa suite Le monde perdu, tous deux portĂ©s Ă  l’écran par Spielberg, sur un scĂ©nario de Crichton et David Koepp. Pour les deux suites Ă  l’écran de la saga, Spielberg, tout en restant producteur, a passĂ© le flambeau Ă  Joe Jonhston, bon technicien, pour Jurassic Park III, puis Ă  Colin Trevorrow, dont Jurassic world n’est que le deuxième film.

Le premier Jurassic Park, sorti en 1993, reposait sur une hypothèse qui a reçu la contradiction des milieux scientifiques : il racontait qu’on avait trouvĂ© du sang de dinosaure dans... un moustique ayant piquĂ© un de ces gĂ©ants, au moins soixante-cinq millions d’annĂ©es plus tĂ´t, et que le moustique, pris dans une coulĂ©e d’ambre, s’était conservĂ© absolument intact depuis cette Ă©poque. Par consĂ©quent, l’ADN contenu dans le sang, intact aussi, pouvait ĂŞtre rĂ©utilisĂ© pour donner naissance Ă  un animal semblable Ă  la cible du moustique. La revue « Science et Vie Â», notamment, avait publiĂ© un article rĂ©futant cette possibilitĂ©, mais cela ne pouvait arrĂŞter Hollywood ! Le film fut tournĂ© en RĂ©publique Dominicaine, au Costa Rica, Ă  Hawaii (notamment la sĂ©quence de la haie Ă©lectrique), dans le dĂ©sert californien de Mojave, dans le studio de la Warner, Ă  l’Observatoire Griffith de Los Angeles, au Red Rock Canyon State de Cantil, et aux studios 12, 27 et 28 d’Universal. Bien sĂ»r, dans le scĂ©nario, les animaux Ă©taient recrĂ©Ă©s par des scientifiques qu’un milliardaire passionnĂ© avait engagĂ©s, mais un parc d’attraction construit sur Islar Nublar (ou Isla Nublar, Ă®le fictive du Pacifique, censĂ©e se trouver Ă  environ 220 kilomètres Ă  l’ouest du Costa-Rica) Ă©tait victime d’un sabotage de la part du chef des services informatiques, lequel voulait vendre le prĂ©cieux ADN Ă  une entreprise concurrente, et tout se dĂ©traquait.

La suite, The lost world (en français, Le monde perdu), fut aussi réalisée par Spielberg quatre ans plus tard, car il y avait une vraie demande de la part du public. Techniquement, elle allait plus loin, et le récit se compliquait par l’intervention de trafiquants qui voulaient enlever un dinosaure pour l’exhiber sur le territoire des États-Unis. Ils y parvenaient, mais le monstre, tout comme King Kong autrefois, s’échappait et faisait pas mal de dégâts dans la ville. Néanmoins, au lieu de l’abattre comme le gorille géant car la mentalité du public a changé, on le capturait, et un bateau le ramenait sur son île.

Le troisième Ă©pisode, sorti en 2001, plus court, n’a pas Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par Spielberg, et se dĂ©roulait sur une autre Ă®le, Isla Sorna, qui Ă©tait dĂ©serte, très dĂ©coupĂ©e par des fjords, et... tout aussi imaginaire, Ă  333 kilomètres Ă  l’ouest du Costa Rica. Les scĂ©naristes et le rĂ©alisateur ne sont plus les mĂŞmes, mais Spielberg et sa collaboratrice Kathlyn Kennedy sont toujours co-producteurs. On a encore tournĂ© Ă  Hawaii, mais aussi dans le Nevada, dans l’Utah, et au parc Orlando, en Floride. Davantage de studios ont Ă©tĂ© utilisĂ©s chez Universal, les 1, 12, 18, 27, 28, 29 et 44. Au centre de l’histoire, un jeune garçon très dĂ©brouillard, disparu après un accident d’avion, et ses parents divorcĂ©s qui le recherchent, et vont Ă©videmment se remettre ensemble Ă  la fin de l’histoire – culte de la famille oblige.

L’épisode 4 dont on parle ici, tournĂ© pour moitiĂ© en extĂ©rieurs Ă  HawaĂŻ et pour l’autre moitiĂ© dans les studios de la NASA construits Ă  la Nouvelle-OrlĂ©ans, comporte une innovation : le nouveau parc a Ă©tĂ© peuplĂ© d’animaux n’ayant jamais existĂ© ! Les travaux sur l’ADN ont tant progressĂ©, qu’il est possible Ă  prĂ©sent de synthĂ©tiser un ADN totalement inĂ©dit (on dit que c’est possible, et l’actualitĂ© nous a offert cet Ă©pisode grotesque d’un mouton dont l’ADN avait reçu celui... d’une mĂ©duse !), et de crĂ©er des animaux dotĂ©s d’une fĂ©rocitĂ© sur mesure, afin de crĂ©er chez les visiteurs des sensations plus fortes que celles procurĂ©es par une simple visite ! On voit d’ici l’esprit du commerce qui rĂ©git tout aux États-Unis... Et, bien entendu, le plus terrible des nouveaux monstres s’échappe, sème la terreur, et on doit Ă©vacuer l’île de ses touristes. Ce film est bien plus spectaculaire que les trois prĂ©cĂ©dents, et l’une des sĂ©quences de panique rappelle Les oiseaux d’Hitchcock, lorsque des nuĂ©es de dinosaures volants s’en prennent Ă  tous les humains.

J’avoue que, des quatre films, je préfère... le premier, parce que les personnages y étaient plus intéressants, notamment les deux enfants, un jeune garçon très ouvert et féru de science, joué par Joseph Mazzello (devenu un excellent acteur) et sa sœur aînée, très calée en informatique et qui va réussir à réparer in extremis le gigantesque bug ayant mis en panne la totalité du parc. Et le personnage de l’archéologue joué par Sam Neill connaît une évolution mentale qui le rend sympathique au public, puisque, au début, il déteste tous les enfants et se montre très agacé par l’adoration dont il est l’objet de la part du garçon, avant de succomber à leur charme et de les prendre en affection. On pense à Spielberg lui-même, qui a souvent mis des enfants dans ses films, et les dirige admirablement (souvenez-vous de Christian Bale, qui a débuté à douze ans dans Empire du Soleil, et qui est devenu une vedette mondiale). Or, dans Jurassic world, les deux garçons se révèlent d’une médiocrité abyssale, l’aîné ne n’intéressant à rien sinon aux filles, et le cadet étant dépourvu du moindre intérêt. Le spectateur doit donc se contenter des séquences purement visuelles, très réussies mais sans grande profondeur.

Bref, le spectateur en a plein la vue, néanmoins l’intelligence et la sensibilité ont été laissées de côté. Mais tout le monde n’est pas Spielberg qui, tout décrié qu’il est par les snobs, n’en a pas moins une vision de l’Humanité.

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Marguerite

Réalisateur : Xavier Giannoli

Scénario : Xavier Giannoli et Marcia Romano

Interprètes : Catherine Frot (Marguerite Dumont), AndrĂ© Marcon (Georges Dumont), Denis Mpunga (Madelbos), Michel Fau (Atos Pezzini), Christa ThĂ©ret (Hazel), Sylvain Dieuaide (Lucien Beaumont), Aubert Fenoy (Kyrill Von Priest), Sophia Leboutte (FĂ©licitĂ© « La Barbue Â»), ThĂ©o Cholbi (Diego)

Durée : 2  heures et 7  minutes

Sortie à Paris : mercredi 16 septembre 2015

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Orson Welles avait-il eu connaissance, lorsqu’il a Ă©crit le scĂ©nario de Citizen Kane, de cette femme riche, Florence Foster Jenkins, qui chantait uniquement devant un cercles d’amis intimes (un film sur elle sera rĂ©alisĂ© par Stephen Frears), et qui chantait faux ? C’est possible, mais son Charles Foster Kane, tombĂ© amoureux – hors mariage – d’une chanteuse sans talent, et dont un adversaire politique avait dĂ©noncĂ© l’adultère avec « une chanteuse Â», avait voulu faire sauter ces guillemets infamants, obligĂ© sa maĂ®tresse Ă  se lancer dans une carrière lyrique, et... lui avait construit un opĂ©ra, oĂą le dĂ©sastre de son absence de talent s’était rĂ©vĂ©lĂ© publiquement.

La situation est un peu diffĂ©rente dans le film de Xavier Giannoli, puisque sa Marguerite est la seule Ă  ne pas percevoir que sa voix est dĂ©sastreuse, et que son mari, au contraire de Kane, fait tout pour la protĂ©ger en usant d’artifices afin d’empĂŞcher qu’elle se produise en public. Et lorsque, enfn, elle chante sur une vraie scène d’opĂ©ra, les applaudissements ironiques qu’elle recueille, elles les croit authentiques ! Mais son entourage, c’est diffĂ©rent, car chacun a intĂ©rĂŞt Ă  flatter sa lubie, puisqu’elle est aussi gĂ©nĂ©reuse que riche.

NĂ©anmoins, Marguerite est si sincère, si passionnĂ©e de musique, si Ă©mouvante, qu’elle retourne malgrĂ© eux les profiteurs, comme ce journaliste qui avait Ă©crit sur elle un article moqueur et faussement Ă©logieux, mais qui finit par devenir l’un de ses amis les plus protecteurs. Et lorsqu’elle engage Ă  prix d’or un maĂ®tre de musique escroc, lui non plus n’osera pas lui dire la vĂ©ritĂ©, sinon celle-ci : « Vous n’êtes pas une soprano, vous ĂŞtes... une mezzo ! Â».

L’épilogue n’en sera pas moins tragique, puisqu’un mĂ©decin prend l’initiative d’enregistrer la voix de Marguerite sur un disque et de le lui faire Ă©couter : saisie, Marguerite est foudroyĂ©e, et elle meurt subitement, ce qui rappelle encore Orson Welles et son Falstaff qui, lorsque le prince qui avait partagĂ© ses frasques de jeunesse devient roi et refuse de le revoir, rentre chez lui, se met au lit et meurt.

Le film pourrait être comique, mais il ne l’est guère, et jamais Marguerite n’est ridiculisée, en dépit de ses interprétations atroces (elle commence et finit par un air diabolique pour une chanteuse, celui de la Reine de la Nuit dans La flûte enchantée de Mozart). Là, Catherine Frot est magistrale. Et le scénario, très travaillé et sans la moindre faute, est à la hauteur de l’interprète. En fait, c’est l’entourage qui est ridicule, avec son cortège de parasites et d’hypocrites. Décidément, les années 1920 ressemblent beaucoup à ce que nous voyons un siècle plus tard.

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Youth

Réalisateur : Paolo Sorrentino

Titre original : La giovinezza

Scénario : Paolo Sorrentino

Interprètes : Michael Caine (Fred Ballinger), Harvey Keitel (Mick Boyle), Rachel Weisz (Lena Ballinger), Paul Dano (Jimmy Tree), Jane Fonda (Brenda Morel), Mark Kozelek (lui-mĂŞme), Robert Seethaler (Luca Moroder), Alex Macqueen (l’émissaire de la Reine), Luna Zimic Mijovic (jeune masseuse), Tom Lipinski (scĂ©nariste amoureux), Chloe Pirrie (fille scĂ©nariste), Alex Beckett (scĂ©nariste intellectuel), Nate Dern (scĂ©nariste drĂ´le), Mark Gessner (scĂ©nariste timide), Paloma Faith (elle-mĂŞme), Ed Stoppard (Julian), Sonia Gessner (Melanie), Madalina Diana Ghenea (Miss Univers), Sumi Jo (elle-mĂŞme), Leoni Amandin (Victor Victoria), Jozef Aoki, Paul Blackwell, Pamela Betsy Cooper, Shina Shihoko Nagai, Janette Sharpe (public au théâtre), Ian Keir Attard (assistant 1), Richard Banks, Jesmond Murray, Ruth Shaw (amateurs de concerts), Gabriella Belisario (escort), Melinda Bokor (jolie femme), Leo Artin Boschin (jeune violoniste), Rebecca Calder (la comtesse), Loredana Cannata (femme de Maradonna), Steve Carroll,Neve Gachev, Aaron Sequerah (invitĂ©s royaux), Eugenia Caruso (femme pieuse), Poppy Corby-Tuech (femme espionne), Beatrice Curnew (policière), Veronika Dash (Marilyn - blonde idiote), Raniero Della Peruta (père de Frances), Jason Ebelthite (enthousiaste de musique classique), Emilia Jones (Frances), Elizabeth Kinnear (Carrie dans le film d’horreur), Anabel Kutay (femme du film de science-fiction), Tatiana Luter (femme-soldat), Jay Natelle (pilote), Tony Pankhurst (employĂ© du théâtre), Roly Serrano (Diego Maradona), Josie Taylor (diva), The Retrosettes (elles-mĂŞmes), Beatrice Walker (fille en bikini)

Durée : 1  heure et 58 minutes

Sortie à Paris : mercredi 9 septembre 2015

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Fred Ballinger, qui séjourne dans un hôtel en Suisse, est un ancien compositeur britannique et chef d’orchestre réputé, que la reine désirerait anoblir, à condition qu’il accepte de donner en concert à Londres une de ses œuvres, mais il refuse plusieurs fois (il finira par accepter) car il veut que seule sa femme en demeure l’interprète – or elle a perdu la raison. Dans le même hôtel se trouve Mick Boyle, réalisateur de cinéma, son ami, dont le fils Julian a épousé Lena, la fille de Ballinger, également présente, mais que son mari s’apprête à quitter pour une chanteuse de variétés. Tous deux sont presque octogénaires, néanmoins Mick a toujours des projets, et il est venu avec cinq scénaristes, car il cherche une fin pour le film qu’il prépare. Là séjourne également Jimmy Tree, acteur célèbre mais dont les admirateurs n’aiment que le film où il a naguère interprété un personnage de robot, ce qui l’agace considérablement.

Disons qu’après pas mal de péripéties, certaines comiques, d’autres dramatiques dont un suicide, l’histoire se termine sur l’acceptation de son vieillissement par l’un des deux personnages principaux – rassuré il est vrai par la confirmation que ses analyses médicales sont excellentes. Mais ce thème n’a rien d’original, et nous voyons beaucoup de films qui traitement du vieillissement accepté.

De façon un peu surprenante, ce film très anglais est dû à un Italien, Paolo Sorrentino, mais seule la séquence de fin, le concert en présence de la reine, est censée se dérouler à Londres. Auparavant, on aura vu Venise et sa Place Saint-Marc sous les eaux (allégorie ? Oui, il y a des inondations à Venise), et trois ou quatre autres images oniriques, stylisées de façon assez inattendues. Si bien que ce film à la fois drôle, émouvant et beau, mais sur une histoire plutôt banale – mêlant l’égo de l’artiste et sa crainte d’avoir perdu son inspiration –, brille essentiellement par sa mise en scène, inventive et très recherchée.

Selon moi, le scĂ©nario de Youth est supĂ©rieur Ă  celui de La grande Bellezza, film du mĂŞme auteur, auquel on a rĂ©servĂ© un succès un peu exagĂ©rĂ©, parce que lui aussi comportait quelques images originales, comme cette terrasse donnant sur le ColisĂ©e. Et la musique, dans tous les styles – dont un « concert Â» de cloches de vaches –, a Ă©tĂ© extrĂŞmement travaillĂ©e.

Ă€ noter une apparition de Jane Fonda, qui n’a qu’une scène, vĂ©hĂ©mente en vedette de cinĂ©ma refusant le rĂ´le que lui proposait un rĂ©alisateur que dĂ©sormais elle considère comme ringard, et qui prĂ©fère Ă  prĂ©sent, non sans cynisme, un contrat de trois ans dans une sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e, parce que la tĂ©lĂ©vision a dĂ©sormais dĂ©passĂ© en qualitĂ© le cinĂ©ma ! Pas faux.

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Le fils de Saul

Titre original : Saul fia

Réalisateur : László Nemes

Scénario : LászlĂł Nemes et Clara Royer

Interprètes : GĂ©za Röhrig (Saul), Levente Molnár (Abraham), Urs Rechn (l’Oberkapo Biederman), Todd Charmont (l’homme barbu), Jerzy Walczak (le rabbin dans le Sonderkommando), Sándor ZsĂłtĂ©r (le docteur), Marcin Czarnik (Feigenbaum), Amitai Kedar (Hirsch), Attila Fritz (Yankl), Kamil Dobrowolski (Mietek), Uwe Lauer (Voss), Christian Harting (l’OberscharfĂĽhrer Busch), Juli Jakab (Ella), Mendy Cahan (membre du Sonderkommando), Eszter CsĂ©pai (jeune fille dans le baraquement des femmes), Rozi SzĂ©kely (Mandel)

Durée : 1 heure et 47 minutes

Sortie à Paris : mercredi 4 novembre 2015

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La fin de la Deuxième guerre mondiale approche, et nous sommes dans le camp d’extermination d’Auschwitz II ou Auschwitz-Birkenau, dans lequel certains prisonniers juifs sont obligĂ©s de nettoyer les chambres Ă  gaz et d’enfourner les corps dans des fours, puis d’évacuer les cendres. Travail abominable, oĂą Saul (prononcer « chaule Â») est employĂ©, et au cours duquel il croit reconnaĂ®tre son fils dans un petit garçon qui, pendant quelques minutes, a survĂ©cu aux gaz asphyxiants mais est mort très vite, et doit ĂŞtre autopsiĂ©, afin de dĂ©terminer pourquoi il n’est pas mort immĂ©diatement. Saul supplie alors le mĂ©decin qui doit pratiquer l’autopsie, et qui accepte de cacher le corps, afin que le père puisse le rĂ©cupĂ©rer et lui donner une sĂ©pulture selon les rites juifs. Il lui faut aussi trouver un rabbin.

Saul parvient à franchir ces étapes, à la faveur d’une révolte des prisonniers, et à sortir du camp, où il s’apprête à enterrer son fils au bord d’un fleuve, sans doute la Vistule, mais les soldats nazis, à la poursuite du groupe des évadés, surgissent, et ceux-ci plongent dans le fleuve, de même que Saul, qui manque se noyer et sera sauvé par un compagnon, mais le sac contenant le corps de son fils lui a échappé, et il ne le retrouvera plus.

L’épilogue est tout aussi tragique : les fugitifs se sont cachĂ©s dans une cabane, et Saul voit dans l’embrasure un enfant de l’âge de son fils. Il lui sourit, mais l’enfant se sauve, et on comprend qu’il vient de les dĂ©noncer, car les nazis attaquent. On ne connaĂ®tra pas la suite, on n’entendra que les coups de feu.

Le film quoique très diffĂ©rent du Shoah de Claude Lanzmann, qui Ă©tait un documentaire composĂ© de tĂ©moignages, et non une fiction reconstituant les Ă©vènements, est nĂ©anmoins Ă  la mĂŞme hauteur que ce film sans Ă©quivalent, et, comme lui ne tente pas d’apitoyer le spectateur ; en somme, il fait montre de la mĂŞme dignitĂ©. Mais cela l’oblige Ă  une certaine forme de rĂ©alisation, qui a dĂ©plu Ă  une infime partie du public, et dont je parle ci-dessous.

 

*

Le parti-pris du rĂ©alisateur a Ă©tĂ© de ne montrer que ce que voit son personnage, Saul, afin de faire du spectateur un tĂ©moin. Cela impliquait de le faire figurer dans toutes les scènes et de le suivre partout, dans tout ce qu’il ferait. Autrement dit, de le filmer en camĂ©ra portĂ©e, procĂ©dĂ© irritant lorsque la consĂ©quence en est que la camĂ©ra filme tout ce qui l’environne, et que le cadreur gesticule dans tous les azimuts pour ne rien laisser perdre. Ce qui est la nĂ©gation mĂŞme de la mise en scène et du montage, lesquels consistent Ă  montrer ce qui important et possède un sens ; pas Ă  montrer les dĂ©tails inutiles comme le contenu d’un rĂ©frigĂ©rateur lorsqu’un personnage en ouvre la porte, ou la main d’un autre composant un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone.

Or, ici, pas de gesticulations du cadreur, pas de captation de détails superflus, mais au contraire une concentration sur le visage de Saul, tout ce qui l’entoure étant perçu en arrière-plan, souvent dans le flou, et rapidement soustrait au regard de l’objectif, comme les images de cadavres que l’on traîne pour les emporter ailleurs. Aucun détail horrible, pas la moindre trace de gore, une pudeur scrupuleuse. Et l’on comprend que Claude Lanzmann loue le film et admet qu’il n’y avait pas d’autre façon de procéder.

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Sites associés :    Yves-André Samère a son bloc-notes films racontés

Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.